Pascal Quignard
(1948-...)
Dossier
Bibliographie
Ouvrages cités |
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Cette courte bibliographie comprend trois essais et un entretien. Ce dernier, d'abord paru en avril 1989 dans la revue Le Débat, renferme des éléments de définition de l'art du roman tel que conçu par Quignard. Publiés une première fois en 1986 aux éditions Fata morgana, Le voeu de silenceÌý±ð³ÙÌýUne gêne technique à l'égard des fragments interrogent, comme les titres l'indiquent, deux « obsessions » de la littérature contemporaine qui sont intervenues dans l'espace romanesque : le silence et le fragment. |
Entretien : « La déprogrammation de la littérature », dans Écrits de l'éphémère, Paris, Galilée, coll. « lignes fictives », 2005, p. 233-249. Essais : Le voeu de silence. Essai sur Louis-René des Forêts, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2005. Une gêne technique à l'égard des fragments. Essai sur Jean de La Bruyère, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2005. La barque silencieuse. Dernier royaume VI, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2009. Dernier royaume : Les ombres errantes. Dernier royaume I, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002. Sur le jadis. Dernier royaume II, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002. Abîmes. Dernier royaume III, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002. |
Citations
« La déprogrammation de la littérature », dans Écrits de l'éphémère, Paris, Galilée, coll. « lignes fictives », 2005, p. 233-249. |
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« Je ne fais pas un "cours" sur l'histoire du roman — et d'autant moins sur son "histoire" que le roman, comme tout objet de l'inconscient, ne connaît pas beaucoup le temps. » (p. 235) « — Pouvez-vous définir le roman ? — Non, sinon qu'il est l'autre de tous les genres, l'autre de la définition. Par rapport aux genres et à ce qui généralise, il est ce qui dégénère, ce qui dégénéralise. Là où il y a un toujours, mettez un parfois, là où il y a un tous, mettez un quelques et vous commencez d'approcher du roman. [...] Cinq types de difficultés : la mise au point de l'intrigue, la mise en place des personnages, l'alternance des descriptions, la répartition des dialogues, enfin l'emploi des temps. À vrai dire, ces cinq nids à problèmes sont autant de traits définitoires : le roman est un objet de langage où il y a au minimum plus de deux scènes, plus de deux personnages, plus de trois langages (deux pour former le dialogue qui contraste avec le fond narratif), plus de deux lieux et plus de deux temps (pour aller des uns aux autres). Ce disant, le luthier ne vous met pas entre les mains un Stradivarius mais un embryon pratique qui peut commencer d'aimanter de façon inconsciente des épithètes sur des noms propres. Parce que, au bout du compte, c'est à peu près cela, un roman : des noms propres qui se dirigent vers leurs épithètes. » (p. 236) « "Une intrigue!", tel est le cri dès que le cri devient langage. Et voilà une raison pour laquelle je ne crois pas aux romans sans intrigues. Chacune de nos vies est un continent que seul un récit aborde. Et non seulement il faut un récit pour accoster et s'associer sa propre existence, mais un héros pour assurer la narration, un moi pour dire je. » (p. 236) « — Il y aurait donc pour vous une sorte de fonction originaire et universelle du roman ? — Une fonction romanesque, oui, dont la fonction onirique donne idée par analogie. Nous sommes une espèce, parmi d'autres espèces, soumise au rêve qui répète dans la nuit l'expérience du jour. De même, il nous faut assouvir le besoin d'une auto-représentation de la vie. Remarquez qu'il n'y a pas de plus riche représentation de la psyché humaine qu'un roman. [...] Le récit humain sexualisé répond peut-être à une espèce de prérationalité nécessaire, spécifique, confuse. » (p. 237) « — Parce que, en dehors de cette curiosité intellectuelle, vous vous servez de vos connaissances en écrivant vos romans ? — Cela coule de source. C'est même le principal motif. Ce détour par le passé est une chasse aux formes. Je fouille les oeuvres mortes à l'égal d'un museau ou d'un bec qui cherche les morceaux les plus tièdes. Mon esthétique est une esthétique volée. C'est celle des anciens Romains. C'est celle des anciens Chinois. C'est celle des bondrées aussi : dès que je vois quelque chose qui bouge et qui m'émeut, je fonds. Je prends. [...] Si vous voulez, la technique revient à ceci : je répare des déchirures impossibles dans le temps et l'espace. L'émotion peut alors être amorcée, remonter, irriguer le texte, s'écouler entre les lèvres de cette plaie que j'ai ouverte et qui ne cicatrise pas, le temps que le sang du fleuve de la fiction fasse à lui-même son lit. [...] Ce sont autant de vols, de courts-circuits, d'impossibilités chronologiques dont on perd la source peu à peu, absurdes comme des lapsus chronologiques, qui découvrent des terres jamais vues où on peut improviser dans l'involontaire et le hapax, qui contraignent à s'adapter autant que faire se peut à une situation qui devient de plus en plus étrange à proportion qu'elle devient de plus en plus minutieuse. Or c'est exactement ce que Freud dit de l'attitude névrotique et de la façon dont on aggrave ou noue et rigidifie un symptôme jusqu'à le rendre incompréhensible, inguérissable. » (p. 238-239) « Les Modernes, disait-il [Quintilien], ont le plus de chance parce qu'ils ont le plus d'Anciens où charogner. Jamais le passé n'a été si profond. Nous vivons l'Âge d'or. [...] Nous sommes les naufrageurs d'une épave dont la largeur, la hauteur, la profondeur n'ont jamais connu d'égales ou de rivales. » (p. 239-240) « Au reste il est possible que se soit refermée sans qu'on s'en rende tout à fait compte une parenthèse qui aura duré cent vingt ou cent trente ans : la parenthèse de l'originalité. Nous vivons peut-être l'élimination du romantisme. L'esthétique des romantiques, des modernes, c'est faire différent du voisin. L'esthétique plus traditionnelle, des Romains, des Chinois, des classiques, c'est faire mieux que le modèle qui émeut. Je crois que cette prétention à l'expression d'une singularité personnelle ou psychologique est aujourd'hui devenue fastidieuse. Nous en revenons peut-être aux règles plus artisanales de l'imitation et de l'émulation : rivaliser avec les précédents plutôt que se démarquer des amis. Il ne s'agit pas de restaurer des formes anciennes. Il s'agit de jouer, de relever les enchères de l'émotion et du plaisir — et sans cette ambition stérélisante et narcissique qui consiste à mettre sans cesse en avant une subjectivité qui n'a pas moyen de cesser d'être aussi universelle qu'elle est pauvre, et sans cesse moins distincte, et sans cesse moins passionnante. » (p. 242-243) « Il [le roman contemporain] souffre à la fois d'appauvrissement morphologique et frustration fonctionnelle. La lignée dominante, en France, depuis Flaubert, est celle du roman idéologique, du roman à thèse. Un roman qui a peur de se dissoudre dans l'imaginaire, dans l'identification, dans le sensoriel, et qui se protège derrière des idées ou sous l'écran d'un style. » (p. 243) « Aux écrivains du gueuloir, je préfère les écrivains du tacitoire — les écrivains qui font dix à douze relectures successives de leur livre sous différents points de vue afin d'assurer une coction extrême de l'oeuvre finale. La cuisson dans le silence aboutit à une certaine concentration de force. [...] Il me semble qu'on peut tirer des bénéfices de la cuisson du silence. On travaille à l'oreille, dans l'extrême silence, une très fine oreille sans théorie, sans volonté arrêtée, sans présupposé normatif, sans autre thèse que toucher, sans autre espoir que retenir l'attention. C'est l'exact contraire du roman idéologique, beaucoup plus intelligent, beaucoup plus phraseur, beaucoup plus facile à défendre. » (p. 244-245) « Il y a roman là où il y a fonction de fides : on croit à ce qui se passe. » (p. 245) « Une des plus fondamentales fonctions du roman est sans doute le playing au sens de Donald Winnicott et les jeux de rôle qu'il entraîne et où on s'entortille et d'où on s'extirpe tour à tour. Ce qui permet de se retrouver dans un monde qui vous protège du monde, de totaliser un monde en demeurant à sa frange. Toute autoreprésentation du monde pour peu qu'elle soit involontaire a quelque chance de témoigner du monde. C'est le contraire du réalisme. À mon sens les plus beaux romans installent les êtres qui les entourent dans une espèce de zone de transition à mi-chemin entre le fantasme et l'hallucinat. C'est une foi qui ne méconnaît pas sa fiction mais qui joue avec, et qui laisse dans une sorte de halètement, d'empressement, de transfert, devant le désirable. Dans toute lecture il faut que le désir de croire (et celui d'être cru pour qui écrit) soit assouvi. » (p. 245) « Le domaine du roman, comme celui des rêves ou celui des contes, ce sont les petits détails non pas vrais mais plus vraisemblables que le vrai. L'autoreprésentation de la langue et de la ±è²õ²â³¦³óè ne repose jamais que sur les petits mots et les petites choses sordides. C'est avec ce que les autres ne font pas qu'il faut faire, avec ce qui est méprisé par la cour, avec ce qui est rejeté par le discours, avec ce qui omis par la conscience d'une époque. Tout ce qui échappe à ces auteurs volontaires, ou courtisans, ou conscients, dans leur souci de contrôle à tout prix, c'est la vérité du roman. » (p. 246) « Le roman français a été trop subjugué par l'idée et le style. Malheureusement ce n'est pas avec une forme d'écriture maîtrisée qu'on peut laisser affleurer l'immaîtrisé ou le rêve. La forme ne doit compter que comme une passionnante anesthésie mais qui n'est là que pour permettre à plus grave, à plus désirable de venir au jour. Elle n'est là que pour permettre à la lumière intemporelle de la zone d'enchantement de se porter sur toutes choses et d'irradier un peu. » (p. 249) « À l'oeuvre fragmentée, trop maîtrisée, froide, propre, intellectuelle, à la mort, il faut peut-être préférer l'oeuvre longue, l'oeuvre qui passe la capacité de la tête, l'oeuvre où on perd pied, plus fluide, plus sale, plus primaire, plus sexuelle, l'oeuvre au coeur de laquelle on ne sait plus très bien ce qu'on fait. On raconte que les deux premières peurs, préhumaines, ont trait à la solitude et à l'obscurité. Nous aimons pouvoir faire venir à volonté un peu de compagnie et de lumière feintes. Ce sont les histoires que nous lisons et que nous tenons le soir dans nos mains. Dans le dessein de conserver cette douceur sans nom qu'est l'art, nous avons besoin que la mort et ses formes se retirent. Nous avons besoin de cesser de rationaliser, de cesser de s'ordonner ceci, de cesser de s'interdire cela. Ce dont nous avons besoin, c'est qu'un peu de lumière neuve vienne tomber de nouveau, comme un "privilège", sur les "sordidissimes" de ce monde. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une déprogrammation de la littérature. » (p. 249) |
Le voeu de silence. Essai sur Louis-René des Forêts, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2005. |
« Les personnages qui animent les récits de Louis-René des Forêts font l'objet d'une épreuve qui est celle du silence. Ils sont à la fois les agents et les victimes d'un sacrifice singulier dans ce sens où c'est la matière même de ce qui les met en oeuvre (le langage) qui est mise en cause et les détruit, ou se détruit en eux. » (p. 9) |
Une gêne technique à l'égard des fragments. Essai sur Jean de La Bruyère, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2005. |
« Célibataire, morose, narcissique, dans cette langue assez récente que parlent les Français, et qui n'a pas un millénaire, il est le premier prosateur qui se soit attaché aussi assidûment à la perfection de la forme pour le plaisir de la beauté. On conçoit ce que laisse entendre cette manie harcelante du soi qu'il porte à ce qu'il laisse se détacher de lui par petits morceaux, cette attention aux déchets, cette polissure du lambeau ou de la miniature. On fait aisément se correspondre ce corps ne vivant que pour soi et ce goût de l'art pour lui-même. » (p. 12-13) |
La barque silencieuse. Dernier royaume VI, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2009. |
« Écrire des romans ôte les fers. Les romans imaginent une autre vie. Ces images et ces voyagent entraînent peu à peu des situations qui, dans la vie de celui qui lit, comme dans la vie de celui qui écrit, émancipent des habitudes de la vie. » (p. 102) |
Les ombres errantes. Dernier royaume I, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002. |
« Il n'est pas de menteur qui ne taise le fait qu'il ment. |
Sur le jadis. Dernier royaume II, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002. |
« Il était... Il allait... Il aimait... Il voulait... Il n'y a plus qu'à remplir. L'usage du passé est le roman même. La rime intérieure en ait, en lait est la rime magique du perdu dès l'instant où il fait retour. Tous les verbes sont augmentés d'un suffixe identique qui les rassemble dans ce son. » (p. 125) |
Abîmes. Dernier royaume III, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002. |
« On lit des histoires imaginaires de la même façon qu'on écoute attentivement ceux qui, revenus des îles éloignées où ils étaient demeurés longtemps, le visage terni, le corps détérioré, la voix un peu perdue à force d'inaccoutumance, un peu éloignée à force de langue invraisemblable et de silence obligé, nous racontent les moeurs et les cruautés en usage dans ces pays où nous n'irons jamais. |