Marie-Claire Blais
(1939-2021)
Dossier
Le roman selon Marie-Claire Blais
Le roman choral de Marie-Claire Blais : « saisir le mouvement qui est le nôtre », par Myriam Vien, 11 mai 2016 |
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Déployée sur plus d'un demi-siècle, l'oeuvre de Marie-Claire Blais, abondante et variée, se transforme radicalement au fil du temps, accompagnant les mutations qui reflètent l'évolution de l'écriture romanesque au Québec. Comme le mentionne Michel Biron, « [s]eule MarieÂ-Claire Blais participe aussi fortement à la fois au renouveau esthétique de la Révolution tranquille et à celui de la période contemporaine. » (Biron, p. 29) C'est ce positionnement, presque inégalé dans le paysage littéraire québécois, ainsi que le traitement original de la forme romanesque pratiqué par l'écrivain depuis les années 1980, qui m'ont incité à sonder cette oeuvre et l'appareil critique qui s'y rattache en quête des fondements de sa vision du roman. Or en dépit des nombreuses entrevues produites au fil de la carrière de Marie-Claire Blais, il a été difficile d'extraire de ces entretiens une réflexion aboutie de l'écrivain sur sa poétique romanesque. Aux maintes questions abordant l'intrication narrative singulière de ses récent romans ou l'écriture « orchestrale » qui constitue sa signature, Blais répond la plupart du temps en orientant le propos sur les problématiques vécues par ses personnages ou encore sur l'aspect plus « concret » de l'écriture (les lieux et les rencontres qui l'inspirent). De fait, c'est surtout le côté humaniste de Marie-Claire Blais qui ressort de ces entrevues, et moins les révélations de l'artiste aux prises avec la matière. De cette réticence de l'écrivain à livrer les clés de sa pratique romanesque, je tâcherai malgré tout de tirer quelques conclusions. Le terme « roman » (ou novel) apparaît pour elle comme une étiquette commode, qui donne à l'écriture de Blais la latitude qu'elle désire pour explorer toutes les formes d'expression : « I want to try everything. I don't want to be locked into a single literary genre, because writing is an occupation that requires you to develop your talents in every possible area. » (Blais ; 1986, p. 140) Bien qu'elle ne revendique pas une conception précise du roman, elle semble à tout le moins lui reconnaître une spécificité (et un avantage) : celui d'être un genre qui peut tout incorporer. Les romans de Blais absorbent la poésie, le théâtre, la peinture, la musique, sollicitant le concours de manifestations artistiques plurielles afin de rendre compte du monde contemporain dans toute sa diversité et sa complexité. Si la forme au fond importe peu, c'est que l'écriture paraît tout entière dévouée aux personnages. Comme le font remarquer Nathalie Roy et Anne Élaine Cliche, dans un entretien par courriel avec Marie-Claire Blais réalisé en 2011, « vos personnages vous habitent, ils ont pour vous une existence presque tangible, à tel point que, d'une certaine manière, les stratégies esthétiques ne semblent servir que de support ; la forme est celle qui permet le mieux d'entendre et de faire entendre toutes ces voix. » (Blais ; 2011, p. 16) L'étude des carnets de notes de Blais, mis en ligne sur le portail « Écrivains et écrivains du Canada » de la Bibliothèque et archives Canada, confirme en outre que c'est d'abord aux personnages que la romancière réfléchit dans l'élaboration de ses plans de travail. L'ingérence d'autres genres et d'autres arts (poésie, théâtre, musique, peinture). Si la critique des années 1960 ne manque pas de relever l'ambiguïté générique des premiers romans de Blais, c'est que celle-ci, au début de sa carrière, entretient un rapport plus ou moins clair avec le genre romanesque. La forme de son premier livre, La Belle bête, embête tout particulièrement les commentateurs, qui accusent la jeune auteure d'enfreindre « à peu près toutes les règles de la rédaction d'un roman » (Blais ; 1995, p. 9), reproche auquel Blais ne sait que répondre, recourant à des catégories imprécises pour classer son oeuvre :
De cette volonté de créer quelque chose qui ressemble à un roman, mais qui en même temps possède aussi les qualités de la poésie (rythme, brièveté), résulte une sorte d'« esquisse » de roman, marquée par un élan poétique et une narration laconique qui déjoue la vraisemblance. De la même manière, Blais affirme d'Une saison dans la vie d'Emmanuel qu'il s'agit d' « un roman tout ce qu'il y a de roman » mais ajoute « C'est une fable. Quand je l'ai fini, il ne me plaisait pas tel quel, je le trouvais trop réaliste précisément. Je l'ai refait en gommant le réalisme. Mais ça n'allait plus du tout. J'ai repris la première version. » (Blais ; 1966, p. 17) Lorsqu'un journaliste (Jean Basile) lui demande si elle adhère avec la critique française qui voit dans Une saison dans la vie d'Emmanuel un « rêve naturaliste » (Blais ; 1966, p. 17), elle répond simplement « oui et non », soulevant le doute quant au terme avec lequel elle est en désaccord, « rêve » ou « naturaliste ». Au-delà de l'ambivalence de l'écrivain à l'égard de sa propre définition du roman, mot qui lui paraît manifestement insuffisant pour qualifier l'expérience esthétique à l'origine de La Belle bête ou d'Une saison dans la vie d'Emmanuel, c'est la question du réalisme qui pose problème pour Blais et qui l'éloigne a priori du roman. À l'occasion d'un retour sur ses oeuvres de jeunesse, elle confiera : « Maybe that was a time in my life when I wanted most of all to be a poet. » (Blais ; 1986, p. 135) La poésie ne cesse jamais d'exercer une grande influence dans sa pratique d'écriture – « C'est très important pour moi d'être un écrivain poétique » (Blais ; 2008, p. 29) – mais le rapport entre les deux genres lui apparait désormais plus aisé, réconcilié peut-être, au sens où l'expérience et les lectures ont confirmé que poésie et roman peuvent coexister au sein de la même forme sans qu'il y ait conflit :
Alors que l'étude des caractères (« analyzing people ») figure selon elle comme l'apanage du roman, la poésie se donne surtout dans le travail du rythme, ce « rythme fou du poème » que Marie-Claire Blais compare souvent à une musique et auquel elle accorde un souci particulier : « Je reprends plusieurs fois mon roman [David Sterne], donnant à l'écriture un ton indompté, fébrile ; la musique du texte est celle d'un poème fragmenté, déchiqueté, tout en heurts, en coups sourds comme le sont les vies de Jack et Robert. » (Blais ; 1993, p. 117) Motif important dans les textes de Blais, la musique investit autant la dimension thématique, par des allusions fréquentes à des morceaux ou des compositeurs, qu'elle informe plus généralement le processus de création, contribuant aux effets de syncope de la prose, aux nuances et aux variations d'intensité qui s'en dégagent. C'est la musicalité même du verbe qui donne au récit son impulsion et son souffle : « les compositions musicales sont souvent liées à l'atmosphère immédiate du livre, comme si la musique pouvait porter les mots, les transcender, par une voix nouvelle, plus lumineuse et plus souple que les mots, qui doivent passer par la douleur et la lourdeur de ce qu'ils ont à exprimer. » (Blais ; 2011, p. 16) D'où l'emploi par Blais de techniques narratives s'efforçant de reproduire une rythmique musicale pour rendre compte du mouvement de la pensée humaine, tel que le procédé du monologue intérieur à l'oeuvre dans Le sourd dans la ville, et dont le cycle Soifs offre aussi une puissante interprétation :
Orchestrée par un flux de conscience(s) qui confère à l'écriture son rythme et sa résonance, la construction narrative des derniers romans de Blais produit un concert de voix simultanées, reliées les unes aux autres pour évoquer le partage d'aspirations communes, de mêmes « soifs » qui animent l'humanité. L'aspect oral de cette prose trouve aussi naturellement écho dans le théâtre, auquel Marie-Claire Blais réfère d'ailleurs pour exprimer l'expérience de lecture induite selon elle par l'entremêlement des voix au coeur de Soifs :
À la manière d'un chef d'orchestre, l'écrivain doit d'une part conduire ce « chant de rumeurs », lui dicter une cadence pour éviter la cacophonie, et d'autre part faire émerger les individualités qui existent en-dessous de ce « tissage sonore uni » en leur attribuant des traits précis. Du « choc » de ces différentes voix doit néanmoins découler une impression d'harmonie, d'échange, ce que met en relief la texture de la phrase, coulante, élastique, ininterrompue. La matière même se présente à l'écrivain comme un ensemble touffu, vivant, interpellant les sens : « C'est un matériel très frémissant que je vois. Ce sont des images. J'entends même l'écriture. Le rythme de l'écriture, je l'entends. » (Fonds Marie-Claire Blais) C'est pourquoi, en plus de sa dimension musicale, harmonique, la prose de Blais comporte aussi une facture très visuelle. Les oeuvres d'art plastiques, tableaux, gravures, sculptures, emplissent l'espace narratif de ses romans, donnant en quelque sorte une profondeur de champ à l'expérience des personnages. Blais mentionne notamment le Cri d'Edvard Munch en tant que motif qui inspire la forme narrative dans Le sourd dans la ville et admet par ailleurs : « painting has played an important role in my life. I find that painters go perhaps further than writers, especially in portraits. » (Blais ; 1986, p. 138) De fait, si l'élaboration de ses romans « procède du visuel » (Blais ; 1981, p. 41), c'est le portrait de personnage qui est à la base du travail préparatoire au cours duquel Blais consigne un détail qui doit être lié à tel ou tel caractère, le reprenant et l'élaborant jusqu'à l'obtention d'une image complète. Il s'agit d'un travail qui s'effectue par touches et par couches successives, par l'assemblage patient de fragments polis puis insérés dans un cadre général, à la manière d'un tableau impressionniste :
À partir d'une observation minutieuse consacrée aux paysages et aux moeurs locales, Blais peint Soifs comme un « tableau de la vie contemporaine » (Entre les lignes, 13 novembre 2014), où le décor de Key West devient en quelque sorte microcosme du monde moderne. La représentation impressionniste privilégiée par l'écrivain met en valeur l'aspect mouvant, changeant de la vie, rendu dans l'écriture par la capture de perceptions et d'images fugitives qui prêtent au texte sa fluidité. Ainsi, les correspondances nombreuses que dresse la romancière entre différentes formes d'expression entrent toutes au service de son désir d'embrasser l'époque actuelle dans la multiplicité des expériences humaines et des sensations qu'elle convoque, désir soutenu par la conviction que les arts se prolongent, s'informent mutuellement :
Le personnage au coeur de la poétique romanesque de Marie-Claire Blais. Le travail sur la matière première de l'écrivain – travail du style, du phrasé, de la forme – prend naturellement ancrage chez Blais dans les personnages, dans leurs vies, leurs sensations, l'histoire des épreuves qu'ils traversent. L'incarnation de ses personnages, inspirée par la rencontre de personnes réelles, constitue chaque fois le point de départ concret de la fiction, d'où la nécessité pour la romancière de retourner sans cesse à l'expérience de ces contacts humains et d'en reconduire le souvenir lorsqu'elle est interrogée sur ses recherches préalables à la rédaction d'un roman :
Cette condensation à l'intérieur d'un même personnage de traits empruntés à plusieurs êtres rappelle la constitution de « types » évoquée dans l'avant-propos de la Comédie humaine. Alors qu'il s'agissait pour Balzac de raconter l'histoire des moeurs de la société française à travers des « types », garants d'une position sociale et d'une vision du monde conditionnée par l'enracinement dans un milieu spécifique, en est-il de même pour Blais dans Soifs, série romanesque de grande envergure qui se déplie comme une fresque du monde moderne? Les personnages de Blais incarnent souvent des idéaux ou des discours sociaux que le lecteur contemporain est à même de reconnaître, mais ceux-ci ne sont pas pour autant destinés à figurer comme modèles d'un genre, ce qui reviendrait en quelque sorte à « fixer » un caractère. Son intention n'est pas de concurrencer l'état civil, mais de proposer un portrait de société conçu depuis l'intérieur des consciences qui la composent, et donc de rendre compte d'une matière forcément mouvante : « C'est un portrait un peu impressionniste de notre époque, mais où tout frémit, bouge, change beaucoup, à travers les livres, mais un réel solide est en dessous de tout cela, avec des traits humains, sociaux, politiques, très reconnaissables (ou vraisemblables) autour d'une famille, d'une communauté de notre temps. » (Blais ; 2011, p. 21) Du reste, si le parallèle entre les deux projets est nommé à quelques reprises, Blais hésite à se revendiquer de la même ambition que l'illustre auteur français, et plutôt que de chercher à saisir le monde dans sa totalité, elle admettra plus volontiers vouloir « au moins saisir quelques personnages essentiels, qui jouent un rôle ou positif ou négatif, saisir le mouvement qui est le nôtre, qui est extrêmement rapide et différent de tout, à la fois barbare et magnifique » (Entre les lignes, 13 novembre 2014). À dessein de reproduire ce mouvement, l'écriture de Blais puise directement dans la réalité, s'inspirant d'évènements réels, de faits d'actualité et des débats de l'heure, pour faire émerger, au détour de la fiction, des vérités, des préoccupations humaines : « J'utilise des événements qui sont relatés dans les journaux et dans les photos que nous voyons, parce que je ne veux pas qu'on les oublie. » (Blais ; 2008, p. 28) Ce devoir de mémoire que porte en elle la romancière est nourri par l'attachement profond qu'elle éprouve pour ses propres personnages, tout comme pour les êtres qui ont contribué à les façonner. C'est pourquoi elle dote son écriture d'une fonction révélatrice, voire réparatrice, soit de lever le voile sur les oubliés de l'histoire, de rendre visible les exclus et les égarés, tous ceux que la société confine aux marges. L'engagement personnel de l'écrivain se situe précisément pour elle dans sa sensibilité et son empathie face à son sujet, une ouverture vers l'autre qui constitue un « envahissement sublime » :
« Similitudes intérieures ». L'oeuvre de Marie-Claire Blais est informée par un vaste répertoire d'influences, puisant son inspiration chez des auteurs très variés. Pourtant, au-delà de « l'écriture remuante, remuée » qui lui plaît chez Kafka ou de la « langue euphorisante » (Fonds Marie-Claire Blais) de Virgina Woolf, elle remarque surtout dans les oeuvres des écrivains qu'elle admire les marques de sensibilité et de compassion. Suggérant que les écrivains québécois et les écrivains russes partagent « a very similar emotional outlook » (Blais ; 1986, p. 133), elle lit Dostoïevski et Gogol, émue tout particulièrement par le premier qui a su « exprimer la douleur des plus pauvres, des plus bannis en ce monde, écrire dans un flot d'une inlassable poésie qu'une vie en apparence perdue ne l'est pas » (Blais ; 2009 p. 385). La richesse de l'oeuvre de Dostoïvski réside dans l'intérêt que le romancier russe prête à l'expérience des autres, à sa façon de sortir de l'ombre « ces êtres dont nul ne voulait parler » (Blais ; 2009, p. 385) : « If Dostoevsky only wrote about his particular experience in the world, we wouldn't have all those women he describes so beautifully. He shows us the female heart, and he speaks about it like a woman. » (Blais ; 1998, p. 26) Elle retrouve chez Dostoïevski ce même sentiment qui l'habite, soit que l'écriture est une délivrance, évacuant le trop-plein de souffrance et de détresse qu'accumule l'écrivain qui pénètre au plus profond de l'âme humaine : « The world of Dostoevsky is described as being written by an orderly madman, a lunatic who has put order into his ravings. However, the apocalypse he was carrying within him was enormous, and letting it out must have brought him unbelievable release. » (Blais ; 1986, p. 137) Blais entretient aussi des filiations avec les auteurs anglo-saxons, notamment Virginia Woolf, placée en exergue de Soifs, dont elle loue l'écriture d'une grande subtilité :
Impressionnée tout autant par Faulkner et par la démarche de Truman dans In Cold Blood, roman qui « [surpasse] le ton fictif des oeuvres romanesques [et qui] sera un roman de Dostoïevski des temps modernes, une oeuvre d'un réalisme brutal, sans pitié pour les bourreaux et les victimes » (Blais ; 1993, p. 180), elle se passionne pour le traitement des personnages réprouvés dans les romans de ces écrivains :
La liste des écrivains dont se réclame Marie-Claire Blais pourrait s'étirer très longuement, distinguant bien sûr de l'ensemble quelques figures marquantes, mais montrant plus encore le désir de l'écrivain d'entremêler les influences, de relever des points de convergence entre des oeuvres qu'elle décrit par ailleurs assez peu : « I think Balzac has been enormously important for me, and also Proust. » (Blais ; 1986, p. 133). Elle collecte avidement les références, y voyant une inépuisable source d'éblouissements et de découvertes, et multiplie les parallèles entre les auteurs dans un rapport déhiérarchisé et compulsif à la lecture : elle repère chez Gabrielle Roy ce talent de savoir « comme Flaubert, pénétrer le secret des existences humbles » (Blais ; 2009, p. 383), apprécie le « mysticisme épuré » et le « langage transcendant, contemplatif » (Blais ; 2009, p. 385) rencontrés chez Cocteau et Anne Hébert, et rapproche encore Yves Thériault de Zola par le « réalisme à la fois poétique et direct » (Blais ; 2009, p. 383) de son oeuvre. Si elle avoue avoir aimer beaucoup le Nouveau Roman à une certaine époque, au point d'être tentée par l'approche (Blais ; 1965, p.1), elle conserve cependant une attitude critique à l'égard du mouvement, préférant Nathalie Sarraute à Marguerite Duras pour des raisons qu'elle n'invoque pas, et reprochant à Robbe-Grillet – on s'en serait douté – de « sort[ir] complètement le monde émotionnel » (Blais ; 1965, p.1) de ses livres. Sans détenir une vision élaborée du genre romanesque, Marie-Claire Blais ambitionne de réaliser un roman qui se veut « total », où toutes les formes artistiques à sa disposition peuvent collaborer lorsqu'il s'agit de mettre en mots l'expérience humaine. Bien que « [l]'idéal serait de tout faire, de se livrer à l'art dans toutes ses manifestations, si le temps nous épargnait » (Blais ; 1981, p. 41), elle trouve peut-être dans la souplesse de la forme romanesque, genre inclusif par excellence, la liberté qu'elle recherche pour rendre compte d'un monde instable, en constant changement. S'il paraît ardu d'obtenir de la romancière des réponses aux questions qui concernent le registre de l'écriture proprement dite, entraînant Marie-Claire Blais sur des chemins qu'elle ne souhaite pas emprunter, son insistance à rappeler les difficultés traversées par ses personnages témoigne du devoir de compassion de l'écrivain, clé de voûte de son entreprise romanesque : « essayer de voir en chaque individu (dans les livres, un personnage, mais pour moi, un individu) un être intégré à une humanité changeante, moderne et en mouvement continuel » (Blais ; 1981, p. 32) C'est pourquoi Marie-Claire Blais prône une approche intuitive de l'écriture, marquée au sceau d'une sensibilité exacerbée, attentive à la détresse de ceux qu'on ne voit ni n'entend. Ce faisant, la poétique de Blais ne peut que se dégager de toute forme de théorie qui pourrait l'éloigner de cette mission première : « While there are wonderful writers, they are mostly people who study writing and are too intellectual. » (Blais ; 1998, p. 30) Bibliographie :
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Bibliographie
Ouvrages cités |
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ROY Nathalie et Anne Élaine CLICHE, « Entretien avec Marie-Claire Blais », Voix et Images, vol. 37, no 1, (109), 2011, p. 15-25. BLAIS, Marie-Claire, « Similitudes intérieures » dans CHIKHI, Beïda (dir.), Figures tutélaires, textes fondateurs : francophonie et héritage critique, Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 2009, p. 383-389. « Poète et politique : entretien avec Marie-Claire Blais » dans RICOUART, Janine et Roseanna DUFAULT [dir.], Visions poétiques de Marie-Claire Blais, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2008, p. 26-34. EYRE, Janieta, « Tendencies and philosophies : Marie-Claire Blais », dans Berverley DAURIO (dir. préface et postface), The Power to Bend Spoons : Interviews with Canadian Novelists, Toronto, Mercury, 1998, p. 25-30. SMITH, Donald, « Deliverance through writing » dans Voices of deliverance : interviews with Quebec & Acadian writers, Toronto, House of Anansi, 1986, p. 129-145. FOURNIER, Guy, « Comment l'auteur voit son roman La Belle Bête », Perspectives, vol. 2 no 1 (janvier), 1960, p. 6-7. DASSYLVA, Martial. « Une petite jeune fille toute simple », La Presse, 19 juin 1965, p. 1-2. BASILE, Jean, « Vous êtes née dans une île… » (entretien avec Mare-Claire Blais, Le Devoir, 23 avril 1966, p. 17. |
Citations
ROY Nathalie et Anne Élaine CLICHE, « Entretien avec Marie-Claire Blais », Voix et Images, vol. 37, no 1, (109), 2011, p. 15-25. |
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« VOIX ET IMAGES : […] Ainsi, nous aimerions que vous vous exprimiez sur le rôle que joue la musique dans la composition de vos textes, dans leur rythme, leurs variations d'intensité, leurs nuances, leurs jeux polyphoniques, etc. Votre prose a sa musicalité propre et on peut avoir l'impression en vous lisant d'entendre une pièce classique interprétée par un orchestre. Avez-vous en tête des oeuvres particulières lorsque vous écrivez ? Si oui, déterminent-elles d'une quelconque façon la structure de vos textes ? |
BLAIS, Marie-Claire, « Similitudes intérieures » dans CHIKHI, Beïda (dir.), Figures tutélaires, textes fondateurs : francophonie et héritage critique, Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 2009, p. 383-389. |
« Je pense combien furent essentielles pour moi les lectures abordées presque sauvagement, des oeuvres de Kafka, de Lautréamont, d'Emily, Charlotte et Anne Brontë, de Mary Webb, de George Eliot, combien fut frappante aussi la lecture des surréalistes, je me souviens avec émerveillement de ce portrait que Nadja d'André Breton, où sont dévoilées toutes les folies mais actives, fécondes, de l'esprit secret qui est enfermé, où le désordre est souverain et inspiré, toutes ces lectures se succédant dans une avidité allègre, étaient traversées avec le même bonheur, le même désir de mieux comprendre l'âme humaine, par les découvertes des oeuvres solides d'Yves Thériault, écrivain québécois, que je trouvais proche de Zola, d'un réalisme à la fois poétique et direct, il y avait chez Thériault, une vaste connaissance et curiosité du monde, qui brisait toutes les frontières, il y avait ces thèmes des êtres captifs comme ses Contes pour un homme seul, La Fille laide, mais aussi Agaguk qui fut traduit en plusieurs langues, une oeuvre considérable d'un auteur qui n'avait pas hésité à embrasser l'écriture dans toute son ampleur, avec autant de courage que de virtuosité, sachant que l'écrivain, l'artiste étaient alors peu compris dans leur milieu. Il y eu en même temps la lecture des oeuvres de Gabrielle Roy, Françoise Loranger, des écrivains canadiens anglais Margaret Laurence, Morley Callaghan. On sait avec quel art intuitif, brillant, Gabrielle Roy a su peindre le monde ouvrier, et comme Flaubert, pénétrer le secret des existences humbles, des vies les plus modestes, comme elle le fit dans ses personnages de Bonheur d'occasion, Rue Deschambault, dans une suite bouleversante à sa grande autobiographie La Détresse et l'enchantement, Gabrielle Roy nous livre dans un petit texte intitulé Ce temps qui m'a manqué, le récit de ses dures années de travail où elle a exercé les métiers les plus obscurs avant de pouvoir commencer à écrire ce premier roman qui sera Bonheur d'occasion, ce roman si pénétré de la douleur des opprimés, mais aussi de leur dignité, de leurs espoirs, Gabrielle Roy, comme le fera Antonine Maillet plus tard, offre un lieu d'éloquence, à ceux qui n'ont pas de voix, ses personnages deviennent des héros de courage, des combattants pour une existence meilleure, et on ne peut plus être indifférent en écoutant ses voix. Toute ces humanité, je la retrouvais en même temps en lisant Dostoïevski, Gogol, Les Pauvres Gens de Dostoïevski ressemblaient à ces familles délaissées de Gabrielle Roy, le juste portrait des Humiliés et offensés parcourt ces mêmes oeuvres pleines de dénonciation, de pitié, aussi ; […] (p. 383) |
« Poète et politique : entretien avec Marie-Claire Blais » dans RICOUART, Janine et Roseanna DUFAULT [dir.], Visions poétiques de Marie-Claire Blais, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2008, p. 26-34. |
JR : Comment expliques-tu ton utilisation du stream of consciousness dans tes derniers romans ? |
BLAIS, Marie-Claire, Des rencontres humaines, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, coll. « Écrire », 2002, 103 p. |
« […] nos livres contiennent généralement cet équilibre entre la part de l'ombre et celle de la lumière. Un lecteur peu attentif ne perçoit pas tout de suite ce contrebalancement et ne lira que noirceur là où la lumière est toujours dans une oeuvre littéraire proportionnée à la nuit. » (p. 24-25) « Que serait Jean-Le Maigre sans son humour, ses qualités poétiques, son imagination débridée ? Et pourtant, il est rare que cet humour, lequel est la partie lumineuse du livre, soit remarqué. » (p. 25) « Même la neige, dans la vie terne de Jean-Le Maigre, joue un rôle lumineux. La neige ensevelit sous sa blancheur ce qui est laid, dégénéré dans une vie misérable, et la lumière chez Jean-Le Maigre, c'est aussi le recours ultime à l'écriture. Il en est ainsi des héros de Victor-Lévy Beaulieu. Jeunes et précoces, ils apprennent à survivre grâce à leurs dons, à ce prodige de l'art qui les rescape de toutes les laideurs. Je pense ici à Race de Monde, qui se rapproche beaucoup d'Une saison dans la vie d'Emmanuel, baignant dans une même lumière diffuse, mais combien fortifiante. » (p. 26) « […] mais l'écrivain s'approprie souvent plusieurs caractères pour tracer un seul portrait, lequel peut varier infiniment lui aussi. » (p. 32) « En écoutant Robert, je me disais que chaque auteur est ainsi un inventeur fabuleux, un magicien. Michel Tremblay applique ses soins magiques à ses personnages, qui deviennent, malgré leur condition sociale, des êtres à la conquête de la beauté. Que cet « objet de beauté » soit la découverte de la peinture ou du théâtre, soudain ils échappent à leur lourdeur de leur condition, par cet amour, cette passion transcendants. Les personnages de Tremblay viennent aussi de cette « cité intérieure » dont parlait Robert avec tant de conviction. » (p. 35) « Dans un livre moins concentré, plus lyrique et plus drôle, écrit beaucoup plus tôt, Un joualonais, sa Joualonie, la ville est là aussi, chaleureuse et bruyante autour de Ti-Pit qui est seul. La ville permet cette ampleur et ce fourmillement de personnages, cet avalé des avalés qu'est Ti-Pit en Joualonie voit tout de la fresque nouvelle de son pays, sa nouveauté comme ses excès et ses erreurs. C'est, qui sait, comme ces héros sans défense de Ducharme, mais à la vaste imagination, un futur écrivain lui aussi, un poète dont l'art sera celui de la satire. Margaret Atwood écrit dans son introduction (traduite de l'anglais par Christiane Teasdale dans l'édition la plus récente parue chez Boréal, en 1999) : « En dépit de l'univers atrophié et déshumanisant dont il est issu, Ti-Pit a su conserver son humour et son intelligence. » Ti-Pit est cet être perspicace bien que sans culture qui nous fait entendre ces voix multiples, tendres ou querelleuses d'un monde en changement dont il est le témoin oral et l'observateur enjoué. C'est un narquois, quelqu'un qui aime rire et se moquer d'une société qui, de ses hauteurs, le traite bien mal. Mais la Joualonie est bien ce que Margaret Atwood appelle « son royaume ». Ti-Pit parle « une langue blessée », dirait Nicole Brossard, une langue « de p'tit gars de la rue », imparfaite mais juteuse, que voudrait lui emprunter le poète Papillon, puriste de la langue, ne serait que pour la citer dans ses ouvrages savants, Papillon qui parle le français neutre des classes moyennes, ce qui signifie, pour Ti-Pit ouvrier, un français qui le châtie de son arrogance. » (p. 62-63) « […] cette Joualonie, le pompeux discours de ses intellectuels, ou la verve de ses humbles citoyens, cette Joualonie variée et polyphonique n'est-elle pas le symbole (comme Soifs le sera plus tard, d'une autre manière) d'une microscopique humanité en proie à tous les essors et croissances ? » (p. 71) « Depuis ce jour de mes onze ou douze ans où ma mère sacrifiait ses économies afin que je puisse acquérir une machine à écrire comme tant d'autres écrivains, l'écriture fut pour moi une raison de vivre et d'aimer, une façon aussi de prolonger l'espérance et la vie car, dans l'écriture, à peine avons-nous terminé un poème, un roman, une pièce de théâtre, qu'un projet s'implante aussitôt dans la pensée « en devenir ». Il n'y a pas d'arrêt dans cette pensée au travail qui s'amorce pour le lendemain, que la fluidité du temps. Cette dette morale envers des parents qui se sont privés pour nous, en un temps où la culture était si peu attrayante dans notre société, nous l'éprouvons aussi envers ceux qui vinrent vers nous, quand nous étions très jeunes. » (p. 93) « On ne peut donc imaginer sa vie sans cet ange d'intransigeance qu'est l'écriture, sans ses tiraillements, ses contradictions, ses bonheurs aussi. Nous savons que tous les genres s'offrent à nous et qu'aucune direction ne nous rebute. Que ce soit la poésie, le théâtre, l'essai, le roman, il ne sera toujours question que de cette précaire condition humaine qui tend parfois à l'extrême notre réflexion. L'aspect fabuleux de la création littéraire, ce sont aussi sa souplesse, son manque de fixité dans le temps. » (p. 94-95) « C'est donc l'écriture qui toujours offre le miracle de ces rencontres et ce perpétuel lien avec le monde d'où ressortent tous les personnages de nos livres, toutes ces figures humaines dont l'écrivain voudrait exorciser le mauvais sort, adoucir les contours de la destinée. Cela, parfois, par le don de la lumière à des êtres que la société relaie à l'obscurité, à cette « invisibilité » dont parlait mon ami Robert, à Cambridge, et ils sont nombreux, majeure partie de l'humanité, pauvres, marginaux, tous gens sans paroles. L'écriture dit ce qui n'est pas dit, parle par ces voix silencieuses, pénètre ces destins longtemps voilés des personnages dans Le Loup, Les Nuits de l'Underground, L'Ange de la solitude. L'écriture éclaire de cette lumière ardente la vie du jeune Christopher, qui doit travailler dans les cuisines d'un grand hôtel parce qu'il est noir. L'écriture est un art qui risque tout. » (p. 103-104) |
EYRE, Janieta, « Tendencies and philosophies : Marie-Claire Blais », dans Berverley DAURIO (dir. préface et postface), The Power to Bend Spoons : Interviews with Canadian Novelists, Toronto, Mercury, 1998, p. 25-30. |
« If Dostoevsky only wrote about his particular experience in the world, we wouldn't have all those women he describes so beautifully. He shows us the female heart, and he speaks about it like a woman. » (p. 26) |
SMITH, Donald, « Deliverance through writing » dans Voices of deliverance : interviews with Quebec & Acadian writers, Toronto, House of Anansi, 1986, p. 129-145. |
« Among the ones you've mentionned, I think Balzac has been enormously important for me, and also Proust. I've read a great deal of non-French literature as well. The whole of Russian literature is very impressive for Quebec writers, who share a very similar emotional outlook. I really enjoy reading. A writer has to be aware of literature. It's the source of our lives, the source of our inspiration, because we have to know how our ancestors, how previous generations, saw the world. » (p. 133) |
FOURNIER, Guy, « Comment l'auteur voit son roman La Belle Bête », Perspectives, vol. 2 no 1 (janvier), 1960, p. 6-7. |
« Nous avons posé à Marie-Claire Blais douze questions concernant son roman. Elle a répondu à dix d'entre elles et passé par-dessus celles qui lui demandaient d'expliquer pourquoi son roman se situe dans un milieu exotique et si ses personnages évoluent dans une symbolique. |
DASSYLVA, Martial. « Une petite jeune fille toute simple », La Presse, 19 juin 1965, p. 1-2. |
Je bifurque ensuite sur les influences. Autrefois, Cocteau et Kafka. Aujourd'hui, Kafka. Elle relit souvent « Le Procès ». Aujourd'hui, toujours, des écrivains de langue anglaise : Virginia Woolf et Faulkner (le Faulkner de « Sanctuaire »). |
BASILE, Jean, « Vous êtes née dans une île… » (entretien avec Mare-Claire Blais, Le Devoir, 23 avril 1966, p. 17. |
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