George Sand
Ěý(1804-1876)
Dossier
Le roman selon George Sand
Raconter l'idéal : George Sand et le roman, par Étienne Poirier, 2020 |
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La popularitĂ© et l’ampleur de la production romanesque de George Sand sont des plus impressionnantes. Entre la parution de son premier ouvrage, Indiana, en 1832 et Albine, qu’elle laisse inachevĂ© Ă sa mort en 1876, elle aura publiĂ© plus d’une soixantaine de romans, auxquels s’ajoutent de nombreux contes, nouvelles et autres rĂ©cits, dont plusieurs sont encore largement lus, Ă©tudiĂ©s et enseignĂ©s de nos jours – pensons Ă La Petite Fadette (1849), François le champi (1850) et Les MaĂ®tres sonneurs (1852) issus du cycle de romans champĂŞtres entamĂ© avec La Mare au diable (1846), mais aussi Ă ł˘Ă©±ôľ±˛ą (1833), Mauprat (1837), Spiridion (1839) et Consuelo (1842), pour ne nommer que les titres les plus connus. Les multiples rĂ©Ă©ditions de ses ouvrages au cours des deux derniers ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đs tĂ©moignent aussi de sa renommĂ©e persistante. Constamment affairĂ©e Ă l’écriture d’une nouvelle Ĺ“uvre, George Sand se pose dès lors comme un « praticien du roman[i] », bien plus que comme une thĂ©oricienne du genre. En effet, malgrĂ© cette production imposante, la romancière rĂ©flĂ©chit relativement peu en profondeur sur sa pratique. Mis Ă part quelques mentions Ă©parpillĂ©es au sein de sa monumentale correspondance – plus de 20 000 lettres –, on retiendra principalement les « Notices » Ă ses ouvrages qu’elle rĂ©dige lors d’une Ă©dition de ses Ĺ“uvres complètes en 1853, certains passages de son autobiographie, Histoire de ma vie, publiĂ©e en 1854, ainsi que les lettres Ă©crites Ă Gustave Flaubert pour situer sa pensĂ©e du roman. Ă€ l’écart des Ă©coles littĂ©raires qui se forment au cours du ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ, George Sand aborde le roman sous deux aspects complĂ©mentaires : comme un rĂ©cit bien construit, issu de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô et de l’imagination, et comme un espace permettant de rendre une vision idĂ©alisĂ©e du monde et de la sociĂ©tĂ©. °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ©, la matrice romanesque. NĂ©e en 1804, Aurore Dupin, qui prend le pseudonyme de George Sand Ă la parution de Rose et Blanche, co-Ă©crit avec Jules Sandeau en 1829, reconnaĂ®t avoir toujours eu un intĂ©rĂŞt Ă se raconter des histoires. Dans son autobiographie, elle confie avoir Ă©tĂ© longtemps portĂ©e par ses rĂŞveries, qui prĂ©cèdent son apprentissage de la lecture : « je ne cherchais dans les livres que les images; mais tout ce que j’apprenais par les yeux et par les oreilles entrait en Ă©bullition dans ma petite tĂŞte, et j’y rĂŞvais au point de perdre souvent la notion de rĂ©alitĂ© et du milieu oĂą je me trouvais[ii] ». Ce dĂ©sir de crĂ©er des histoires, et l’apparente facilitĂ© Ă le faire, est tout Ă fait fondamental dans le rapport au roman qu’entretient Sand. Si elle avoue avoir Ă©tĂ© déçue par ses premières tentatives d’écriture, qu’elle juge peu satisfaisantes[iii], elle demeure fascinĂ©e par la crĂ©ation : « le besoin d’inventer et de composer ne m’en tourmentait pas moins. Il me fallait un monde de fictions, et je n’avais jamais cessĂ© de m’en crĂ©er un que je portais partout avec moi, dans mes promenades, dans mon immobilitĂ©, au jardin, aux champs, dans mon lit avant de m’endormir et, en m’éveillant, avant de me lever[iv] ». C’est dans ce contexte qu’émerge °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ©, premier « roman » de Sand, Ă partir duquel on peut tirer certaines remarques sur sa conception gĂ©nĂ©rale du genre. Bien qu’elle le qualifie effectivement de roman, °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© n’est cependant pas plus que le fruit des rĂŞveries de Sand, dont elle rĂ©sume ainsi la conception : « voilĂ qu’en rĂŞvant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiant rien que je sache : c’était un assemblage fortuit de syllabes comme il s’en forme dans les songes. Mon fantĂ´me s’appelait °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ©, et ce nom lui resta. Il devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion[v] ». Rien de plus qu’une rĂŞverie, °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© souligne toutefois la puissance de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô chez Sand et sa capacitĂ© remarquable Ă crĂ©er des rĂ©cits. PrĂ©cĂ©dant tous ses autres ouvrages, il constitue sans doute la meilleure image pour reprĂ©senter le processus crĂ©atif de la romancière. Lorsqu’elle cesse d’y rĂŞver, °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© prend le rĂ´le qui s’apparente Ă celui d’une matrice de l’ensemble de la production qui suivra : « je remis °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© Ă sa vĂ©ritable place, c’est-Ă -dire que je le rĂ©intĂ©grai, dans mon imagination, parmi les songes; mais il en occupa toujours le centre, et toutes les fictions qui continuèrent Ă se former autour de lui Ă©manèrent toujours de cette fiction principale[vi] ». Dans l’image de cette première fiction, il devient possible de voir, en germe, les Ă©lĂ©ments principaux de la conception romanesque de Sand. °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© confirme d’abord l’importance primordiale accordĂ©e au rĂ©cit et Ă l’imagination. Il convient d’ailleurs de souligner que, si elle a touchĂ© au roman, au conte, Ă l’autobiographie et au théâtre, peu de diffĂ©rences subsistent entre ces genres pour Sand qui dĂ©sire avant tout raconter des histoires. Elle demeure assez classique dans la structure qu’elle donne Ă ses romans, mais accorde tout de mĂŞme une grande importance Ă la fluiditĂ© du rĂ©cit. Cela explique d’ailleurs pourquoi la vie d’une personne °ůĂ©±đ±ô±ô±đ ne peut crĂ©er de bons ouvrages, selon elle : « le roman serait forcĂ© de se plier aux exigences de ce caractère, ce ne serait plus un roman. Cela n’aurait ni exposition, ni intrigue, ni nĹ“ud, ni »ĺĂ©˛Ô´ÇłÜ±đłľ±đ˛ÔłŮ; cela irait tout de travers comme la vie et n’intĂ©resserait personne, parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d’idĂ©al de la vie[vii] ». Si l’on reviendra sur la notion d’idĂ©al, on remarque aussi que la construction adĂ©quate du rĂ©cit est essentielle Ă la pratique romanesque de Sand. Dans la « Notice » qui prĂ©cède Lucrezia Floriani (1847), elle rĂ©itère cette position : « je dĂ©clare aimer beaucoup les Ă©vĂ©nements romanesques, l’imprĂ©vu, l’intrigue, l’action dans le roman. Pour le roman comme pour le théâtre, je voudrais que l’on trouvât le moyen d’allier le mouvement dramatique Ă l’analyse vraie des caractères et des sentiments humains[viii] ». De mĂŞme, lorsqu’elle commente sur l’avancĂ©e de l’écriture ses romans, elle semble ĂŞtre guidĂ©e par le dĂ©veloppement logique des rĂ©cits. Elle demande souvent Ă son Ă©diteur d’accepter que ses romans soient plus volumineux, citant notamment « les besoins de l’action[ix] », et critique frĂ©quemment la forme que prennent ses ouvrages, presque malgrĂ© elle, lorsqu’elle les Ă©crit : « votre avis sur le commencement Ă©tait bon et je l’avais suivi d’avance, la brusquerie de la rentrĂ©e en matière m’ayant frappĂ©e[x] »; « cette phase de mon roman est lourde, je le sais. C’est l’appesantissement logique d’une situation qui va Ă©clater[xi] ». Le »ĺĂ©˛Ô´ÇłÜ±đłľ±đ˛ÔłŮ de ses Ĺ“uvres est aussi source de prĂ©occupation : « est-ce que vous ne trouvez pas que c’est vers la fin, qu’on voudrait repartir pour un dĂ©veloppement complet de la destinĂ©e des personnages?[xii] »; « j’ai toujours des scrupules sans fin, quand il s’agit de dire bonsoir au lecteur[xiii] ». Tout comme la jeune enfant qui rĂŞvassait, Sand se laisse guider en grande partie par l’élan qui l’inspire et qui dicte la forme du rĂ©cit : « j’avoue que je me rends peu compte de ce que je fais, et que j’ai aujourd’hui, tout comme Ă quatre ans un laisser-aller invincible dans ce genre de crĂ©ation[xiv] ». Elle utilise cette dĂ©faite devant ses Ă©diteurs : « je vous l’ai fait un peu attendre parce que ce roman s’est prolongĂ© au-delĂ de ce que je croyais[xv] » et refuse d’anticiper la taille de ses romans avant d’être assez avancĂ©e dans l’écriture : « quand j’ai une idĂ©e Ă dĂ©velopper il me faut un espace court ou long dont je ne peux pas me rendre compte[xvi] ». Consciente que cette façon de travailler est parfois risquĂ©e et peut mener Ă des romans très longs, comme Consuelo, un de ses ouvrages les plus volumineux, elle excuse ces Ă©carts en rappelant la nĂ©cessitĂ© de bien construire l’intrigue : « ce dĂ©faut, qui ne constitue pas dans un »ĺĂ©ł¦´ÇłÜ˛őłÜ, mais dans une ˛őľ±˛ÔłÜ´Ç˛őľ±łŮĂ© d’évĂ©nements, a Ă©tĂ© l’effet de mon infirmitĂ© ordinaire : l’absence de plan[xvii] ». C’est aussi pourquoi elle se montre si rĂ©ticente Ă accepter la publication de ses romans en feuilletons, reconnaissant que les rĂ©cits Ă structure simple, mais parfois sinueuse, sont moins accessibles dans un format qui privilĂ©gie gĂ©nĂ©ralement la multiplication des pĂ©ripĂ©ties : « ce mode exige un art particulier que je n’ai pas essayĂ© d’acquĂ©rir, ne m’y sentant pas propre[xviii] »; « il n’y a pas assez d’accidents et de surprises dans mes romans pour que le lecteur s’amuse au dĂ©chiquetage de l’attente[xix] ». Il faut donc privilĂ©gier la fluiditĂ© de l’écriture, qui assure une fluiditĂ© au rĂ©cit, Ă une attention trop portĂ©e sur le style. Tout au long de sa vie, l’écrivaine rĂ©dige principalement la nuit, lors de longues pĂ©riodes de solitude interrompues pour s’immerger dans ses histoires. Elle se distingue ici de Flaubert, Ă qui elle en fait la remarque : « quand je vois le mal que mon vieux se donne pour faire un roman, ça me dĂ©courage de ma facilitĂ©, et je me dis que je fais de la littĂ©rature ˛ő˛ą±ą±đłŮĂ©±đ[xx] ». De mĂŞme, le style la prĂ©occupe beaucoup moins que son correspondant : « quant au style, j’en fais meilleur marchĂ© que vous. Le vent joue de ma vieille harpe comme il lui plaĂ®t d’en jouer. Il a ses hauts et ses bas, ses grosses notes et ses dĂ©faillances, au fond ça m’est Ă©gal, pourvu que l’émotion vienne[xxi] ». Sand rĂ©dige donc ses romans comme elle rĂŞvait Ă ses personnages imaginĂ©s et Ă leurs histoires lorsqu’elle Ă©tait enfant, en se laissant guider par ses idĂ©es, avec comme principale prĂ©occupation celle de crĂ©er une histoire bien construite. Le rĂ©cit qu’elle donne de la rĂ©daction d’Indiana dĂ©montre d’ailleurs que ses romans ne seraient rien de plus que l’extension de °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© :
De la mĂŞme manière, les personnages et les histoires de Sand disparaissent aussitĂ´t de sa mĂ©moire lorsqu’elle termine un roman : « si je n’avais pas mes ouvrages sur un rayon, j’en oublierais jusqu’à leur titre. On peut me lire un demi-volume de certains romans que je n’ai pas eu Ă revoir en Ă©preuves depuis quelques semaines sans que, sauf deux ou trois noms principaux, je devine qu’ils sont de moi[xxiii] ». Il lui est donc très facile de passer rapidement Ă un prochain ouvrage, sans continuer Ă se tourmenter du prĂ©cĂ©dent : « un roman fini est une Ă©pine sortie du pied que l’on a nulle envie d’y faire rentrer[xxiv] ». Les personnages, tout comme ceux de °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© qui prĂ©cèdent ceux d’Indiana, se succèdent d’une Ĺ“uvre Ă l’autre : « j’ai peint comme je les ai vues quand elles Ă©taient vivantes dans mon imagination. Mais elles s’y sont effacĂ©es, Ă mesure qu’elles ont fait place Ă d’autres, et je ne puis regarder que devant moi; ce qui est derrière n’existe plus[xxv] ». « PrĂ©curseurs de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô », les personnages de °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© illustrent toute la difficultĂ© qu’éprouve Sand Ă expliquer d’oĂą lui vient la source de ses romans, qu’elle semble porter depuis son enfance. La romancière s’interroge souvent sur ce point, mais la rĂ©ponse demeure toujours vague : « ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, voilĂ quelque chose de bien malaisĂ© Ă dĂ©finir et de bien important Ă constater comme un fait surhumain, comme une intervention presque divine[xxvi] ». Si elle ne parvient pas Ă trouver de rĂ©ponse satisfaisante, elle en constate tout de mĂŞme le caractère inattendu : « les romans sont toujours plus ou moins des fantaisies, et il en est de ces fantaisies de l’imagination comme des nuages qui passent. D’oĂą viennent ces nuages et oĂą vont-ils?[xxvii] » C’est pourtant parfois ce qui guide le choix de la forme du rĂ©cit : « je ne suis pas encore certaine de pouvoir abandonner l’idĂ©e que je poursuis maintenant et qui se prĂ©sente sous forme de roman[xxviii] ». Les notices de ses romans permettent d’identifier quelques sources de cette inspiration, mais rĂ©vèlent aussi leur grande variĂ©tĂ©. Sand trouve l’idĂ©e de ses ouvrages dans de petits dĂ©tails de sa vie personnelle – Leone Leoni fut commencĂ© « par la description mĂŞme du lieu, de la fĂŞte extĂ©rieure et du solennel appartement oĂą je me trouvais[xxix] » –, dans l’état d’esprit dans lequel elle se trouve : « cette nostalgie se traduisit pour moi par le roman d’´ˇ˛Ô»ĺ°ůĂ©[xxx] », ou par d’autres Ĺ“uvres qui l’ont touchĂ©e – Le SecrĂ©taire intime lui est venu « après avoir relu les Contes fantastiques »ĺ’H´Ç´Ú´Úłľ˛ą˛Ô˛Ô[xxxi] ». Parfois, un simple sujet lui suffit : Mauprat est crĂ©Ă© Ă la suite de « la pensĂ©e […] de peindre un amour exclusif, Ă©ternel, avant, pendant et après le mariage[xxxii] ». Comparant son travail Ă celui d’un scientifique, Sand conclut que ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô et l’intuition surgissent, au fond, de l’anodin, et d’une forme de hasard :
L’intuition se rĂ©sume ici Ă l’étincelle qui permet Ă l’imagination, ou Ă la rĂŞverie, de s’emballer et de crĂ©er un nouveau roman. Ce qu’elle qualifie d’ « attrait mystĂ©rieux » qu’elle « subi[t] sans vouloir [s]’en dĂ©fendre quand il se prĂ©sente[xxxiv] » contribue certainement Ă la poussĂ©e crĂ©atrice qui l’anime depuis l’enfance, mais il faudrait se garder de dĂ©fendre que l’œuvre de Sand soit uniquement dĂ©pendante des hasards de l’imagination. Si le rĂ©cit de °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© confirme l’importance de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, c’est en raison du dĂ©sir d’exprimer certains idĂ©aux que Sand dĂ©veloppe une thĂ©orie plus complète du roman. Aux questions de l’imagination et de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, l’enjeu des convictions devient essentiel pour cerner sa pensĂ©e du roman. ł˘Ă©±ôľ±˛ą ou la poursuite de l’idĂ©al. En 1844, lorsque son Ă©diteur Louis VĂ©ron lui dicte quoi Ă©crire dans un roman qu’il souhaiterait publier, George Sand lui rĂ©pond ainsi :
Revenant sur le rĂ´le de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô et de l’imagination dans son processus artistique, elle mentionne aussi, au passage, que ses convictions risquent, tout aussi hasardeusement, de jouer un rĂ´le dans l’écriture. Il s’agit de la position la plus frĂ©quemment adoptĂ©e par Sand lorsqu’elle mentionne les positions sociales ou politiques qui marquent plusieurs de ses romans. La plupart du temps, elle tente de diminuer l’importance accordĂ©e Ă ses opinions dans l’écriture de ses romans. Pourtant, et elle le confie parfois Ă certains de ses correspondants, il apparaĂ®t clair que Sand Ă©crit aussi pour promouvoir ou dĂ©fendre certaines idĂ©es, ce que le genre romanesque lui permet. Ă€ cet Ă©gard, il convient de s’arrĂŞter sur le cas de ł˘Ă©±ôľ±˛ą, qui fait figure d’exception dans l’œuvre de Sand puisqu’il s’agit du roman qu’elle a le plus retravaillĂ© et publiĂ© sous une nouvelle version, en 1839, après sa parution initiale en 1833. Contrairement Ă ses autres ouvrages qu’elle oublie rapidement, ł˘Ă©±ôľ±˛ą prĂ©occupe beaucoup la romancière, sans doute en partie Ă cause de sa forte teneur philosophique, intĂ©grant plusieurs rĂ©flexions sur la religion, le progrès et la sociĂ©tĂ©, dans un registre lyrique tout Ă fait romantique. Il est rĂ©vĂ©lateur que Sand ait Ă©tĂ© si attachĂ©e Ă cette Ĺ“uvre dont le propos politique est plus assumĂ©, suggĂ©rant par lĂ qu’il joue une plus grande importance qu’elle ne le concède gĂ©nĂ©ralement dans sa conception du roman. Lorsqu’elle entreprend la rĂ©vision de ł˘Ă©±ôľ±˛ą, elle reconnaĂ®t l’importance de cette Ĺ“uvre : « cela m’occupe plus que tout autre roman n’a encore fait. ł˘Ă©±ôľ±˛ą n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela; mais c’est mon idĂ©al. C’est ainsi que je conçois ma muse si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse…[xxxvi] ». La dĂ©cision de retravailler ce roman dĂ©coule aussi du manque de clartĂ© dans le propos, que remarque Sand : « ł˘Ă©±ôľ±˛ą est un livre assez obscur pour moi-mĂŞme. Il fĂ»t Ă©crit sous l’emprise de souffrances morales très vives et très Ă©nergiquement avouĂ©es[xxxvii] ». De mĂŞme, dans la prĂ©face de la seconde Ă©dition, elle explique les objectifs qu’elle s’était fixĂ©e en Ă©crivant ce texte : « ł˘Ă©±ôľ±˛ą a Ă©tĂ© et reste dans ma pensĂ©e un essai ±č´ÇĂ©łŮľ±±çłÜ±đ, un roman fantasque oĂą les personnages ne sont ni complètement faux, ni complètement rĂ©els, comme l’ont voulu les amateurs exclusifs d’analyse de mĹ“urs, ni complètement allĂ©goriques, comme l’ont jugĂ© quelques esprits synthĂ©tiques, mais oĂą ils reprĂ©sentent chacun une fraction de l’intelligence philosophique du XIXe ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ[xxxviii] ». Cette remarque, qui dĂ©coule de sa conviction que « chaque personnage d’un livre soit le reprĂ©sentant d’une des idĂ©es qui circulent dans l’air qu’il respire, qui dominent ou s’insinuent, qui montent ou tombent, qui naissent, qui règnent ou qui finissent[xxxix] » replace ainsi la question des convictions sociales au centre de la crĂ©ation romanesque. C’est ici que l’on approche de la thĂ©orisation la plus complète du roman pour George Sand, thĂ©orie qui demeure implicite dans son Ĺ“uvre, et intuitive, chez l’écrivaine. Celle-ci se fonde sur la reprĂ©sentation d’un monde rĂ©aliste, avec des personnages vraisemblables qui ressentent, le plus souvent, des sentiments amoureux que le roman idĂ©alise :
En somme, tout repose sur l’idĂ©alisation des sentiments et des personnages. Tout en se dĂ©fendant de poser cette thĂ©orie comme unique ou absolue, Sand y revient constamment pour justifier ses propres choix romanesques; c’est le cas lorsqu’elle choisit de rĂ©Ă©crire ł˘Ă©±ôľ±˛ą et ce le demeure tout au long de sa vie. Cela ne revient certainement pas Ă dire que Sand Ă©crit des romans Ă thèse, et elle en explique d’ailleurs la nuance dans une lettre Ă Eugène Sue : « je crois qu’un roman estimable doit ĂŞtre un plaidoyer en faveur d’un gĂ©nĂ©reux sentiment, mais que pour faire un bon roman, il faut que le plaidoyer soit tout au long sans que personne s’en aperçoive[xli] », reconnaissant toutefois qu’elle ne croit jamais y ĂŞtre °ůĂ©±đ±ô±ô±đment parvenue. Le but du roman, selon Sand, se rĂ©sume ainsi : « c’est de peindre l’homme, et qu’on le prenne dans un milieu ou dans l’autre, aux prises avec ses idĂ©es ou avec ses passions, en lutte contre un monde intĂ©rieur qui l’agite, ou contre un monde extĂ©rieur qui le secoue, c’est toujours l’homme en proie Ă toutes les Ă©motions et Ă toutes les choses de la vie[xlii] ». Il faut remarquer qu’un discours implicite se glisse dans la formulation de cet idĂ©al. En effet, la reprĂ©sentation de ces sentiments est soutenue par une position politique que Sand, influencĂ©e par les mouvements socialistes de son Ă©poque, adopte pour transmettre les valeurs de solidaritĂ© et d’égalitĂ© qui lui sont chères, se gardant toutefois insister trop ouvertement sur celles-ci, la censure Ă©tant encore bien prĂ©sente. Sans se revendiquer trop ouvertement d’une position ou d’une autre, on remarque que ses romans sont fortement teintĂ©s de cette vision d’une sociĂ©tĂ© idĂ©alisĂ©e. Dès Indiana, elle reconnaĂ®t avoir portĂ© ces idĂ©aux avant mĂŞme de les avoir bien compris : « ceux qui m’ont lu sans prĂ©tention comprennent que j’ai Ă©crit Indiana avec le sentiment non raisonnĂ©, il est vrai, mais profond et lĂ©gitime, de l’injustice et de la barbarie des lois qui rĂ©gissent encore l’existence de la femme ans le mariage, dans la famille et dans la sociĂ©tĂ©[xliii] ». C’est cependant dans sa correspondance qu’elle affirme plus clairement avoir portĂ© des convictions sociales dans ses romans. Prise dans un procès pour obtenir une sĂ©paration de son mari, Casimir Dudevant, elle repousse la publication d’Engeldwald, qui ne sera d’ailleurs jamais publiĂ©, qu’elle qualifie de « trop rĂ©publicain[xliv] » dans le contexte des recours judiciaires qui l’occupent. Ses autres romans font preuve de positions similaires, qu’elle dĂ©fend fermement devant son Ă©diteur, François Buloz, au moment de faire paraĂ®tre Horace (1842) : « vous voulez que je parle de la bourgeoisie, et que je dise qu’elle est bĂŞte et injuste; de la sociĂ©tĂ©, et que je ne la trouve pas absurde et impitoyable; enfin que je ne me permette pas d’avoir un sentiment et une manière de voir sur les faits que je retrace[xlv] ». Elle lui fournit mĂŞme des exemples de ses prises de position dans des ouvrages prĂ©cĂ©demment publiĂ©s : « relisez donc deux ou trois pages de Jacques et de Mauprat, dans tous mes livres jusque dans les plus innocents, jusque dans les ˛Ń´Ç˛ő˛ąĂŻ˛őłŮ±đ˛ő, jusque dans la dernière Aldini, vous y verrez une opposition continuelle contre vos bourgeois, vos hommes rĂ©flĂ©chis, vos gouvernements, votre inĂ©galitĂ© sociale, et une sympathie constante pour les hommes du peuple[xlvi] ». Cette querelle, qui mettra fin Ă la collaboration avec son Ă©diteur Ă la suite d’un autre procès, prouve que la question politique n’est pas anodine pour la romancière. MĂŞme lorsqu’elle choisit de se tourner vers l’écriture de romans champĂŞtres, elle se justifie sur la base de raisons politiques : « je ne sais pas si un temps viendra oĂą la presse sera libre, mais je sais que depuis longtemps elle ne l’est plus, et que je fais de la littĂ©rature pure et simple vu que je ne sais pas philosopher Ă demi quand je m’en mĂŞle[xlvii] ». S’il est impossible pour Sand d’évincer la question politique, elle se garde le plus souvent d’insister sur ce point en public, rĂ©pĂ©tant qu’elle ne cherche pas Ă affirmer quoi que ce soit dans ses Ĺ“uvres, mais plutĂ´t Ă exprimer un idĂ©al qui l’habite :
Revenant sur la question de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô pour justifier sa reprĂ©sentation des idĂ©aux, Sand explique clairement comment elle souhaite que sa thĂ©orie et ses romans soient compris : comme un parti pris clair, mais jamais comme un dogme, ou mĂŞme comme quelque chose d’entièrement applicable Ă la rĂ©alitĂ© qui l’inspire. Convaincue, Sand n’est donc pas pour autant doctrinaire ou dogmatique, comme elle se plaĂ®t Ă appeler les Ă©coles littĂ©raires qui se dĂ©veloppent au cours du ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ. Si elle est certainement fortement influencĂ©e par le mouvement romantique, dont ł˘Ă©±ôľ±˛ą constitue un des exemples les plus apparents, elle en reconnaĂ®t aussi les limites : « l’art a cru trouver dans les formes nouvelles du romantisme une nouvelle puissance d’expansion. L’art a pu y gagner, mais l’âme humaine n’élève ses facultĂ©s que relativement, et la soif de perfection, le besoin de l’infini restent les mĂŞmes, Ă©ternellement avides, Ă©ternellement inassouvis[xlix] ». Son intĂ©rĂŞt pour les prĂ©romantiques est attestĂ© dans ses ouvrages. L’influence de Jean-Jacques Rousseau se fait Ă©videmment ressentir au niveau esthĂ©tique comme politique, mais il faut aussi mentionner celle de Chateaubriand, dont la lecture de ¸é±đ˛ÔĂ© fut marquante : « j’en fus singulièrement affectĂ©. Il me sembla que ¸é±đ˛ÔĂ©, c’était moi[l] », ainsi que de Goethe, Senancour, Byron et Mickiewicz, tous mentionnĂ©s dans la prĂ©face de ł˘Ă©±ôľ±˛ą[li]. Elle se dĂ©fend toutefois d’appartenir strictement Ă ce mouvement, tout comme elle critique fĂ©rocement la thĂ©orie de l’art pour l’art, qui contredit sa propre conception du roman : « jamais pĂ©dantisme ne fut poussĂ© plus loin dans l’absurde que cette thĂ©orie de l’art pour l’art […] L’art pour l’art est un mot creux, absolument faux et qu’on a perdu bien du temps Ă vouloir dĂ©finir sans en venir Ă bout : parce qu’il est tout bonnement impossible de trouver un sens Ă ce qui n’en a pas[lii] ». Elle est tout aussi sceptique devant les Ă©coles rĂ©aliste et naturaliste qui se succèdent au cours du ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ, n’hĂ©sitant pas Ă en critiquer les principes auprès de leurs plus grands dĂ©fenseurs, de Champfleury Ă Flaubert. Pourtant, elle en accepte quelques principes : elle Ă©crit, dans la notice au Compagnon du Tour de France (1841), qu’« il y aurait toute une littĂ©rature nouvelle Ă crĂ©er avec les vĂ©ritables mĹ“urs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littĂ©rature commence au sein mĂŞme du peuple; elle en sortira brillante avant peu de temps. C’est lĂ que se retrempera la muse romantique […] qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille[liii] ». Annonçant une position chère au °ůĂ©˛ą±ôľ±˛őłľ±đ, elle rejette cependant l’idĂ©e de peindre des personnages sur nature, qui contrastent effectivement avec son dĂ©sir de reprĂ©senter un monde idĂ©alisĂ©. Si elle rachète Flaubert dont le talent lui paraĂ®t indĂ©niable, elle le fait en dĂ©fendant que c’est en partie parce qu’il ne correspond pas aux codes de l’école, que l’on imagine ĂŞtre ceux dĂ©fendus par Champfleury : « le nom de rĂ©alisme ne convient pas, parce que l’art est une interprĂ©tation multiple, infinie. C’est l’artiste qui crĂ©e le rĂ©el en lui-mĂŞme, son rĂ©el Ă lui, et pas celui d’un autre[liv] ». Elle blâme aussi l’école pour expliquer les reproches qu’elle adresse aux frères Goncourt : « c’est la jeune Ă©cole, je le sais. On veut tout dire, tout dĂ©ł¦°ůľ±°ů±đ, ne pas laisser un brin d’herbe dans l’ombre, compter les festons et les astragales. C’est Ă©blouissant, mais parfois ça l’est trop[lv] ». Zola et le naturalisme se font aussi blâmer : « l’art doit ĂŞtre la recherche de la vĂ©ritĂ©, et […] la vĂ©ritĂ© n’est pas la peinture du mal. Elle doit ĂŞtre la peinture du bien et du mal[lvi] ». Ultimement, les reproches de Sand aux mouvements littĂ©raires qu’elle traverse se lient toujours aux idĂ©aux dont elle investit le roman. Ă€ la fin de sa vie, elle Ă©crit encore Ă Flaubert en quoi le rĂ©alisme ne parvient pas, selon elle, Ă saisir toutes les possibilitĂ©s du roman : « cette volontĂ© de peindre les choses comme elles sont, les aventures de la vie comme elles se prĂ©sentent Ă la vue, n’est pas bien raisonnĂ©e, selon moi. Peignez en rĂ©aliste ou en poète les choses inertes, cela m’est Ă©gal; mais quand on aborde les mouvements du cĹ“ur humain, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas vous abstraire de cette contemplation[lvii] ». Dans une autre lettre qui lui est adressĂ©e, elle rĂ©pète : « je veux voir l’homme tel qu’il est. Il n’est pas bon ou mauvais, il est bon et mauvais […] Il me semble que ton Ă©cole ne se prĂ©occupe pas du fond des choses et qu’elle s’arrĂŞte trop Ă la surface […] On est homme avant tout. On veut trouver l’homme au fond de toute histoire et de tout fait[lviii] ». Impossible, pour Sand, d’envisager le roman sans y replacer au centre l’expĂ©rience humaine, qu’il doit toujours chercher Ă exprimer et Ă idĂ©aliser. Le « praticien du roman ». Ă€ l’écart des Ă©coles, Sand se tient Ă©galement en retrait du milieu littĂ©raire français, prĂ©fĂ©rant entretenir des amitiĂ©s qui lui sont chères Ă une vie mondaine chargĂ©e : « quant Ă la vie littĂ©raire, je ne la connais pas[lix] », Ă©crit-elle. La posture publique qu’elle adopte s’en ressent certainement, et l’expression de « praticien du roman » semble tout Ă fait appropriĂ©e pour dĂ©crire celle qui rĂ©dige le plus souvent Ă Nohant, loin du milieu parisien, et qui se mĂŞle peu aux cercles de ses contemporains. Dès ses premières annĂ©es comme romancière, alors qu’elle vit toujours Ă Paris, elle se montre peu intĂ©ressĂ©e par les cercles littĂ©raires : « je vois de loin en loin dans les dĂ®ners littĂ©raires oĂą je vais très rarement Mr de Vigny, Auguste Barbier, Alexandre Dumas, Ampère, Jouffroy, Loève-Veimars, L’Herminier, etc., un tas de cĂ©lĂ©britĂ©s dont je me soucie guère jusqu’ici[lx] ». Cette mise en retrait volontaire demeure constante au cours de sa carrière, et elle se montre tout aussi peu intĂ©ressĂ©e Ă se joindre aux cercles littĂ©raires sous le Second Empire que sous la monarchie de Juillet : « j’ai dĂ®nĂ© aujourd’hui pour la 1re fois chez Magny avec mes petits camarades, le dĂ®ner mensuel fondĂ© par Ste-Beuve […] J’ai Ă©tĂ© reçue Ă bras ouverts. Il y a trois ans que l’on m’invite[lxi] ». Si ce dĂ®ner marque la rencontre dĂ©cisive avec Flaubert, force est de constater que Sand est peu impressionnĂ©e par ses « petits camarades » : « ils ont tous beaucoup d’esprit, mais du paradoxe et de l’amour-propre exceptĂ© Berthelot et Flaubert qui ne parlent pas d’eux-mĂŞmes[lxii] ». Ă€ ce titre, si elle se lie d’amitiĂ© avec Flaubert, ce n’est pas pour des raisons d’affinitĂ©s littĂ©raires, mĂŞme s’ils correspondent longuement sur le sujet : « chez les artistes et les lettrĂ©s, je n’ai trouvĂ© aucun fond. Tu es le seul avec qui j’aie pu Ă©changer des idĂ©es autres que celles du mĂ©tier[lxiii] ». Ce type d’amitiĂ©, qui ne se fonde jamais uniquement sur la littĂ©rature, est reprĂ©sentatif des autres relations plus intimes qu’elle entretient avec Alfred de Musset, HonorĂ© de Balzac, Alexandre Dumas fils et plusieurs autres. Son rapport Ă ses contemporains est rĂ©vĂ©lateur de la place qu’occupe le roman chez Sand, qui le considère toujours comme une pratique, comme un mĂ©tier plutĂ´t que comme une vocation, refusant d’idĂ©aliser le genre romanesque ou sa propre prose. Ă€ ce titre, il faut remarquer que le choix du nom de plume lui paraĂ®t somme toute peu important : « le nom que je devais mettre sur des couvertures imprimĂ©es ne me prĂ©occupa guère[lxiv] ». Il est vrai que ce nom, qui ne lui garantit pas l’anonymat qu’elle aurait souhaitĂ©, n’ayant jamais cherchĂ© Ă devenir cĂ©lèbre, lui devient bien plus significatif dans le cadre de sa vie sociale : facteur d’indĂ©pendance du nom de son mari et de celui hĂ©ritĂ© de l’aristocratie, il consacre l’autonomie de la romancière Ă l’extĂ©rieur de la vie littĂ©raire, ses enfants allant jusqu’à l’adopter comme patronyme. PassionnĂ©e par son mĂ©tier, George Sand ne perd donc jamais de vue qu’il s’agit d’abord d’une façon pour elle de gagner sa vie et d’acquĂ©rir une forme d’indĂ©pendance sociale. Elle se tourne vers l’écriture par nĂ©cessitĂ© financière et parce que c’est ce qui risque de lui assurer de meilleurs revenus : « par goĂ»t, je n’aurais pas choisi la profession littĂ©raire, et encore moins la cĂ©lĂ©britĂ©. J’aurais voulu vivre du travail de mes mains[lxv] ». Avant la publication d’Indiana, c’est encore par nĂ©cessitĂ© qu’elle justifie son entrĂ©e dans le monde des lettres : « je songe donc uniquement Ă augmenter mon bien-ĂŞtre par quelques profits, et, comme je n’ai nulle ambition d’être connue je ne le serai point[lxvi] ». Si l’avenir lui donnera tort, elle demeure convaincue que « la littĂ©rature n’est qu’une portion de [s]a vie[lxvii] ». En cela, elle s’oppose certainement Ă plusieurs de ses contemporains, Flaubert en tĂŞte de liste, Ă qui elle Ă©crit : « la sacro-sainte littĂ©rature, comme tu l’appelles, n’est que secondaire pour moi dans la vie. J’ai toujours aimĂ© quelqu’un plus qu’elle, et ma famille plus que ce quelqu’un[lxviii] ». Cette vision de son travail d’écrivaine se fond dans sa vision du roman : tout comme elle lui permet d’exprimer ses idĂ©aux et ses convictions dans ses Ĺ“uvres, l’écriture lui permet de rĂ©aliser certains de ces idĂ©aux pour elle-mĂŞme : la littĂ©rature lui donne une indĂ©pendance financière et sociale, lui permet d’élever ses enfants seule Ă Nohant et de conserver la propriĂ©tĂ© qui lui est chère Ă son nom. Cet idĂ©al de libertĂ© qu’elle souhaite transmettre ne s’adresse donc pas Ă ses pairs, pas plus que la libertĂ© ne se trouve dans une appartenance Ă ces cercles : « je ne sais pas si tu Ă©tais chez Magny un jour oĂą je leur ai dit qu’ils Ă©taient tous des messieurs. Ils disaient qu’il ne fallait pas Ă©crire pour les ignorants, ils me conspuaient parce que je ne voulais Ă©crire que pour ceux-lĂ , vu qu’eux seuls ont besoin de quelque chose[lxix] ». C’est effectivement aux hommes et aux femmes qu’elle met en scène dans ses ouvrages Ă qui elle s’adresse : « je puis dire que ce qui m’a le plus prĂ©occupĂ©, c’est le dĂ©sir de faire lire Ă la classe pauvre ou malaisĂ©e des ouvrages dont une grande partie a Ă©tĂ© composĂ©e pour elle[lxx] ». Si elle porte une grande attention aux idĂ©aux qu’elle transmet dans ses Ĺ“uvres, on constate que l’écriture mĂŞme des romans reprĂ©sente, pour Sand, une façon toute personnelle de rĂ©aliser certains d’entre eux. Conclusion. La forme romanesque demeure assez simple pour George Sand. Elle se fonde d’abord sur ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, qui surgit du quotidien pour dĂ©marrer le processus crĂ©atif qui trouve sa finalitĂ© dans un rĂ©cit bien construit. Celui-ci, portĂ© par les convictions sociales et politiques de la romancière, doit renvoyer au peuple une vision idĂ©alisĂ©e de la rĂ©alitĂ©, qui rĂ©vèle le potentiel de libertĂ© et d’égalitĂ© que Sand cherche Ă Ă©tablir simultanĂ©ment Ă l’extĂ©rieur de ses romans, d’abord pour elle-mĂŞme, puis pour l’ensemble de la sociĂ©tĂ©. Ă€ cet Ă©gard, le roman constitue une forme d’engagement dans la sociĂ©tĂ© que l’écrivaine habite, bien plus qu’une forme de consĂ©cration artistique. C’est pourquoi elle ne fait jamais preuve d’une grande ambition tout au long de sa carrière, et qu’elle refuse de rejoindre un mouvement ou une Ă©cole littĂ©raire. La crĂ©ation artistique demeure secondaire dans la vie de Sand qui s’accomplit plus pleinement dans sa famille et dans ses amitiĂ©s. VoilĂ sans doute pourquoi la question de la postĂ©ritĂ© ne l’a pas beaucoup prĂ©occupĂ©e. Ă€ l’aube de son soixante-dixième anniversaire, elle Ă©crit quelques mots sur le sujet Ă Flaubert : « tu veux Ă©crire pour les temps. Moi je crois que dans cinquante ans je serai parfaitement oubliĂ©e et peut-ĂŞtre durement mĂ©connue […] Mon idĂ©e a plutĂ´t Ă©tĂ© d’agir sur mes contemporains, ne fĂ»t-ce que sur quelques-uns, et de leur faire partager mon idĂ©al de douceur et de poĂ©sie[lxxi] ». Humblement rĂ©sumĂ©, voilĂ l’art du roman chez Sand : celui de se rejoindre collectivement dans cet idĂ©al partagĂ©Ěý
[i] George Sand, Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1979, p. 211. [ii] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 147. [iii] Ibid., p. 315. [iv] Ibid., p. 316. [v] Ibid., p. 321 [vi] Ibid., p. 634. [vii] Ibid., p. 207. [viii] Id., « Notice » de Lucrezia Floriani, dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1. [ix] Id., Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1979, p. 71. [x] Ibid. [xi] Id., Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 285-286. [xii] Ibid., p. 191. [xiii] Id., Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1970, p. 444. [xiv] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 148. [xv]Id., Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1966, p. 575. [xvi] Id., Correspondance, Tome X – janvier 1851 - mars 1852, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1973, p. 533. [xvii] Id., « Notice » de Consuelo, Paris, Michel LĂ©vy, 1856, p. 1. [xviii] Id., « Notice » de Jeanne dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1. [xix] Id., Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1981, p. 615. [xx] Id., Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 483. [xxi] Ibid., p. 207. [xxii] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 633. [xxiii] Ibid., p. 637. [xxiv] Id., Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1970, p. 548. [xxv] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – dĂ©cembre 1842, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 675. [xxvi] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 631. [xxvii] Id., « Notice » de La Dernière Aldini, dans Ĺ’uvres T. 7, Paris, J. Hetzel et Cie, Victor Lecou, 1855, p. 1. [xxviii] Id., Correspondance, Tome XVIII – aoĂ»t 1863 - dĂ©cembre 1864, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1984, p. 161. [xxix] Id., « Notice » de Leone Leoni dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1. [xxx] Id., « Notice » d’´ˇ˛Ô»ĺ°ůĂ©, Paris, Calmann LĂ©vy, 1882, p. 1-2. [xxxi] Id., « Notice » de Le SecrĂ©taire intime, Paris, Calmann LĂ©vy, 1884, p. 1. [xxxii] Id., « Notice » de Mauprat, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1981, p. 33. [xxxiii] Id., « Notice » de Le Meunier d’Angibault dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1. [xxxiv] Id., « Notice » de Lucrezia Floriani, dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 2. [xxxv] Id., Correspondance, Tome VI – 1843 - juin 1845, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 673. [xxxvi] Id., Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1967, p. 403. [xxxvii] Ibid., p. 93. [xxxviii] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ de l’édition de 1839 » de ł˘Ă©±ôľ±˛ą, Paris, Classiques Garnier, 1960, p. 350. [xxxix] Id., Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1970, p. 56. [xl] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 629. [xli] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – dĂ©cembre 1842, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 108. [xlii] Id., « Notice » de Jeanne dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1. [xliii] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ de l’édition de 1842 » d’Indiana, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2020, p. 46-47. [xliv] Id., Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1967 374 [xlv] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – dĂ©cembre 1842, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 421. [xlvi] Ibid., p. 421. [xlvii] Id., Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 586. [xlviii] Id., « Avant-Propos » de ˛Ń´Ç˛ÔłŮ-¸é±đ±ąĂŞł¦łó±đ, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1869, p. 5. [xlix] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 314. [l] Ibid., p. 477. [li] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ de l’édition de 1839» de ł˘Ă©±ôľ±˛ą, Paris, Classiques Garnier, 1960, p. 351. [lii] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đs gĂ©nĂ©rales » dans Questions »ĺ’a°ůłŮ et de littĂ©rature. Paris, Calmann LĂ©vy, 1878, p. 9. [liii] Id., « Avant-propos » de Le Compagnon du Tour de France, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1869, p. 10. [liv] Id., Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1981, p. 480. [lv] Ibid., p. 719. [lvi] Id., Correspondance, Tome XXIV – avril 1874 - mai 1876, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1990, p. 586. [lvii] Ibid., p. 514. [lviii] Ibid., p. 462. [lix] Id., Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 473. [lx] Id., Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1966, p. 292. [lxi] Id., Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 711. [lxii] Ibid. [lxiii]Id., Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1987, p. 595. [lxiv] Id., Histoire de ma vie, (Ă©d. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 603. [lxv] Ibid., p. 652. [lxvi] Ibid., p. 751. [lxvii] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – dĂ©cembre 1842, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 19. [lxviii] Id., Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1987, p. 748-749. [lxix] Id., Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1987, p. 595-596. [lxx] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đs gĂ©nĂ©rales » dans Questions »ĺ’a°ůłŮ et de littĂ©rature. Paris, Calmann LĂ©vy, 1878, p. 6. [lxxi] Id., Correspondance, Tome XXIII – avril 1872 - mars 1874, (Ă©d. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1989, p. 332. |
Bibliographie
Ouvrages cités |
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Correspondance : SAND, George. Correspondance, Tome I – 1812-1831, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1964. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1966. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1967. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome IV – mai 1837 - mars 1840, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1968. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome V – avril 1840 – dĂ©cembre 1842, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome VI – 1843 - juin 1845, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1970. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome VIII – juillet 1847 - dĂ©cembre 1848, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1971. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome IX – janvier 1849 – dĂ©cembre 1850, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1972. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome X – janvier 1851 - mars 1852, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1973. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XI – avril 1852 - juin 1853, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XII – juillet 1853 - dĂ©cembre 1854, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XIII – janvier 1855 - juin 1856, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1978. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1979. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XVI – juillet 1860 - mars 1862, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XVII – avril 1862 - juillet 1863, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1983. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XVIII – aoĂ»t 1863 - dĂ©cembre 1864, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1984. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XXI – juin 1868 - mars 1870, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1986. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1987. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XXIII – avril 1872 - mars 1874, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1989. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XXIV – avril 1874 - mai 1876, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1990. —â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance, Tome XXV – SupplĂ©ments (1817-1876), Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1991. MĂ©moires et Ă©crits : SAND, George. Histoire de ma vie, Ă©ditĂ© par Brigitte Diaz, Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004 [1854]. —â¶Ä”â¶Ä”. Questions »ĺ’a°ůłŮ et de littĂ©rature. Paris, Calmann LĂ©vy, 1878. Romans,Ěýen ordre chronologiqueĚý: SAND, George. Indiana, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2020 [1832]. —â¶Ä”â¶Ä”. Valentine, Paris, Henri Dupuy, 1832. —â¶Ä”â¶Ä”. ł˘Ă©±ôľ±˛ą, Paris, Classiques Garnier, 1960 [1833]. —â¶Ä”â¶Ä”. Le SecrĂ©taire intime, Paris, Calmann LĂ©vy, 1884 [1834]. —â¶Ä”â¶Ä”. Leone Leoni dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1834]. —â¶Ä”â¶Ä”. ´ˇ˛Ô»ĺ°ůĂ©, Paris, Calmann LĂ©vy, 1882 [1833]. —â¶Ä”â¶Ä”. Jacques, Paris, FĂ©lix Bonnaire, 1834. —â¶Ä”â¶Ä”. Simon, Paris, FĂ©lix Bonnaire, 1836. —â¶Ä”â¶Ä”. Mauprat, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1981 [1837]. —â¶Ä”â¶Ä”. Les MaĂ®tres mosaĂŻstes, Paris, Bonnaire, 1838. —â¶Ä”â¶Ä”. La Dernière Aldini, dans Ĺ’uvres T. 7, Paris, J. Hetzel et Cie, Victor Lecou, 1855 [1838]. —â¶Ä”â¶Ä”. Spiridion, Paris, Bonnaire, 1839. —â¶Ä”â¶Ä”. Les Sept Cordes de la Lyre, Paris, Bonnaire, 1840. —â¶Ä”â¶Ä”. Gabriel, Paris, Bonnaire, 1840. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Compagnon du Tour de France, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1869 [1841]. —â¶Ä”â¶Ä”. Horace, Paris, L. de Potter, 1842. —â¶Ä”â¶Ä”. Consuelo, Paris, Michel LĂ©vy, 1856 [1842-3]. —â¶Ä”â¶Ä”. La Comtesse de Rudolstadt, Paris, L. de Potter, 1844. —â¶Ä”â¶Ä”. Jeanne dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853 [1844]. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Meunier d’Angibault dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1845]. —â¶Ä”â¶Ä”. Isidora, Paris, Hyppolyte Souverain, 1846. —â¶Ä”â¶Ä”. Teverino, Paris, Desessart, 1846. —â¶Ä”â¶Ä”. Le PĂ©chĂ© de M. Antoine, Paris, Hyppolyte Souverain, 1846-7. —â¶Ä”â¶Ä”. La Mare au Diable, Paris, Desessart, 1846. —â¶Ä”â¶Ä”. Lucrezia Floriani, dans Ĺ’uvres illustrĂ©es de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853 [1847]. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Piccinino, Paris, Desessart, 1847. —â¶Ä”â¶Ä”. La Petite Fadette, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1849. —â¶Ä”â¶Ä”. François le Champi, Paris, Alexandre Cadot, 1850. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Château des DĂ©sertes, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1851. —â¶Ä”â¶Ä”. ˛Ń´Ç˛ÔłŮ-¸é±đ±ąĂŞł¦łó±đ, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1869 [1853]. —â¶Ä”â¶Ä”. La Filleule, Paris, Louis Grimaud et Cie, 1853. —â¶Ä”â¶Ä”. Le MaĂ®tres sonneurs, Paris, Alexandre Cadot, 1853. —â¶Ä”â¶Ä”. Adriani, Paris, Alexandre Cadot, 1854. —â¶Ä”â¶Ä”. Évenor et Leucippe, Bruxelles, Alph. Lebègue, 1856. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Diable aux champs, Paris, Librairie Nouvelle, 1857. —â¶Ä”â¶Ä”. La Daniella, Paris, Librairie Nouvelle, 1857. —â¶Ä”â¶Ä”. Les Dames vertes, Paris, L. Hachette et Cie, 1859. —â¶Ä”â¶Ä”. Les Beaux Messieurs de Bois-DorĂ©, Bruxelles, Meline, Cans et Cie, 1858. —â¶Ä”â¶Ä”. L’Homme de neige, Paris, L. Hachette et Cie, 1859. —â¶Ä”â¶Ä”. Narcisse, Paris, L. Hachette et Cie, 1859. —â¶Ä”â¶Ä”. Elle et Lui, Paris, L. Hachette et Cie, 1859. —â¶Ä”â¶Ä”. Flavie, Paris, L. Hachette et Cie, 1859. —â¶Ä”â¶Ä”. Jean de la Roche, Paris, L. Hachette et Cie, 1860. —â¶Ä”â¶Ä”. Constance Verrier, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1860. —â¶Ä”â¶Ä”. La Ville noire, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1861. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Marquis de Villemer, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1861. —â¶Ä”â¶Ä”. łŐ˛ą±ô±ąĂ¨»ĺ°ů±đ, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1861. —â¶Ä”â¶Ä”. La Famille de Germandre, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1861. —â¶Ä”â¶Ä”. Tamaris, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1862. —â¶Ä”â¶Ä”. Antonia, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1863. —â¶Ä”â¶Ä”. Mademoiselle La Quintinie, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1863. —â¶Ä”â¶Ä”. Laura, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1865. —â¶Ä”â¶Ä”. La Confession d’une jeune fille, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1865. —â¶Ä”â¶Ä”. Monsieur Sylvestre, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1866. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Dernier amour, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1867. —â¶Ä”â¶Ä”. Cadio, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1868. —â¶Ä”â¶Ä”. Mademoiselle Merquem, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1868. —â¶Ä”â¶Ä”. Pierre qui roule, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1870. —â¶Ä”â¶Ä”. ˛Ń˛ą±ô˛µ°ůĂ©łŮ´ÇłÜłŮ, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1870. —â¶Ä”â¶Ä”. Le Beau Laurence, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1870. —â¶Ä”â¶Ä”. CĂ©sarine Dietrich, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1871. —â¶Ä”â¶Ä”. Francia, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1872. —â¶Ä”â¶Ä”. Nanon, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1872. —â¶Ä”â¶Ä”. Ma sĹ“ur Jeanne, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1873. —â¶Ä”â¶Ä”. Flamarande, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1875. —â¶Ä”â¶Ä”. Marianne, Paris, Calmann LĂ©vy, 1876. —â¶Ä”â¶Ä”. La Tour de Percemont, Paris, Calmann LĂ©vy, 1876. —â¶Ä”â¶Ä”. Albine, Paris, La Nouvelle Revue, 1er et 15 mars 1881 |
Citations
Histoire de ma vie, édité par Brigitte Diaz, Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004 [1854]. |
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Il est vraiment trop facile de faire la biographie d’un romancier, en transportant les fictions de ses contes dans la rĂ©alitĂ© de son existence. Les frais d’imagination ne sont pas grands. (68) Je me suis passĂ© la fantaisie d’écrire un roman oĂą les oiseaux jouent un rĂ´le assez important et oĂą j’ai essayĂ© de dire quelque chose sur les affinitĂ©s et les influences occultes. C’est Teverino, auquel je renvoie mon lecteur, ainsi que je le ferai souvent quand je ne voudrai pas redire ce que j’ai mieux dĂ©veloppĂ© ailleurs. Je sais bien que je n’écris pas pour le genre humain. Le genre humain a bien d’autres affaires en tĂŞte que de se mettre au courant d’une collection de romans et de lire l’histoire d’un individu Ă©tranger au monde officiel. Les gens de mon mĂ©tier n’écrivent jamais que pour un certain nombre de personnes placĂ©es Ă celles qui les occupent. (72) La vie est un roman que chacun de nous porte en soi, passĂ© et avenir. (102) Je ne comprenais pas encore la lecture des contes de fĂ©es, les mots imprimĂ©s, mĂŞme dans le style le plus Ă©lĂ©mentaire, ne m’offraient pas grand sens, et c’est par le rĂ©cit que j’arrivais Ă comprendre ce qu’on m’avait fait lire. De mon propre mouvement, je ne lisais pas, j’étais paresseuse par nature et n’ai pu me vaincre qu’avec de grands efforts. Je ne cherchais dans les livres que les images; mais tout ce que j’apprenais par les yeux et par les oreilles entrait en Ă©bullition dans ma petite tĂŞte, et j’y rĂŞvais au point de perdre souvent la notion de la rĂ©alitĂ© et du milieu oĂą je me trouvais. (147) Je composais Ă haute voix d’interminables contes que ma mère appelait mes romans. Je n’ai aucun souvenir de ces plaisantes compositions, ma mère m’en a parlĂ© mille fois et longtemps avant que j’eusse la pensĂ©e d’écrire. Elle les dĂ©clarait souverainement ennuyeuses, Ă cause de leur longueur et du dĂ©veloppement que je donnais aux digressions. C’est un dĂ©faut que j’ai bien conservĂ© Ă ce qu’on dit; car, pour moi, j’avoue que je me rends peu compte de ce que je fais, et que j’ai aujourd’hui, tout comme Ă quatre ans un laisser-aller invincible dans ce genre de crĂ©ation. (147-148) J’ai souvent pensĂ© Ă lui en esquissant le portrait d’un certain chanoine qui a Ă©tĂ© goĂ»tĂ© dans le roman de Consuelo. […] J’ai beaucoup changĂ© la ressemblance pour les besoins du roman, et c’est ici le cas de dire que les portraits tracĂ©s de cette sorte ne sont plus des portraits; c’est pourquoi lorsqu’ils paraissent blessants Ă ceux qui croient s’y reconnaĂ®tre, c’est une injustice commise envers l’auteur et envers soi-mĂŞme. Un portrait de roman, pour valoir quelque chose, est toujours une figure de fantaisie. L’homme est si peu logique, si rempli de contrastes et de disparates dans la rĂ©alitĂ©, que la peinture d’un homme rĂ©el serait impossible et tout Ă fait insoutenable dans un ouvrage »ĺ’a°ůłŮ. Le roman entier serait forcĂ© de se plier aux exigences de ce caractère, et ne serait plus un roman. Cela n’aurait ni exposition, ni intrigue, ni nĹ“ud, ni »ĺĂ©˛Ô´ÇłÜ±đłľ±đ˛ÔłŮ; cela irait tout de travers comme la vie et n’intĂ©resserait personne, parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d’idĂ©al de la vie.* (207) *Cette opinion, prise dans un sens absolu, serait très contestable. On s’efforce, en ce moment, de fonder une Ă©cole de rĂ©alisme qui sera un progrès si elle n’outrepasse pas son but et ne devient pas trop systĂ©matique. Mais, dans les ouvrages que j’ai lus, dans ceux de M. Champfleury, entre autres, le rĂ©alisme est encore poĂ©tisĂ© suffisamment pour donner raison Ă la courte thĂ©orie que j’expose. (207) C’est donc une bĂŞtise que de croire qu’un auteur ait voulu faire aimer ou haĂŻr telle ou telle personne en donnant Ă ses personnages quelques traits saisis sur la nature; la moindre diffĂ©rence en fait un ĂŞtre de convention, et je soutiens qu’en littĂ©rature, on ne peut faire d’une figure °ůĂ©±đ±ô±ô±đ une peinture vraisemblable sans se jeter dans d’énormes diffĂ©rences, et sans dĂ©passer extrĂŞmement, en bien ou en mal, les dĂ©fauts et les qualitĂ©s de l’être humain qui a pu servir de premier type Ă l’imagination. (207) D’abord ce furent des romans [que la bonne lisait], dont toutes les femmes de chambre ont la passion, ce qui fait que je pense souvent Ă elles quand j’en Ă©cris. (233) J’étais dĂ©jĂ très artiste sans le savoir, artiste dans ma spĂ©cialitĂ©, qui est l’observation des personnes et des choses. Bien longtemps avant de savoir que ma vocation serait de peindre bien ou mal des caractères et de dĂ©crire des intĂ©rieurs, je subissais avec tristesse et lassitude les instincts de cette destinĂ©e. (241-242) Me laissant aller Ă mon Ă©motion et ne m’inquiĂ©tant pas d’être d’accord avec le jugement de mes auteurs, je donnai Ă mes rĂ©cits la couleur de ma pensĂ©e, et mĂŞme je me souviens que je ne gĂŞnais pas pour orner un peu la sĂ©cheresse de certains fonds. Je n’altĂ©rais point les faits essentiels; mais, quand un personnage insignifiant ou inexpliquĂ© me tombait sous la main, obĂ©issant Ă un besoin invincible d’art, je lui donnais un caractère quelconque que je dĂ©duisais assez logiquement de son rĂ´le ou de la nature de son action dans le drame gĂ©nĂ©ral. (312) L’art a cru trouver dans les formes nouvelles du romantisme une nouvelle puissance d’expansion. L’art a pu y gagner, mais l’âme humain n’élève ses facultĂ©s que relativement, et la soif de la perfection, le besoin de l’infini restent les mĂŞmes, Ă©ternellement avides, Ă©ternellement inassouvis. (314) J’en reviens Ă dire plus clairement et plus positivement que rien de ce que j’ai Ă©crit dans ma vie ne m’a jamais satisfaite, pas plus que mes premiers essais Ă l’âge de douze ans, que les travaux littĂ©raires de ma vieillesse, et qu’il n’y a Ă cela aucune modestie de ma part. (315) Je cessai donc d’鳦°ůľ±°ů±đ, mais le besoin d’inventer et de composer ne m’en tourmentait pas moins. Il me fallait un monde de fictions, et je n’avais jamais cessĂ© de m’en crĂ©er un que je portais partout avec moi, dans mes promenades, dans mon immobilitĂ©, au jardin, aux champs, dans mon lit avant de m’endormir et, en m’éveillant, avant de me lever. (316) J’ai lieu de croire que mon histoire intellectuelle est celle de la gĂ©nĂ©ration Ă laquelle j’appartiens, et qu’il n’est aucun de nous qui n’ait fait, dès son jeune âge, un roman ou un poème. (316) Et voilĂ qu’en rĂŞvant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiait rien que je sache : c’était un assemblage fortuit de syllabes comme il s’en forme dans les songes. Mon fantĂ´me s’appelait °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ©, et ce nom lui resta. Il devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion. (321) D’abord, je me rendis bien compte de cette sorte de travail inĂ©dit; mais, au bout de très peu de temps, de très peu de jours mĂŞme, car les jours comptent triple dans l’enfance, je me sentis possĂ©dĂ©e par mon sujet bien plus qu’il n’était possĂ©dĂ© par moi. Le rĂŞve arriva Ă une sorte d’hallucination douce, mais si frĂ©quente et si complète parfois, que j’en Ă©tais comme ravie hors du monde rĂ©el. (323) Ă€ travers tous ces jeux le roman de °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© continuait Ă se dĂ©rouler dans ma tĂŞte. C’était un rĂŞve permanent, aussi »ĺĂ©ł¦´ÇłÜ˛őłÜ, aussi incohĂ©rent que les rĂŞves du sommeil, et dans lequel je ne me retrouvais que parce qu’un mĂŞme sentiment le dominait toujours. (336) Je le lus enfin, et j’en fus singulièrement affectĂ©e. Il me sembla que ¸é±đ˛ÔĂ© c’était moi. Bien que je n’eusse aucun effroi semblable au sien dans ma vie °ůĂ©±đ±ô±ô±đ, et que je n’inspirasse aucune passion qui pĂ»t motiver l’épouvante et l’abattement, je me sentis Ă©crasĂ©e par ce dĂ©goĂ»t de la vie qui me paraissait puiser assez de motifs dans le nĂ©ant de toutes les choses humaines. (477) VoilĂ pourquoi, ayant rencontrĂ© fort peu d’exceptions au positivisme effrayant de mes contemporains d’âge, j’ai presque toujours vĂ©cu par instinct et par goĂ»t avec des personnes dont j’aurais pu, Ă peu d’annĂ©es près, ĂŞtre la mère. En outre, dans toutes les conditions oĂą j’ai Ă©tĂ© libre de choisir ma manière d’être, j’ai cherchĂ© un moyen d’idĂ©aliser la rĂ©alitĂ© autour de moi et de la transformer en une sorte d’oasis fictive, oĂą les mĂ©chants et les oisifs ne seraient pas tentĂ©s d’entrer ou de rester. (525) Je n’écris pas pour me dĂ©fendre de ceux qui ont un parti pris contre moi. J’écris pour ceux dont la sympathie naturelle, fondĂ©e sur une conformitĂ© d’instincts, m’ouvre le cĹ“ur et m’assure la confiance. C’est Ă ceux-lĂ seulement que je peux faire quelque bien. Le mal que les autres peuvent me faire, Ă moi, je ne m’en suis jamais beaucoup aperçue. (562) J’ébauchai [en 1829] une espèce de roman [La marraine] qui n’a jamais vu le jour; puis, l’ayant lu, je me convainquis qu’il ne valait rien, mais que j’en pouvais aire de moins mauvais, et qu’en somme il ne l’était pas plus que beaucoup d’autres qui faisaient vivre tant bien que mal les auteurs. Je reconnus que j’écrivais vite, facilement, longtemps sans fatigue; que mes idĂ©es, engourdies dans mon cerveau, s’éveillaient et s’enchaĂ®naient, par la dĂ©duction, au courant de la plume; que, dans ma vie de recueillement, j’avais beaucoup observĂ© et assez bien compris les caractères que le hasard avait fait passer devant moi, et que, par consĂ©quent, je connaissais assez la nature humaine pour la dĂ©peindre; enfin, que, de tous les petits travaux dont j’étais capable, la littĂ©rature proprement dite Ă©tait celui qui m’offrait le plus de chances de ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő comme mĂ©tier, et, tranchons le mot, comme gagne-pain. (566) Le nom que je devais mettre sur des couvertures imprimĂ©es ne me prĂ©occupa guère. En tout Ă©tat de choses, j’avais rĂ©solu de garder l’anonyme. […] J’avais Ă©crit Indiana Ă Nohant, je voulus le donner sous le pseudonyme demandĂ©; mais Jules Sandeau, par modestie, ne voulut pas accepter la paternitĂ© d’un livre auquel il Ă©tait complètement Ă©tranger. Cela ne faisait pas le compte de l’éditeur. Le nom est tout pour la vente, et le petit pseudonyme s’étant bien Ă©ł¦´ÇłÜ±ôĂ©, on tenait essentiellement Ă le conserver. Delatouche, consultĂ©, trancha la question par un compromis : Sand resterait intact et je prendrais un autre prĂ©nom qui ne servirait qu’à moi. Je pris vite et sans cherche celui de George qui me paraissait synonyme de Berrichon. Jules et George, inconnus au public, passeraient pour frères ou cousins. (603) Il est donc probable que j’eusse changĂ© ce pseudonyme, si je l’eusse cru destinĂ© Ă acquĂ©rir quelque cĂ©lĂ©britĂ©; mais jusqu’au moment oĂą la critique se dĂ©chaĂ®na contre moi Ă propos du roman de ł˘Ă©±ôľ±˛ą, je me flattai de passer inaperçue dans la foule des lettrĂ©s de la plus humble classe. En voyant que, bien malgrĂ© moi, il n’en Ă©tait plus ainsi, et qu’on attaquait violemment tout dans mon Ĺ“uvre, jusqu’au nom dont elle Ă©tait signĂ©e, je maintins le nom et poursuivis l’œuvre. Le contraire eĂ»t Ă©tĂ© une lâchetĂ©. (604) Et Ă prĂ©sent j’y tiens, Ă ce nom, bien que ce soit, a-t-on dit, la moitiĂ© du nom d’un autre Ă©crivain. Soit. Cet Ă©crivain a, je le rĂ©pète, assez de talent pour que quatre lettres de son nom ne gâtent aucune couverture imprimĂ©e, et ne sonnent point mal Ă mon oreille dans la bouche de mes amis. (604) Je suis trop romanesque pour avoir vu une hĂ©roĂŻne de roman dans mon miroir. Je ne me suis jamais trouvĂ©e ni assez belle, ni assez aimable, ni assez logique dans l’ensemble de mon caractère et de mes actions pour prĂŞter Ă la poĂ©sie ou Ă l’intĂ©rĂŞt, et j’aurais eu beau chercher Ă embellir ma personne et Ă dramatiser ma vie, je n’en serais pas venue Ă bout. (628) Je n’avais pas la moindre thĂ©orie quand je commençai Ă Ă©ł¦°ůľ±°ů±đ, et je ne crois pas en avoir jamais eu quand une envie de roman m’a mis la plume Ă la main. Cela n’empĂŞche pas que mes instincts ne m’aient fait, Ă mon insu, la thĂ©orie que je vais Ă©tablir, que j’ai gĂ©nĂ©ralement suivie sans m’en rendre compte, et qui, Ă l’heure oĂą j’écris, est encore en discussion. (628-629) Selon cette thĂ©orie, le roman serait une Ĺ“uvre de poĂ©sie autant que d’analyse. Il faudrait des situations vraies et des caractères vrais, rĂ©els mĂŞme, se groupant autour d’un type destinĂ© Ă rĂ©sumer le sentiment ou l’idĂ©e principale du livre. Ce type reprĂ©sente gĂ©nĂ©ralement la passion de l’amour, puisque presque tous les romans sont des histoires d’amour. Selon la thĂ©orie annoncĂ©e (et c’est lĂ qu’elle commence), il faut idĂ©aliser cet amour, ce type, par consĂ©quent, et ne pas craindre de lui donner toutes les puissances dont on a l’aspiration en soi-mĂŞme, ou toutes les douleurs dont on a vu ou senti la blessure. Mais, en aucun cas, il ne faut l’avilir dans le hasard des Ă©vĂ©nements; il faut qu’il meure ou triomphe, et on ne doit pas craindre de lui donner une importance exceptionnelle dans la vie, des forces au-dessus du vulgaire, des charmes ou des souffrances qui dĂ©passent tout Ă fait l’habitude des choses humaines, en mĂŞme un peu le vraisemblable admis pas la plupart des intelligences. (629) En rĂ©sumĂ©, idĂ©ation du sentiment qui fait le sujet, en laissant Ă l’art du conteur le soin de placer ce sujet dans des conditions er dans un cadre de rĂ©alitĂ© assez sensible pour le faire ressortir, si, toutefois, c’est bien un roman qu’il veut faire. (629) Cette thĂ©orie est-elle vraie? Je crois que oui; mais elle ne doit pas ĂŞtre absolue. Balzac, avec le temps, m’a fait comprendre, par la variĂ©tĂ© et la force de ses conceptions, que l’on pouvait sacrifier l’idĂ©alisation du sujet Ă la vĂ©ritĂ© de la peinture, Ă la critique de la sociĂ©tĂ© et de l’humanitĂ© mĂŞme. (629) S’il n’y avait qu’une Ă©cole et qu’une doctrine dans l’art, l’art pĂ©rirait vite, faute de hardiesse et de tentatives nouvelles. L’homme va toujours cherchant avec douleur le vrai absolu, dont il a le sentiment, et qu’il ne trouvera jamais en lui-mĂŞme l’état d’individu. La vĂ©ritĂ© est le but d’une recherche pour laquelle toutes les forces collectives de notre espèce ne sont pas de trop; et cependant, erreur Ă©trange et fatale, dès qu’un homme de quelque capacitĂ© aborde cette recherche, il voudrait l’interdire aux autres et donner pour unique dĂ©couverte celle qu’il croit tenir. (631) L’inspiration, voilĂ quelque chose de bien malaisĂ© Ă dĂ©finir et de bien important Ă constater comme un fait surhumain, comme une intervention presque divine. (631) Je sentis en commençant Ă Ă©crire Indiana une motion très vive et très particulière, ne ressemblant Ă rien de ce que j’avais Ă©prouvĂ© dans mes prĂ©cĂ©dents essais. Mais cette Ă©motion fut plus pĂ©nible qu’agrĂ©able. J’écrivis tout d’un jet, sans plan, je l’ai dit, et littĂ©ralement sans savoir oĂą j’allais, sans m’être rendu compte du problème social que j’abordais. […] J’avais en moi seulement, comme un sentiment bien net et bien ardent, l’horreur de l’esclavage brutal et bĂŞte. (632) J’écrivis donc ce livre sous l’empire d’une Ă©motion et non d’un système. Cette Ă©motion, lentement amassĂ©e dans le cours d’une vie de rĂ©flexions, dĂ©borda très impĂ©rieuse dès que le cadre d’une situation quelconque s’ouvrit pour la contenir; mais elle s’y trouva fort Ă l’étroit, et cette sorte de combat entre l’émotion et l’exĂ©cution me soutint pendant six semaines dans un Ă©tat de volontĂ© tout nouveau pour moi. (633) Mais mon pauvre °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© s’envola pour toujours, dès que j’eus commencĂ© Ă me sentir dans cette veine de persĂ©vĂ©rance sur un sujet donnĂ©. Il Ă©tait d’une essence trop subtile pour se plier aux exigences de la forme. Ă€ peine eus-je fini mon livre, que je voulus retrouver le vague ordinaire de mes rĂŞveries. Impossible! Les personnages de mon manuscrit, enfermĂ©s dans un tiroir, voulurent bien y rester tranquilles; mais j’espĂ©rai en vain voir reparaĂ®tre °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ©, et avec lui ces milliers d’êtres qui me berçaient tous les jours de leurs agrĂ©ables divagations, ces figures Ă moitiĂ© nettes, ces voix Ă moitiĂ© distinctes qui flottaient autour de moi comme un tableau animĂ© derrière un voile transparent. Ces chères visions n’étaient que les prĂ©curseurs de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô. Elles se cachèrent cruellement au fond de l’encrier, pour n’en plus sortir que quand je m’enhardirais Ă les y chercher.Ěý(633) Quand je fus dans l’âge oĂą l’on rit de sa propre naĂŻvetĂ©, je remis °ä´Ç°ů˛ąłľ˛úĂ© Ă sa vĂ©ritable place; c’est-Ă -dire que je le rĂ©intĂ©grai, dans mon imagination, parmi les songes; mais il en occupa toujours le centre, et toutes les fictions qui continuèrent Ă se former autour de lui Ă©manèrent toujours de cette fiction principale. (634) Mes personnages prirent une autre manière de se manifester. Je ne les vis plus flotter dans un coin de ma chambre ni passer dans mon jardin Ă travers les arbres : mais, en fermant les yeux, je les vis plus nettement dessins, et leurs paroles, n’arrivant plus Ă mon oreille par de mystĂ©rieux murmures, se gravèrent plus distinctes dans mon esprit. Quand ils vinrent dans mon sommeil, ils ne firent plus que m’ennuyer; mais quand j’étais dans mon armoire (le petit bureau de mon cabinet), ils me parlaient et agissaient sur mon papier blanc, bien ou mail mais d’une façon brusque et impĂ©rieuse qui avait aussi son charme. (636) J’eus Ă peine terminĂ© mon premier manuscrit, qu’il s’effaça de ma mĂ©moire, non pas peut-ĂŞtre d’une manière aussi absolue que les nombreux romans que je n’avais jamais Ă©crits, mais au point de ne plus m’apparaĂ®tre que vaguement. (637) Si je n’avais pas mes ouvrages sur un rayon, j’oublierais jusqu’à leur titre. On peut me lire un demi-volume de certains romans que je n’ai pas eu Ă revoir en Ă©preuves depuis quelques semaines, sans que, sauf deux ou trois ouvrages sur un rayon, j’oublierais jusqu’à leur titre. On peut me lire un demi-volume de certains romans que je n’ai pas eu Ă revoir en Ă©preuves depuis quelques semaines, sans que, sauf deux ou trois noms principaux, je devine qu’ils sont de moi. (637) J’ai mis depuis environ quinze ans, depuis l’époque oĂą j’ai vu qu’on les lisait et qu’on les discutait, la plus grande conscience Ă les livrer aussi finis qu’il m’était possible. Mais, exceptĂ© un ou deux, je n’ai jamais pu rien y refaire. L’entrain Ă©puisĂ©, il ne me reste plus la moindre certitude sur la valeur de la forme qu’il a prise, et je changerais tout, s’il me fallait changer quelque chose. (637) C’est, du reste, une chose si variĂ©e dans son mĂ©canisme que ce que l’on appelle ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô dans les arts, que plus on s’enquiert des particularitĂ©s extĂ©rieures, moins on est Ă mĂŞme de trouver une synthèse pour les opĂ©rations du cerveau. (639) Par goĂ»t, je n’aurais pas choisi la profession littĂ©raire, et encore moins la cĂ©lĂ©britĂ©. J’aurais voulu vivre du travail de mes mains, assez fructueusement pour pouvoir faire consacrer mon droit au travail par un petit °ůĂ©˛őłÜ±ôłŮ˛ąłŮ sensible, mon revenu patrimonial Ă©tant trop mince pour me permettre de vivre ailleurs que sous le toit conjugal, oĂą rĂ©gnaient des conditions inacceptables. (652) Ce qui, du reste, m’a mise Ă l’aise toute ma vie en Ă©crivant des livres, c’est la conscience du peu de popularitĂ© qu’ils devaient avoir. Par popularitĂ©, je n’entends pas qu’ils dussent, par leur nature, rester dans la rĂ©gion aristocratique des intelligences. Ils ont Ă©tĂ© mieux lus et mieux compris par ceux des hommes du peuple qui portent le sentiment de l’idĂ©al dans leur aspiration, que par beaucoup »ĺ’a°ůłŮistes qui ne se soucient que du monde positif. Mais, soit dans le peuple, soit dans l’aristocratie, je n’ai dĂ» contenter, Ă coup sĂ»r, que le très petit nombre. (723) Je sentis alors l’effroi de cette vie de travail dont j’avais acceptĂ© toutes les responsabilitĂ©s. Il ne m’était plus permis de m’arrĂŞter un instant, de revoir mon Ĺ“uvre, d’attendre ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, et j’avais des accès de remords en songeant Ă tout ce temps consacrĂ© Ă un travail frivole, quand mon cerveau Ă©prouvait le besoin de se livrer Ă de salutaires mĂ©ditations. Les gens qui n’ont rien Ă faire et qui voient les artistes produire avec facilitĂ© sont volontiers surpris du peu d’heures, du peu d’instants qu’ils peuvent se rĂ©server Ă eux-mĂŞmes. Ils ne savent pas que cette gymnastique de l’imagination, quand elle n’altère pas la santĂ©, laisse du moins une excitation des nerfs, une obsession d’images et une langueur de l’âme qui ne permettent pas de mener de front un autre genre de travail. (751) |
Correspondance, Tome I, 1812-1831, Ă©ditĂ© par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque du XIXe ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ », 2013. |
Cela ne veut pas dire que je dĂ©daigne les Ĺ“uvres des contemporains, mais seulement que la postĂ©ritĂ© jugera les hommes mieux que nous. Je voudrais avoir quelque chose de Benjamin Constant et surtout de Royer-Collard. Mais quoi? Je ne suis pas au courant de ces publications. (502-503) Depuis que tu m’as mis en tĂŞte d’écrire quelque chose pour toi, ma douce Jane, je n’ai plus ni appĂ©tit ni sommeil. J’aimerais mieux en mourir d’étisie que de manquer Ă ma promesse et au milieu du tourment que ce projet me donne, j’éprouve cependant un dĂ©sir toujours plus vif de surmonter des difficultĂ©s, dont le °ůĂ©˛őłÜ±ôłŮ˛ąłŮ sera de te forcer de penser Ă moi tout le temps que durera la lecture de mon livre. Mais hĂ©las! un livre! comment faire? Par oĂą commencer, surtout lorsque comme moi on a l’habitude de prendre tous les livres par la fin! Tu me donnes pourtant toute la latitude possible, que ce soit un roman ou un poème, de la prose ou des vers, il n’importe, dis-tu. Me voilĂ bien Ă mon aise, moi, qui n’ai Ă©crit dans ma vie que deux bons morceaux en prose. Savoir, une recette pour faire le plum-pudding et un mĂ©moire de blanchisseuse, parfaitement exacts et bien rĂ©digĂ©s. Quant aux vers, j’en ai fait une fois, trois de suite dans une certaine chanson pour laquelle j’ai failli ĂŞtre pendue et ma maison rasĂ©e. […] Ne crois pas pourtant que j’aie perdu mon temps Ă chercher ce que j’allais faire : dès que j’eus reçu ta lettre, je me mis Ă l’ouvrage sauf Ă rĂ©flĂ©chir après. Que me manquait-il en effet? J’avais du papier du Hâvre excellente qualitĂ©, des plumes d’oie qui Ă©crivaient d’elles-mĂŞmes, et de l’encre peut-ĂŞtre plus noire que celle qui servait Ă Monta[i]gne. Que faut-il de plus par le temps qui court? J’écrivis, j’écrivis tant qu’il y en a sur mon bureau de quoi faire gĂ©mir toutes les presses de Paris. Mais quand cette besogne fut un peu avancĂ©e je voulus y mettre de l’ordre, l’écrire en caractères moins dĂ©sespĂ©rants, et rassembler ces feuilles Ă©parses dans le volume le moins Ă©pais possible afin de les confier Ă la poste. C’est lĂ que commencèrent les difficultĂ©s. Ce fut pour moi un travail Ă en perdre la vue, que de vouloir dĂ©chiffrer ma propre Ă©criture. Je priai quelques-uns de mes amis de m’aider, mais ils me dĂ©clarèrent tous que la science de Mr Champollion et Consorts ne parviendrait pas Ă dĂ©brouiller mes hiĂ©roglyphes? Quel dommage que des idĂ©es aussi lumineuses aient Ă©tĂ© tracĂ©es en caractères si Ă©trangement crochus! Que de trĂ©sors perdus pour la postĂ©ritĂ©, Ă moins que les ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đs futurs n’engendrent une nouvelle race de savants plus versĂ©s dans la science des chiffres? Ă€ cette difficultĂ© s’en joignit une autre, celle de lier ensemble les parties de mon ouvrage car j’avais Ă©crit ce qui m’était venu Ă l’esprit sans m’inquiĂ©ter des intervalles Ă remplir pour joindre ensemble les Ă©vĂ©nements. (561-563) Il a Ă©coutĂ© patiemment la lecture de mes Ĺ“uvres lĂ©gères – Le Gaulois n’avait pas eu la force de les porter. Il avait fallu deux mulets pour les traĂ®ner jusque-lĂ . – Il m’a dit que c’était charmant, mais que cela n’avait pas le sens commun. Ă€ quoi j’ai rĂ©pondu : « C’est juste ». Qu’il fallait tout refaire. Ă€ quoi j’ai rĂ©pondu : « Ça se peut. » Que je ferais bien de recommencer. Ă€ quoi j’ai ajoutĂ© : « Suffit. » (783) J’ai donc craint qu’il ne voulĂ»t pas l’étendre Ă deux personnes et je lui ai dit que le nom de Sandeau Ă©tait celui d’un de mes compatriotes qui avait bien voulu me le prĂŞter. En cela je suivais son conseil car il est bon que je vous dise que M. VĂ©ron, le rĂ©dacteur en chef de la Revue [de Paris] dĂ©teste les femmes et n’en veut pas entendre parler. (784) Mon article a Ă©tĂ© renvoyĂ© de la Revue de Paris, parce que l’ouvrage ne portant pas un nom connu, ne pouvait pas ĂŞtre bon! Cependant Latouche, qui s’était fait fort de le faire insĂ©rer me l’a envoyĂ© redemander ce matin et promet encore une fois qu’il paraĂ®tra, pourvu que je le laisse y faire les changements qu’il jugera convenables et qu’il le signera comme il voudra. Je consens Ă tout, de sorte que je ne sais mĂŞme pas quel est mon nom littĂ©raire. Quant au roman les corrections qu’il exige vont mal avec mes principes, j’aime mieux adopter celles que KĂ©ratry m’imposera, car lui du moins est un honnĂŞte homme, et un bon homme. (796) Je ne crois pas, mon cher enfant, Ă tous les chagrins qu’on me prĂ©dit dans la carrière littĂ©raire oĂą j’essaye d’entrer. Il faut voir et apprĂ©cier quels motifs m’y poussent et quel but j’y poursuis. […] Je songe donc uniquement Ă augmenter mon bien-ĂŞtre par quelque profits, et, comme je n’ai nulle ambition d’être connue je ne le serai point. Je n’attirerai l’envie et la haine de personne. La plupart des Ă©crivains vivent d’amertumes et de combats, je le sais, mais ceux qui n’ont d’autre ambition que celle de gagner leur vie vivent Ă l’ombre et paisiblement. BĂ©ranger, le grand BĂ©ranger lui-mĂŞme, malgrĂ© sa gloire et son Ă©clat, vit retirĂ© et Ă part de toutes les coteries. Ce serait bien le diable si un pauvre talent comme le mien ne pouvait se dĂ©rober aux regards. Le temps n’est plus oĂą les Ă©diteurs faisaient queue Ă la porte des Ă©crivains. La chose est renversĂ©e et de tous les Ă©tats le plus libre et le plus obscur peut-ĂŞtre est celui d’auteur, pour qui n’a pas d’orgueil et de fanfaronnade. Quand on vient me donc me dire que la gloire est un chagrin de plus que je me prĂ©pare, je ne puis m’empĂŞcher de rire de ce mot, qui n’est pas heureux, et e tous ces lieux-communs qui ne sont applicables qu’aux gĂ©nies ou Ă la vanitĂ©. Je n’ai ni l’un ni l’autre, et j’espère ne connaĂ®tre aucune de ces tracasseries qu’on croit inĂ©vitables. (801) Je suis plus que jamais rĂ©solue Ă suivre la carrière littĂ©raire, malgrĂ© les dĂ©goĂ»ts que j’y trouve parfois, malgrĂ© les jours de paresse et de fatigue qui viennent interrompre mon travail, malgrĂ© la vie plus que modeste que je mène ici, je sens que mon existence est dĂ©sormais remplie. J’ai un but, une tâche, disons le mot, une passion. Le mĂ©tier d’écrire en est une violence et presque indestructible, quand elle s’est emparĂ©e d’une pauvre tĂŞte, elle ne peut plus s’arrĂŞter. Je n’ai point eu de ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő; mon ouvrage a Ă©tĂ© trouvĂ© invraisemblable par les gens Ă qui j’ai demandĂ© conseil. (817-818) Il faut, quand on veut Ă©ł¦°ůľ±°ů±đ, tout voir, tout connaĂ®tre, rire de tout. Ah! ma fois vive la vie »ĺ’a°ůłŮiste! Notre devise est ±ôľ±˛ú±đ°ůłŮĂ©.Ěý(818) La littĂ©rature est dans le mĂŞme chaos que la politique. Il y a une prĂ©occupation, une incertitude dont tout se ressent. On veut du neuf et pour en faire, on fait du hideux. Balzac est au pinacle pour avoir peint l’amour d’un soldat pour une tigresse et celui d’un artiste pour un castrato. (825) Je travaille le soir Ă mon roman. Cela m’amuserait beaucoup si je n’étais pas obligĂ©e de me dĂ©pĂŞcher. Une autre fois, je prendrai plus de latitude avec mon Ă©diteur, afin de travailler pour mon plaisir et sans fatigue. (939) Je suis sĂ»re du moins d’avoir fait une excellente chose le jour oĂą j’ai jetĂ© au feu tout le premier volume dont vous avez Ă©coutĂ© hĂ©roĂŻquement l’exposĂ©. Après ce grand acte, je croisai les bras et comme l’Éternel je me reposai. Depuis, J’ai refait le premier volume en entier, il est chez l’imprimeur, le second y sera dans quelques jours. Vous voyez que je travaille, mais comme dit ma mère en parlant de ses enfants : « Je fais vite et mal. » (947-948) Je ne travaille donc plus qu’à corriger des Ă©preuves et Ă me faire mousser. Tu ne sais pas ce que c’est? c’est de courir les journaux et de leur demander naĂŻvement de dire du bien de mon livre avant qu’il n’ait paru et sur ma parole. (972) |
Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1966. |
[Sur Indiana] J’ai peur d’ennuyer souvent, d’ennuyer comme la vie ennuie. Et pourtant, quoi de plus intĂ©ressant que l’histoire du cĹ“ur quand elle est vraie? Il s’agit de la faire vraie, voilĂ le difficile, voilĂ probablement oĂą se trouvera de temps en temps l’écueil malgrĂ© mes mĂ©ditations, mes objections, mes apprĂ©hensions et mes souvenirs. (47) [Ă€ Balzac] Je vous envoie mon livre. AgrĂ©ez-le, mis ne le lisez pas. Mettez-le dans un coin comme un souvenir de nous, mais n’en secouez jamais la poussière, si vous voulez ne pas souffrir dans la personne de vos amis. (86) Si nous avions dix ans de calme politique, la littĂ©rature verrait sans doute une ère florissante, car après la rĂ©action du faux sur le vrai (rĂ©action qui s’est opĂ©rĂ©e ces dix dernières annĂ©es et qui achève son cours) arriverait maintenant celle du vrai sur le faux, celle que tout lecteur demande, que tout Ă©crivain rĂŞve et dĂ©sire mais qui ne peut Ă©clore dans un ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ de fureurs et sur une terre d’hĂ´pitaux. (105) Le ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő d’Indiana m’épouvante beaucoup. Jusqu’ici je croyais travailler sans consĂ©quence et ne mĂ©riter jamais aucune attention, mais la fatalitĂ© en a ordonnĂ© autrement. Il faut justifier les admirations non mĂ©ritĂ©es dont je suis l’objet. Cela me dĂ©goĂ»te singulièrement de mon Ă©tat. Il me semble que je n’aurai plus de plaisir Ă Ă©crire. (115) Enfin je vois de loin en loin dans les dĂ®ners littĂ©raires oĂą je vais très rarement, Mr de Vigny, Auguste Barbier, Alexandre Dumas, Ampère, Jouffroy, Loève-Veymars, l’herminier etc, un tas de cĂ©lĂ©britĂ©s don je ne me soucie guère jusqu’ici. (292) Je compte sur votre bon esprit et sur votre bonne volontĂ© pour expliquer au public les symboles peut-ĂŞtre un peu obscurs de mon livre. Il faut un jugement sain et un goĂ»t sĂ©rieux comme le vĂ´tre pour Ă©claircir et dĂ©brouiller ce poème confus et diffus. J’avais pourtant mon idĂ©e en le faisant. Vous la comprendrez, et vous supplĂ©erez aux dĂ©fauts de l’exĂ©cution. (388) Je sais que je suis entachĂ©e de la dĂ©signation de femme de lettres, et, plutĂ´t que d’avoir l’air de consommer ma marchandise littĂ©raire par Ă©conomie, dans la vie °ůĂ©±đ±ô±ô±đ, je tâche de dĂ©penser et de soulager mon cĹ“ur dans les fictions de mes romans; mais il m’en reste encore trop, et je n’ai pas le droit de le montrer sans qu’on en rie. C’est pourquoi je le cacher; c’est pourquoi je me consume et mourrai seule comme j’ai vĂ©cu. (546-547) Ce serait bien mal interprĂ©ter mes livres, que d’y trouver une prĂ©tention de doctrine quelconque. […] Jusqu’ici je ne me suis pas attribuĂ© assez d’importance pour songer Ă faire autre chose que des romans pris dans l’acception pure et simple du mot. Si plus tard, j’acquĂ©rais une rĂ©putation plus °ůĂ©±đ±ô±ô±đ et mieux fondĂ©e comme Ă©crivain, je chercherais Ă prĂ©ciser mes principes et Ă les exposer assez clairement pour que le blâme ou l’approbation d’autrui ne fussent point hasardĂ©s. (740-741) ł˘Ă©±ôľ±˛ą n’est point un livre, c’est un cri de douleur, ou un mauvais rĂŞve, ou une discussion de mauvaise humeur, pleine de vĂ©ritĂ©s et de paradoxes, de justice et de prĂ©ventions. Il y a de tout, exceptĂ© du calme, et sans le calme il n’y a pas de conclusion acceptable. Il ne faudrait pas plus demander un code moral Ă ł˘Ă©±ôľ±˛ą, qu’un travail d’esprit Ă un malade. (741) |
Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1967 |
ł˘Ă©±ôľ±˛ą est une livre assez obscur pour moi-mĂŞme. Il fut Ă©crit sous l’empire de souffrances morales très vives et très Ă©nergiquement avouĂ©es. La franchise est donc le seul mĂ©rite de cette production vague, incomplète, et manquant absolument le but d’utilitĂ© sociale exigĂ© par le public. On m’en a fait de grands reproches, que j’ai trouvĂ©s injustes, parce que je n’avais pas eu la prĂ©tention d’écrire un livre de philosophie, et que je croyais la plainte, dans toute sa naĂŻvetĂ© et dans toute son amertume, permise dans un ouvrage de poĂ©sie. (93) Il se peut qu’à beaucoup d’égard, si j’avais Ă recommencer un tel livre, mes plaintes portassent sur d’autres sujets : vous savez que la vie change de face, et l’âme avec elle. Quand j’aurai vĂ©cu davantage, j’essaierai peut-ĂŞtre de donner une conclusion Ă tous les fragments d’existence que j’ai dissĂ©minĂ©s dans divers romans plus ou moins faibles de conception. (93) Le public le sait, aussi c’est au public que j’en appelle pour repousser les interprĂ©tations malpropres du chaste moraliste qui prĂ©tend avoir compris le °ůĂ©˛őłÜ±ôłŮ˛ąłŮ et le but dĂ©finitif de tous mes ouvrages. Je dĂ©clare ici que le juge Ă©clairĂ© d’Indiana, de Valentine, de ł˘Ă©±ôľ±˛ą et de Jacques, n’a ni compris ni lu aucun de mes livres. (119) Je suis en train de faire d’importantes corrections Ă ł˘Ă©±ôľ±˛ą. Je bouleverse tout le personnage de Trenmor, et je transporte la rĂ©habilitation, non pas la morale, mais ±č´ÇĂ©łŮľ±±çłÜ±đ du joueur, dans la bouche de Leone Leoni, ce passage Ă©tait assez purement Ă©crit, j’eusse Ă©tĂ© fachĂ© de le perdre, et je crois qu’il est maintenant tout Ă fait en sa place, et sans inconvĂ©nient puisqu’il est dans la bouche d’un personnage rĂ©prouvĂ©. Je l’ai relu avec attention et conscience. Je n’y ai rien trouvĂ© d’immoral. Le grand dĂ©faut c’est l’invraisemblance des Ă©vĂ©nements. Mais pourvu que les caractères soient vrais, la folie des incidents est un droit du romancier et de plus forts que moi ne s’en sont pas fait faute. (392-393) Je fais un nouveau volume Ă ł˘Ă©±ôľ±˛ą. Cela m’occupe plus que tout autre roman n’a encore fait. ł˘Ă©±ôľ±˛ą, n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela; mais c’est mon idĂ©al. C’Est ainsi que je conçois ma muse si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse… (403) La littĂ©rature est le dernier des mĂ©tiers pour les commençants. Le talent n’y fait rien, le hasard et le caprice du moment font tout. (575) |
Correspondance, Tome IV – mai 1837 - mars 1840, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1968. |
Je vous envoie un nouveau roman sous forme dramatique, qui rĂ©jouira le cĹ“ur de Buloz car la philosophie et le mysticisme, les deux plus grandes pestes de cet honnĂŞte Buloz, y sont assez dĂ©guisĂ©s pour ne pas l’effarouche. (634) Vous dites que le retard d’Engelwald vous gĂŞne. Et moi aussi. Mais je ne peux pas vous donner une chose au ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő de laquelle je ne crois pas. Vous savez que les auteurs se font aisĂ©ment illusion sur le ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő de leurs ouvrages. Moi comme un autre probablement. Si je tire mauvais augure de celui-ci, il faut que ce soit bien vrai. Il faut donc qu’il soit entièrement refait et j’y travaille. Mais refaire est plus long et plus ennuyeux que faire. Je ne vais donc pas vite, faisons un arrangement si ce retard vous est prĂ©judiciable. (669-670) |
Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969. |
La littĂ©rature n’est donc qu’une portion de ma vie, et je ne sais jamais ce qui s’imprime pour ou contre moi et les autres. (19) Je ne sais faire que des romans, et c’est un roman encore que je fais. Un compagnon menuisier en est le hĂ©ros; c’est vous dire que je ne suis pas sortie des idĂ©es, des sentiments et des convictions sous l’empire desquels j’écrivis plusieurs romans dont la tendance dĂ©mocratique m’a Ă©tĂ© assez reprochĂ©e par le beau monde.Ěý(135) Tout au contraire, je suis prĂŞte, quand ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô m’en viendra au point de vue de l’art, de [sic] faire un très beau portrait des vrai nobles, mais parmi ceux-lĂ , mon ami, je vous avoue que je ne mettrai jamais ceux qui ont conspirĂ© jadis pour Louis-Philippe ni ceux qui se sont rattachĂ©s Ă sa puissance. Je les tiens pour des gens sans dignitĂ©, sans goĂ»t et sans aucun caractère ±č´ÇĂ©łŮľ±±çłÜ±đ. Ils sont dans une contradiction avec leurs principes et leurs idĂ©es intimes qui me les rend pour le moins très ridicules, et je ne vois pas par oĂą on pourrait les embellir. (254) D’après votre seconde lettre, et après avoir examinĂ© mon manuscrit, je vois clairement que vous me demandez l’impossible. Vous voulez tout bonnement que je parle d’une Ă©poque sans y faire participer mes personnages, que je vous montrer des Ă©tudiants de 1831 dĂ©vouĂ©s au gouvernement de Louis-Philippe, un dĂ©mocrate prolĂ©taire qui ne s’afflige pas, après les journĂ©es de juillet, du rĂ©tablissement de la monarchie; vous voulez des grisettes qui ne soient pas des grisettes et dans la vie desquelles il ne faut pas entrer. Vous voulez que je parle de la bourgeoisie, et que je ne dise pas qu’elle est bĂŞte et injuste; de la sociĂ©tĂ©, et que je ne la trouve pas absurde et impitoyable; enfin que je ne me permette pas d’avoir un sentiment et une manière de voir sur les faits que je retrace et le milieu oĂą j’établis ma scène. […] Relisez donc deux ou trois pages de Jacques et de Mauprat, dans tous mes livres jusque dans les plus innocents, jusque dans les ˛Ń´Ç˛ő˛ąĂŻ˛őłŮ±đ˛ő, jusque dans la dernière Aldini, vous y verrez une opposition continuelle contre vos bourgeois, vos hommes rĂ©flĂ©chis, vos gouvernements, votre inĂ©galitĂ© sociale, et une sympathie constante pour les hommes du peuple. [..] (421) Tu sais que je ne tiens pas Ă mon gĂ©nie littĂ©raire. Si tu n’aimes pas ce roman [Horace], il faut ne pas te gĂŞner de me le dire. Je voudrais te dĂ©dier quelque chose qui te plĂ»t, et je reporterais la dĂ©dicace au produit d’une meilleure inspiration. (547) J’ai peint comme j’ai pu mes figures, comme je les ai bues quand elles Ă©taient vivantes dans mon imagination. Mais elles s’y sont bien effacĂ©es, Ă mesure qu’elles ont fait place Ă d’autres; et je ne puis regarder que devant moi; ce qui est derrière n’existe dĂ©jĂ plus. (675) Le roman demande plus d’animation et de variĂ©tĂ©, des scènes plus inattendues, des personnages moins faits d’une pièce, une intrigue plus compliquĂ©e, plus »ĺ’a°ůłŮ enfin. (810) |
Correspondance, Tome VI – 1843 - juin 1845, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969. |
Je ne suis qu’un romancier, c’est-Ă -dire un pauvre composĂ© de poète et de peintre. Je m’inspire de ce qui m’émeut moralement, mais je ne puis peindre ce qui m’a frappĂ© physiquement. Je ne pourrais pas faire un roman sur des hommes que je n’ai pas connus, sur des scènes que je n’ai pas vues, sur des Ă©vĂ©nements que je n’ai pas traversĂ©s. Enfin ces sortes d’histoires ±č´ÇĂ©łŮľ±±çłÜ±đs qu’on appelle romans nous viennent malgrĂ© nous, et quelques fois de pâles figures, de mĂ©diocres sujets nous les inspirent, s’ils se trouvent sur notre chemin; tandis que nous sentons notre impuissance pour peindre de grandes Ă©popĂ©es qui se sont passĂ©es dans un milieu inconnu pour nous. […] Le cadre donnĂ©, ce que nous avons de foi, et d’enthousiasme vient s’y placer naturellement, et s’il n’en Ă©tait pas ainsi, nos contes ne mĂ©riteraient pas de trouver deux lecteurs. Mais ce cadre, cette couleur qui les remplit, cette lumière qui les anime, cette vie qui y circule (bien ou mal, il faut que l’intention et l’espoir de toutes ces choses s’y trouve [sic]), ce cadre enfin vous ne pourriez par des documents. Si j’étais en Italie, aux lieux oĂą ces Ă©vĂ©nements dont vous me parlez se sont accomplis, et qu’un des acteurs principaux fĂ»t Ă mes cĂ´tĂ©s […] sans doute alors le tableau se dessinerait dans mon imagination. Mais encore faut-il que ce cicerone de ma vision fĂ»t inspirĂ© pour me donner ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô. Il faudrait que ce fĂ»t vous-mĂŞme, et sans doute le feu sacrĂ© passerait de vous en moi. De loin, et quand mĂŞme vous me procureriez par Ă©crit les notions les plus complètes, les plus colorĂ©es, je n’aurais qu’un aspect vague des choses, et, au lieu d’un roman, je ferais une histoire ou une prĂ©dication. (35) [Ă€ Eugène Sue] Je crois qu’un roman estimable doit ĂŞtre un plaidoyer en faveur d’un gĂ©nĂ©reux sentiment, mais que pour faire un bon roman, il faut que le plaidoyer y soit tout au long sans que personne s’en aperçoive. VoilĂ tout le secret du roman. Je ne l’ai pas encore trouvĂ© dans la pratique. Toujours, quand je suis Ă l’œuvre le plaidoyer emporte le roman, ou le roman le plaidoyer. Tout l’art (car il y a de l’art dans les moindres choses encore que le roman,) consisterait, je le sens, Ă incarner un monde idĂ©al dans un monde rĂ©el. C’est une grande difficultĂ©. Il faut lĂ plus que de l’observation, plus que de la mĂ©moire, plus que du style, plus que de l’invention. C’est un certain don aussi peu communicable et dĂ©finissable, que celui de la peinture, et il faut bien des facultĂ©s et des qualitĂ©s rĂ©unies pour que ce don-lĂ apparaisse. (108) [Ă€ Louis VĂ©ron] Je l’ai Ă©crit de bonne foi, comme un roman d’actualitĂ©, purement roman, peinture de mĹ“urs par dessus tout. Je persiste Ă le croire tel, et ma bonne foi va jusqu’à ne pas comprendre que vous lui fassiez l’honneur de le trouver philosophique ou dogmatique en quoi que ce soit. Ce que je crois comprendre, c’est qu’il ne vous plaĂ®t point et que vous jugez qu’il ne plaira point au public. Je n’ai pas l’amour propre de soutenir que vous vous trompez, mais je dis que dans une pareille question vous ne pouvez pas ĂŞtre juge et partie, ni moi non plus. (657) Mon orgueil littĂ©raire ne se refuserait pas du tout Ă Ă©couter vos conseils et Ă vous soumettre mon plan. Mais je serais emportĂ©e loin de mon plan, loin de vos conseils en Ă©crivant, comme cela m’est toujours arrivĂ© vis-Ă -vis de moi-mĂŞme et de mes amis. Croyez-en, Monsieur, une bonne foi que vous ne rencontrerez pas toujours chez les gens de mon mĂ©tier, je vous tromperais si je vous promettrais l’impossible. (672) Ne me parlez donc plus de conditions et de conventions sur la nature de mon travail. Cela m’est impossible. Je suis entrĂ©e dĂ©jĂ bien des fois dans de longues explications avec vous Ă cet Ă©gard, pour que vous compreniez la nature de mon cerveau et que vous sachiez bien qu’il n’y a lĂ dedans aucune dĂ©faite, aucune affectation, aucune arrière-pensĂ©e. (672) Maintenant pour vous prouver que je ne mets pas d’aigreur dans tout cela, je ne me refuse pas Ă vous offrir la prĂ©fĂ©rence sur le roman que le hasard de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô (je n’écris jamais ce mot sans rire) pourra me suggĂ©rer d’ici Ă quelques mois. Je ne m’engagerai Ă rien, mais si j’ai comme je l’espère Ă me louer de votre franchise dans ce »ĺĂ©˛Ô´ÇłÜ±đłľ±đ˛ÔłŮ, je vous communiquerai peut-ĂŞtre mon roman si je le vois de nature Ă vous satisfaire. Comprenez bien, je vous en supplie, que je n’ai pas de parti-pris quand j’écris un conte. Il vient comme il peut. Si ce que vous appelez le communisme me domine dans ce moment-lĂ , le roman s’en ressentira. (673) Quant Ă vos considĂ©rations morales sur les hommes et les femmes de mes livres, vous entrez un peu trop au vif dans la question. Je ne vous permets par de dire, mon cher Hetzel, quand je n’ai connu dans ma vie que des hommes sans caractère. Mais que j’aie peint en beau ceux que j’estime, trop en laid ceux que je n’estime pas (il s’agit ici de types et non d’individus) il est bien possible que vous ayez raison. C’est l’art qui a pĂ©chĂ© en cela chez moi. Peut-ĂŞtre aussi trop de prĂ©vention pour ou contre. (725) Je dois vous dire que mon roman ne vaut pas l’argent qu’on m’en offre, et pas mĂŞme celui que je suis forcĂ©e d’en demander. Le roman est devenu une denrĂ©e de mode, exhorbitante [sic], scandaleuse. (727) Je crois difficile que ce roman [en feuilleton] ait le moindre intĂ©rĂŞt pour les lecteurs, hachĂ© en si petits morceaux. Les conversations et les scènes n’ont pas Ă©tĂ© faites en vue de ces divisions. Je renonce donc, et très philosophiquement aujourd’hui, Ă toute satisfaction »ĺ’a°ůłŮiste et Ă tout dĂ©sir de ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő pour ce chĂ©tif ouvrage. Je suis d’ailleurs tout Ă fait malade et il m’est impossible de reconstruire mon roman dans ma mĂ©moire. Faites en ce que voudrez, je vous l’abandonne; vous avez la bontĂ© d’être beaucoup plus au courant que moi, et je vous crois bien plus capable de trouver les titres et les divisions convenables. (788) |
Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1970. |
Du reste, ne vous inquiĂ©tez pas de la forme du roman. Le fond ne l’emporte pas, et c’est un pur roman : mais sans coup de théâtre et sans effets de feuilleton, vous savez ce que je veux et sais faire, je ne crois pas qu’il y ait profit pour un journal Ă m’acheter, car je ne suis pas Ă la mode. (50) On cherchera toujours l’histoire dans le drame et dans le roman, la vraie histoire, celle qui est du ressort de la littĂ©rature ±č´ÇĂ©łŮľ±±çłÜ±đ, ce n’est pas tnt l’évĂ©nement que ses causes. Le roman mĂŞme dit historique ne s’attache pas tant au fait qu’à l’idĂ©e sociale qui l’a produit; et comment peindre les mĹ“urs sans dire l’idĂ©e qui les corrompt ou les purifie? Voyez encore fort bien ce qu’il faut lui faire dire et penser, et ce n’est pas indiffĂ©remment qu’il attache un certain caractère Ă la jeune royautĂ© anglaise, ou Ă l’antique nationalitĂ© de l’Écosse. Enfin il faut, suivant moi, et vous le savez aussi bien que moi, que chaque personnage d’un livre soit le reprĂ©sentant d'une des idĂ©es qui circulent dans l’air qu’il respire, qui dominent ou s’insinuent, qui montent ou tombent, qui naissent, qui règnent ou qui finissent. Un homme qui n’aurait aucun sentiment et aucune opinion par rapport aux choses de son temps, serait un idiot dans la vie °ůĂ©±đ±ô±ô±đ. Dans un livre, il n’existerait pas. (56) Certes mes romans ont ce dĂ©faut, au point de vue de l’art pur, d’être trop dĂ©clamatoires parfois. Que voulez-vous, je dĂ©clame naĂŻvement et sans intention. Est-ce un dĂ©faut capital? Peut-ĂŞtre, mais des Ĺ“uvres bien supĂ©rieures aux miennes ont aussi un dĂ©faut essentiel, et on n’en trouverait, mĂŞme chez les grands maĂ®tres, aucune qui en fĂ»t exempte. […] Je dirais de moi plus humblement, que si quelquefois j’arrive Ă la sensibilitĂ© et Ă la chaleur, c’est parce que j’ai un fonds d’enthousiasme naĂŻf et mĂŞme niais. (73) Je n’appelle pas ˛ő’a˛ő˛ő±đ´Çľ±°ů Ă©crire des romans. C’est ce qui fait le plus partie du mouvement.Ěý(164) Si vous voulez de ma prose, il faudra toujours que vous me preniez comme un oiseau de passage au moment oĂą j’irai me poser chez vous. Je ne fais jamais de traitĂ©, que lorsque l’ouvrage est, non seulement commencĂ©, mais assez avancĂ© et fini dans ma pensĂ©e. Autrement, je me mettrais dans ce grand embarras, car je ne finis pas, il s’en faut bien, tout ce que je commence. (353) Laissez-moi le temps et la libertĂ© illimitĂ©e, ou je ne pourrai jamais rien Ă©crire pour vous ni pour personne! (372) Je n’aime pas Ă faire des romans historique, cela donnerait trop de travail Ă ma mĂ©moire des faits et des dates, qui est chez moi une facultĂ© Ă l’état de crĂ©tinisme. Mon roman n’est donc qu’une fantaisie, avec couleur locale, comme on dit. Mais cette couleur locale est du temps prĂ©sent. Je n’aime guère Ă peindre que le temps oĂą je vis. Autre genre d’impuissance et de paresse. (539) Un roman fini est une Ă©pine sortie du pied que l’on n’a nulle envie d’y faire rentrer. (548) |
Correspondance, Tome VIII – juillet 1847 - décembre 1848, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1971. |
En bonne logique, je mĂ©rite mieux que Balzac. Non que j’aie autant de talent mais parce que j’ai mieux łľĂ©˛Ô˛ą˛µĂ© le mien et que la marchandise est moins vulgarisĂ©e et plus soignĂ©e quant Ă l’étiquette. Je n’ai jamais Ă©tĂ© poussĂ©e comme lui au gaspillage de mon cerveau par des nĂ©cessitĂ©s de position, et jusqu’ici j’ai toujours Ă©tĂ© payĂ©e plus cher. (593-594) D’après le roman d’Antoine vous me croyez peut-ĂŞtre plus communiste, ou communiste autrement que je ne le suis. J’ai essayĂ© de soulever des problèmes sĂ©rieux dans des Ă©crits dont la forme frivole et tout de fantaisie, permet Ă l’imagination de se lancer dans une recherche de l’idĂ©al absolu qui n’a pas d’inconvĂ©nients en politique. Un roman n’est pas traitĂ©. Les personnages dissertent sans consĂ©quence et cherchent, comme les individus qui causent au coin de leur feu, Ă se rendre raison du prĂ©sent et de l’avenir. Les romans parlent au cĹ“ur et Ă l’imagination, et quand on vit dans une Ă©poque d’égoĂŻsme et d’endurcissement on peut, sous cette forme, frapper fort pour rĂ©veiller les consciences et les cĹ“urs, s’il s’agissait d’écrire une doctrine pour ĂŞtre mise en pratique immĂ©diatement, ou de donner le dernier mot de ses croyances relativement Ă l’humanitĂ©, telle qu’Elle est aujourd’hui, j’aurais Ă©tĂ© plus prudente et moins vague dans mes apprĂ©ciations. Mais alors je n’aurais pas Ă©tĂ© une femme et j’aurais fait autre chose que des romans. Laissons l’imagination de chacun apprĂ©cier selon son goĂ»t et sa partie les ouvrages d’imagination. Pourvu que ces ouvrages soient animĂ©s d’un esprit de gĂ©nĂ©rositĂ© et qu’ils tendent Ă l’amour du bien, ils ne peuvent faire de mal et mĂŞme ils peuvent faire un peu de bien. (685) Je suis bien aise que cette Fadette vous plaise. Ces sortes de fadaises me coĂ»tent peu de fatigue morale, mais seulement une certaine fatigue physique quand il faut se presser. Il n’est donc guère Ă©tonnant que j’aie trouvĂ© la force de les imaginer au milieu de nos malheurs. (757) |
Correspondance, Tome IX – janvier 1849 – décembre 1850, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1972. |
Ă€ force d’être dans les romans et dans les poèmes, et sur la scène, et dans l’histoire mĂŞme, l’amour, la vĂ©ritĂ© de l’être et des affections, n’y sont pas du tout. La littĂ©rature veut idĂ©aliser la vie. Eh bien, elle n’y parvient pas, elle ment, elle doit mentir, puisque l’art est une fiction, ou tout au moins une interprĂ©tation. On est superbe, on est grand, on a cent pieds de hauts dans les romans et dans les poèmes. (222) J’aime bien Ă Ă©ł¦°ůľ±°ů±đ, Ă composer, j’aime bien mon art, mais je n’en aime pas le mĂ©tier, et tout ce qui est relatif Ă l’exĂ©cution matĂ©rielle m’est odieux. (880) |
Correspondance, Tome X – janvier 1851 - mars 1852, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1973. |
La prose n’est guère mieux logée et l’état d’homme de lettres est le pire de tous à l’heure qu’il est. D’ailleurs, il n’est pas possible, même en ayant le don de la forme, d’intéresser et d’attacher le public sans avoir le fonds, et le fonds de l’écrivain sérieux, c’est la vie, c’est l’expérience, c’est la connaissance des hommes et des choses; je crois donc qu’il faut que les jeunes espérances mûrissent beaucoup avant de produire de fruits. (21-22) Je suis bien aise que ce roman vous plaise, je ne me le rappelais guère, et je ne sais pas s’il n’y a pas un peu trop de détails sur l’art vers la fin. Je m’assurerai de cela en relisant l’épreuve. (91) Il faut que l’artiste éprouve cette oppression, mais qu’il la surmonte et qu’il l’ôte à son lecteur, et que son travail bien travaillé ait l’air facile. Le talent c’est la sobriété du génie. Le génie ne se conseille pas et ne se donne pas, mais le talent, c’est notre affaire de le chercher et de le trouver. (310) Quand j’ai une idée à développer il me faut un espace court ou long dont je ne peux pas me rendre compte. (533) |
Correspondance, Tome XI – avril 1852 - juin 1853, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976. |
Mais tout le monde me dit que je devrais combattre ces orages du feuilleton par la voie des rĂ©clames, que, pour quelque monnaie on a des compliments dans une colonne du journal tandis qu’on vous Ă©chine dans l’autre et que le gros public lisant plus souvent cette annonce de trois lignes que la longue tartine du feuilleton, un ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő spontanĂ© lutte et soutient par lĂ . On me dit aussi que tous mes confrères le font, et que moi seule, je ne le fais pas. Je vous avoue que j’y aurais une rĂ©pugnance invincible si je devais m’en occuper moi-mĂŞme. (340) |
Correspondance, Tome XII – juillet 1853 - décembre 1854, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976. |
Passons à la querelle du réalisme. Là encore, je ne suis pas du tout au courant. Je vis si littéralement à la campagne que je ne suis plus du tout littéraire. Je n’ai pas vu poser la question, et je ne sais pas si, de part et d’autre, elle a été bien posée. Selon moi celle du romantisme ne l’avait pas été du tout dans le principe et l’on s’est beaucoup battu dans le vide, je peux me tromper, mais il me semble. (267) Il est vraiment trop facile de construire la vie d’un écrivain avec des chapitres de roman, et il faut le supposer bien naïf ou bien maladroit pour croire que si, dans ses livres, il faisait allusion à des émotions ou à des situations personnelles, il ne les entourerait d’aucune fiction qui déroutât complètement le lecteur sur le compte de ses personnages et sur le sien propre. (289) |
Correspondance, Tome XIII – janvier 1855 - juin 1856, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1978. |
Je voulais faire, avec fidĂ©litĂ© historique, l’histoire de l’amour aux diffĂ©rents âges; en prenant pour exemple des couples de personnages cĂ©lèbres Ă mon choix, ceux qui me paraĂ®traient le mieux caractĂ©riser la philosophie bonne ou mauvaise des sentiments aux diffĂ©rentes Ă©poques. (272) Oh! le temps n’est plus oĂą j’écrivais ł˘Ă©±ôľ±˛ą. Je ne doute plus, Dieu merci, et je le bĂ©nis de ce que j’ai tant doutĂ©, puisque j’ai usĂ© en moi les pauvres arguments du doute, jusqu’à la corde. Tu vois que je ne cours pas sus Ă la doctrine qui t’absorbe, tant s’en faut, mais je ne veux pas de la règle qui prĂ©tend s’imposer et qui n’est qu’un ouvrage fait de main d’homme, ouvrage que j’ai bien le droit de juger. (311) J’entends par travailler non pas dĂ©faire et refaire, mais produire toujours quand vous vous y sentez portĂ©. Les choses d’imagination ne veulent pas ĂŞtre arrĂŞtĂ©es, mais pour reposer sur un fond, il ne faut pas non plus qu’elles prennent toute la vie. Vous ferez donc bien de rester militaire. Plus vous vivrez de la vie °ůĂ©±đ±ô±ô±đ, avec le goĂ»t de l’observation et de l’arrangement, qui est propre aux amateurs de romans, plus vous trouverez facile la rĂ©daction de vos souvenirs et de vos rĂŞveries. Un roman n’est pas autre chose que le rĂ©sumĂ© plus ou moins rĂ©ussi de ce que nous observons au-dehors et de ce que nous bâtissons en nous-mĂŞmes. (336) |
Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1979. |
Cher ami, ce n’est pas un roman historique, c’est un roman d’époque et de couleur du temps de Louis XIII. Le roman historique promet des faits sĂ©rieux, des personnages importants, des rĂ©cits de grandes choses. Ce n’est pas lĂ ce que je fais et ce titre annoncĂ© dans La Presse, promettait des aventures plus graves que celles que je mets en scène. Comme il serait difficile de faire saisir au lecteur la distinction que je vous explique, sans pĂ©riphrase trop longues, faites, je vous prie, retrancher de l’annonce le mot historique. Il vaut mieux tenir plus qu’on ne promet que de promettre plus qu’on ne tiendra. J’ai fait la chose Ă mon point de vue, et j’ai beaucoup cherchĂ© pour rester dans l’exactitude historique des moindres coutumes, idĂ©es et manières d’agir du temps qui me sert de cadre. Je n’ai pas rattachĂ© ma fable Ă un point historique qui ne soit rigoureusement exact. Mais tout cela ne fait pas un roman de Walter Scott. On n’en fait plus! (378-379) Je crois que ce sera un ouvrage court. Pourtant je n’en sais rien encore. Le sujet me plaĂ®t et je commence. Tout mon travail de recherches et de notes est terminĂ© d’aujourd’hui. (531) Le roman est très amusant, très accidentĂ© et aura beaucoup de ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő. Il n’y a pas un mot de religion, de politique ou socialisme. Vous pouvez en rĂ©pondre.Ěý(629) |
Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981. |
Ce n’est pas un malheur pour vous, pas plus que pour Flaubert, d’appartenir Ă la race des voyants. On s’est mĂŞlĂ© de baptiser votre manière et la sienne de °ůĂ©˛ą±ôľ±˛őłľ±đ, je ne sais pas pourquoi; Ă moins que le rĂ©alisme ne soit tout autre chose que ce que les premiers adeptes ont tentĂ© de nous expliquer. Je soupçonne, en effet, qu’il y a une manière d’envisager la rĂ©alitĂ© des choses et des ĂŞtres, qui est un grand progrès, et vous en apportez la preuve triomphante. Mais le nom de rĂ©alisme ne convient pas, parce que l’art est une interprĂ©tation multiple, infinie. C’est l’artiste qui crĂ©e le rĂ©el en lui-mĂŞme, son rĂ©el Ă lui, et pas celui d’un autre. Deux peintres font le portrait de la mĂŞme personne. Tous deux font une Ĺ“uvre qui reprĂ©sente la personne, si ce sont deux maĂ®tres; et pourtant les deux peintures ne se ressemblent pas. Qu’est devenue la rĂ©alitĂ©? (480) Ce Ă quoi je ne puis cĂ©der, c’est Ă laisser couper mes feuilletons en deux. Pour cela, non, non non! Dites-le et avertissez que si on ne se conforme pas aux conventions que vous avez faites avec moi, j’aime mieux que l’on me rende toute parole et le manuscrit. Je ne tiens pas Ă Ă©crire dans les journaux, bien au contraire! Les feuilletons conviennent mal Ă ma manière et m’ôtent la moitiĂ© du ˛őłÜł¦ł¦Ă¨˛ő que j’ai dans les revues et en volume. Il n’y a pas assez d’accidents et de surprises dans mes romans pour que le lecteur s’amuse au dĂ©chiquetage de l’attente. Ce roman-ci particulièrement, a besoin d’être lu par chapitre comme ils sont chiffrĂ©s et coupĂ©s. Par autrement. Donc, maintenez votre autoritĂ© et mon droit, on bien ne commencez pas. (615) [Aux Goncourt] C’est la jeune Ă©cole, je le sais. On veut tout dire, tout dĂ©ł¦°ůľ±°ů±đ, ne pas laisser un brin d’herbe dans l’ombre, compter les festons et les astragales. C’est Ă©blouissant, mais parfois ça l’est trop. Vous verrez que vous arriverez Ă sacrifier comme dans les bons tableaux. Mais rien ne presse. (719-720) |
Correspondance, Tome XVI – juillet 1860 - mars 1862, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981. |
J’ai commencé un autre roman, mais il faut que j’apprenne beaucoup de choses dont je veux parler sans dire de bêtises, et je ne sais pas, comme Balzac, prendre juste ce qu’il me faut sans une notion générale. Je me passionne pour les choses où je mets le nez. (32) Mais pour en revenir au roman, plus je vais, plus je pense qu’il faut faire face à la prétendue doctrine du réalisme en montrant qu’on peut être très exact et très consciencieux sans fouler aux pieds la poésie et l’art. Comment! Il y en a qui présentent que le beau c’est la fantaisie, tandis que la nature, la vraie nature étudiée sur le fait, disséquée, même à la loupe et à la pince, est toute beauté et toute perfection! Laissons-les dire et allons. Ils ne savent rien, ils n’ont rien vu, rien regardé, rien compris, ces prétendus amants du fait matériel. (33) Je ne suis pas de ceux qui trouvent le roman chose futile et sans profondeur, mais quand on a le bonheur d’être savant et poète, il faudrait, ce me semble, travailler des deux mains. (421) |
Correspondance, Tome XVII – avril 1862 - juillet 1863, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1983. |
Vous lirez le roman et quelque prudence que nous y apportions, il y aura toujours un risque Ă courir, n’en doutez pas si le sujet lui-mĂŞme est de ceux qu’on ne doit pas laisser traiter! (272) Il me semble que le »ĺĂ©˛Ô´ÇłÜ±đłľ±đ˛ÔłŮ est intĂ©ressant et rachète l’ensemble un peu froid. Ce roman n’est pas de ceux qui me plaisent beaucoup, quoique je l’aie travaillĂ© avec un soin extrĂŞme. S’il plaĂ®t Ă vos lecteurs c’est apparemment moi qui me trompe. (283) |
Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985. |
Pour le moment je suis dans le toil and trouble comme vous; il faut achever un roman. Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est vers la fin, qu’on voudrait repartir pour un développement complet de la destinée des personnages? C’est quand l’éditeur vous crie : en voilà assez, que l’on commence à bien connaître ses acteurs, à voir clair dans leur pensée, à sentir les fatalités de leur caractère et à en déduire toutes les sérieuses conséquences. Si on avait le temps, il faudrait mettre au panier tout ce qu’on a fait le résumer en un chapitre d’exposition et commencer la véritable histoire de ces gens dont l’esprit s’est enfin révélé à vous. Jusque-là ce n’était qu’interrogatoire et tâtonnement pour s’approprier une première phase de leur vie. Comme on saurait bien ou l’on va si cette première phase n’était qu’un prologue! (191) Cette phase de mon roman est lourde, je le sais. C’est appesantissement logique d’une situation qui va éclater. Je sais que la dernière partie est intéressante et dramatique; et elle est si bien la conséquence de tout cette recherche du bonheur qui préoccupe mes personnages et mon héros principal, que je tiens bien à laisser aller la rêverie de ce côté-là , sauf à retarder l’action. Si vous craignez que le lecteur impatient ne s’endorme, donnez-lui la cinquième partie en même temps que la 4e. Cela ne fera pas un n[unmér]o impossible de longueur, je ne crois pas. (285-286) J’ai dîné aujourd’hui [Lundi 12 février] pour la 1re fois chez Magny avec mes petits camarades, le dîner mensuel fondé par Ste-Beuve. Il y avait Gautier, St-Victor, Flaubert, Ste-Beuve, Berthelot, le fameux chimiste, Bouillet [sic], les Goncourt, etc. Taine et Renan n’y étaient pas. Nous n’étions que 12. J’ai été reçue à bras ouverts. Il y a trois ans qu’on m’invite. Je me suis décidée aujourd’hui à y aller seule, ce qui tranche la question. Je ne voulais être amenée par personne. Ils ont tous beaucoup d’esprit, mais du paradoxe et de l’amour-propre excepté Berthelot et Flaubert qui ne parlent pas d’eux-mêmes. (711) |
Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985. |
[Ă€ Flaubert] Pensez-y, car dans nos romans, ce que font ou ne font pas nos personnage ne repose pas sur une autre question que celle-lĂ . Possèderont-ils, ne possèderont-ils pas l’objet de leurs ardentes convoitises? que ce soit l’amour ou gloire, fortune ou plaisir, dès qu’ils existent, ils aspirent Ă un but. Si nous n’avons en nous une philosophie, ils marchent droit selon nous, si nous n’en avons pas, ils marchent au hasard et sont trop dominĂ©s par les Ă©vĂ©nements que nous leur mettons dans les jambes. Imbus de nos propres idĂ©es, ils choquent souvent celles des autres. DĂ©pourvus de nos idĂ©es et soumis Ă la fatalitĂ©, ils ne paraissent pas toujours logiques. Faut-il mettre un peu ou beaucoup de nous en eux, ne faut-il rien mettre que ce que la sociĂ©tĂ© met dans chacun de nous? [Ă€ Flaubert] Quant au style, j’en fais meilleur marchĂ© que vous. // Le vent joue de ma vieille harpe comme il lui plaĂ®t d’en jouer. Il a ses hauts et ses bas, ses grosses notes et ses dĂ©faillances, au fond ça m’est Ă©gal pourvu que l’émotion vienne mais je ne peux rien trouver en moi. C’est l’autre qui chante Ă son grĂ©, mal ou bin, et quand j’essaie de penser à ça, je m’en effraie et me dis que je ne suis rien, rien du tout. (207) Ne rien mettre de son cĹ“ur dans ce qu’on Ă©crit? je ne comprends pas du tout, oh mais, du tout. Moi il me semblerait qu’on ne peut pas y mettre autre chose. Est-ce qu’on peut sĂ©parer son esprit de son cĹ“ur, est-ce que c’est quelque chose de diffĂ©rent? est-ce que la sensation mĂŞme peut se limiter, est-ce que l’être peut se scinder? Enfin ne pas se donner tout entier dans son Ĺ“uvre, me paraĂ®t aussi impossible que de pleurer avec autre chose que ses yeux et de penser avec autre chose que son cerveau qu’est-ce que vous avez voulu dire? (217) Quant Ă la vie littĂ©raire, je ne la connais pas. Je ne connais pas de milieu littĂ©raire oĂą elle s’exprime et se manifeste de manière Ă lui ĂŞtre accessible, avant qu’il n’ait fait preuve de maturitĂ©, c’est-Ă -dire que je ne connais intimement que des vieux comme moi. (473) [Ă€ Flaubert] Quand je vois le mal que mon vieux se donne pour faire un roman, ça me dĂ©courage de ma facilitĂ©, et je me dis que je fais de la littĂ©rature ˛ő˛ą±ą±đłŮĂ©±đ. (483) [Ă€ Flaubert] Je crois que l’artiste doit vivre dans sa nature le plus possible. Ă€ celui qui aime la lutte, la guerre, Ă celui qui aime les femmes, l’amour, au vieux qui, comme moi, aime la nature, le voyage et les fleurs, les roches, les grands paysages, les enfants aussi, la famille, tout ce qui Ă©meut, tout ce qui combat l’anĂ©mie morale. Je crois que l’art a besoin d’une palette toujours dĂ©bordante de tons doux ou violents suivant le sujet du tableau ; que l’artiste est un instrument dont tout doit jouer avant qu’il ne joue des autres : mais tout cela n’est peut-ĂŞtre pas applicable Ă un esprit de ta sorte qui a beaucoup acquis et qui n’a plus qu’à digĂ©rer. Je n’insisterais que sur un point, c’est que l’être physique est nĂ©cessaire Ă l’être moral et que je crains pour toi un jour ou l’autre la dĂ©tĂ©rioration de la santĂ© qui te forcerait Ă suspendre ton travail et Ă le laisser refroidir. (643) |
Correspondance, Tome XXI – juin 1868 - mars 1870, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1986. |
Il me semble qu’en ce moment on va trop loin dans l’affirmation d’un réalisme étroit et un peu grossier dans la science comme dans l’art. (12) |
Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1987. |
[Ă€ Flaubert] J’ai eu des principes; ne ris pas, des principes d’enfant très candide qui me sont restĂ©s Ă travers tout, Ă travers ł˘Ă©±ôľ±˛ą et l’époque romantique, Ă travers l’amour et le doute, les enthousiasmes et les dĂ©senchantements. (595) [Ă€ Flaubert] Chez les artistes et les lettrĂ©s, je n’ai trouvĂ© aucun fond. Tu es le seul avec qui j’aie pu Ă©changer des idĂ©es autres que celles du mĂ©tier. Je ne sais si tu Ă©tais chez Magny un jour oĂą je leur ai dit qu’ils Ă©taient tous des messieurs. Ils disaient qu’il ne fallait pas Ă©crire pour les ignorants, ils me conspuaient parce que je ne voulais Ă©crire que pour ceux-lĂ , vu qu’eux seuls ont besoin de quelque chose. Les maĂ®tres sont pourvus, riches et satisfaits. Les imbĂ©ciles manquent de tout, je les plains. Aimer et plaindre ne se sĂ©parent pas. Et voilĂ le mĂ©canisme peu compliquĂ© de ma pensĂ©e. (595-596) [Ă€ Flaubert] Nous nous aimons passionnĂ©ment nous cinq, et la sacro-sainte littĂ©rature, comme tu l’appelles, n’est que secondaire pour moi dans la vie. J’ai toujours aimĂ© quelqu’un plus qu’elle, et ma famille plus que ce quelqu’un. (748-749) |
Correspondance, Tome XXIII – avril 1872 - mars 1874, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1989. |
Je me dis que si j’avais eu plus de talent, j’aurais mieux fait accepter mon idéalisme. (12) Et puis l’étrange révolution, je devrais dire réaction littéraire qui a succédé au romantisme m’a fait douter aussi parfois de la bonté de mes moyens pour en combattre le déchaînement excessif. Je trouvais que cette recherche du vrai positif avait du bon, du très bon; qu’Elle nous débarrassait de l’abus de l’à peu près en philosophie et en littérature. Je préférais une phase d’athéisme en toutes choses à l’invitation du catholicisme hypocrite et bigot. Je l’ai dit, je le pensais, je le pense toujours. […] Moi, je crois que le laid est transitoire, le beau éternel. (13) L’art pour l’art est un vain mot. L’art pour le vrai, l’art pour le beau et le bon, voilà la religion que je cherche, et, si je vous parle de moi, pour qui la célébrité est un martyre, et la retraite un paradis, c’est pour vous dire que, ayant fait une belle chose, vous avez pour devoir de la publier, tout en la rendant accessible au vulgaire. (39) [À Flaubert] Tu veux écrire pour les temps. Moi je crois que dans cinquante ans je serai parfaitement oubliée et peut-être durement méconnue. […] Mon idée a été plutôt d’agir sur mes contemporains, ne fût-ce que sur quelques-uns, et de leur faire partage mon idéal de douceur et de poésie. (332) |
Correspondance, Tome XXIV – avril 1874 - mai 1876, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1990. |
Tu aimes trop la littĂ©rature, elle te tuera et tu ne tueras pas la bĂŞtise humaine. (147) On me reproche beaucoup d’avoir trop philosophĂ© dans mes romans. C’est encore lĂ un °ůĂ©˛őłÜ±ôłŮ˛ąłŮ de mes frĂ©quents accès de passivitĂ©. Si je suis sous le coup d’un vif sentiment, d’une conviction Ă©mue, il faut que mes rĂŞveries, que mes fictions mĂŞmes s’en ressentent. (506) [Ă€ Flaubert] Cette volontĂ© de peindre les choses comme elles sont, les aventures de la vie comme elles se prĂ©sentent Ă la vue, n’est pas bien raisonnĂ©e, selon moi. Peignez en rĂ©aliste ou en poète les choses inertes, cela m’est Ă©gal; mais, quand on aborde les mouvements du cĹ“ur humain, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas vous abstraire de cette contemplation; car l’homme c’est vous, et les hommes, c’est le lecteur. Vous aurez beau faire, votre rĂ©cit est une causerie entre vous et lui. Si vous lui montrez froidement le mal sans lui montrer le bien, il se fâche. Il se demande si c’est lui qui est mauvais ou si c’est vous. Vous travaillez pourtant Ă l’émouvoir et Ă l’attacher; vous n’y parviendrez jamais si vous n’êtes pas Ă©mu vous-mĂŞme, ou si vous le cachez si bien, qu’il vous juge indiffĂ©rent. Il a raison : la suprĂŞme impartialitĂ© est une chose antihumaine et un roman doit ĂŞtre humain avant tout. S’il ne l’est pas, on ne lui sait point de grĂ© d’être bien Ă©crit, bien composĂ© et bien observĂ© dans le dĂ©tail. La qualitĂ© essentielle lui manque : l’intĂ©rĂŞt. (514) [Ă€ Flaubert] Cela [Son Excellence Eugène Rougon est un livre de grande valeur] ne change rien Ă ma manière de voir que l’art doit ĂŞtre la recherche de la vĂ©ritĂ©, et que la vĂ©ritĂ© n’est pas la peinture du mal. Elle doit ĂŞtre la peinture du mal et du bien. Un peintre qui ne voit que l’un est aussi faux que celui qui ne voit que l’autre. La vie n’est pas bourrĂ©e que de monstres. La sociĂ©tĂ© n’est pas formĂ©e que de scĂ©lĂ©rats et de misĂ©rables. Les honnĂŞtes gens ne sont pas le petit nombre, puisque la sociĂ©tĂ© subsiste dans un certain ordre et sans trop de crimes impunis. Les imbĂ©ciles dominent, c’est vrai, mais il y a une conscience publique qui pèse sur eux et qui les oblige Ă respecter le droit. Que l’on montre et flagelle les coquins, c’est bien, c’est moral mĂŞme, mais que l’on nous dise et nous montre la contrepartie : autrement le lecteur naĂŻf, qui est le lecteur en gĂ©nĂ©ral, se rebute, s’attriste, s’épouvante, et vous nie pour ne pas se dĂ©sespĂ©rer. (586) |
Indiana, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2020 [1832]. |
NoticeĚý C’est mon premier roman; je l’ai fait sans aucun plan, sans aucune thĂ©orie »ĺ’a°ůłŮ ou de philosophie dans l’esprit. J’étais dans l’âge oĂą l’on Ă©crit avec ses instincts et oĂą la rĂ©flexion ne nous sert qu’à nous confirmer dans nos tendances naturelles. ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ de 1832 Indiana, si vous voulez absolument expliquer tout dans ce livre, c’est un type; c’est la femme, l’être faible chargĂ© de reprĂ©senter les passions comprimĂ©es, ou, si vous l’aimez mieux, supprimĂ©es par les lois ; c’est la volontĂ© aux prises avec la nĂ©cessitĂ©; c’est l’amour heurtant son front aveugle Ă tous les obstacles de la civilisation. [...] Peut-ĂŞtre que tout l’art du conteur consiste Ă intĂ©resser Ă leur histoire les coupables qu’il veut ramener, les malheureux qu’il veut guĂ©rir. ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ de l'Ă©dition de 1842 Lorsque j’écrivis le roman d’Indiana, j’étais jeune, j’obĂ©issais Ă des sentiments pleins de force et de sincĂ©ritĂ©, qui dĂ©bordèrent de lĂ dans une sĂ©rie de romans basĂ©s Ă peu près tous sur la mĂŞme donnĂ©e : le rapport mal Ă©tabli entre les sexes, par le fait de la sociĂ©tĂ©. [...] [Ă€ propos des critiques] C’était investir d’un rĂ´le bien grave et bien lourd un jeune auteur Ă peine initiĂ© aux premières idĂ©es sociales, et qui n’avait pour tout bagage littĂ©raire et philosophique qu’un peu d’imagination, du courage et l’amour de la vĂ©ritĂ©. Sensible aux reproches, et presque reconnaissant des leçons qu’on voulait bien lui donner, il examina les rĂ©quisitoires qui traduisaient devant l’opinion publique la moralitĂ© de ses pensĂ©es, et, grâce Ă cet examen oĂą il ne porta aucun orgueil, il a peu Ă peu acquis des convictions qui n’étaient encore que des sentiments au dĂ©but de sa carrière, et qui sont aujourd’hui des principes. [...] Longtemps après avoir Ă©crit la prĂ©face d’Indiana sous l’empire d’un reste de respect pour la sociĂ©tĂ© constituĂ©e, je cherchais encore Ă rĂ©soudre cet insoluble problème : le moyen de concilier le bonheur et la dignitĂ© des individus opprimĂ©s par cette mĂŞme sociĂ©tĂ©, sans modifier la sociĂ©tĂ© elle-mĂŞme.Ěý[...] J’ai enfin compris que, si j’avais bien fait de douter de moi et d’hĂ©siter Ă me prononcer Ă l’époque d’ignorance et d’inexpĂ©rience oĂą j’écrivais Indiana, mon devoir actuel est de me fĂ©liciter des hardiesses auxquelles je me suis cependant laissĂ© emporter alors et depuis; hardiesses qu’on m’a tant reprochĂ©es, et qui eussent Ă©tĂ© plus grandes encore si j’avais su combien elles Ă©taient lĂ©gitimes, honnĂŞtes et sacrĂ©es. [...] Je me suis trouvĂ© tellement d’accord avec moi-mĂŞme dans le sentiment qui me dicta Indiana, et qui me le dicterait encore si j’avais Ă raconter cette histoire aujourd’hui pour la première fois, que je n’ai voulu y rien changer, sauf quelques phrases incorrectes et quelques mots impropres. Sans doute, il en reste encore beaucoup, et le mĂ©rite littĂ©raire de mes Ă©crits, je le soumets entièrement aux leçons de la critique; je lui reconnais Ă cet Ă©gard toute la compĂ©tence qui me manque. [...] Ceux qui m’ont lu sans prĂ©tention comprennent que j’ai Ă©crit Indiana avec le sentiment non raisonnĂ©, il est vrai, mais profond et lĂ©gitime, de l’injustice et de la barbarie des lois qui rĂ©gissent encore l’existence de la femme dans le mariage, dans la famille et la sociĂ©tĂ©. |
Leone Leoni dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1834]. |
Notice Voulant échapper au spleen par le travail de l’imagination, je commençai au hasard un roman qui débutait par la description même du lieu, de la fête extérieure et du solennel appartement où je me trouvais. [...] Et pourquoi un ouvrage d’imagination aurait-il besoin d’être médité? Quelle moralité voudrait-on faire ressortir d’une fiction que chacun sait être fort possible dans le monde de la réalité? |
La Dernière Aldini, dans Œuvres T. 7, Paris, J. Hetzel et Cie, Victor Lecou, 1855 [1838]. |
Notice Les romans sont toujours plus ou moins des fantaisies, et il en est de ces fantaisies de l’imagination comme des nuages qui passent. D’où viennent les nuages et où vont-ils? |
ł˘Ă©±ôľ±˛ą, Paris, Classiques Garnier, 1960 [1833]. |
Notice Après Indiana et Valentine, j’écrivis ł˘Ă©±ôľ±˛ą, sans suite, sans plan, Ă bâtons rompus, et avec l’intention, dans le principe, de l’écrire pour moi seule. Je n’avais aucun système, je n’appartenais Ă aucune Ă©cole, je ne songeais presque pas au public; je ne me faisais pas encore une idĂ©e nette de ce qu’est la publicitĂ©. Je ne croyais nullement qu’il pĂ»t m’appartenir d’impressionner ou d’influencer l’esprit des autres. ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ Il est rare qu’une Ĺ“uvre »ĺ’a°ůłŮ soulève quelque animositĂ© sans exciter d’autre part quelque sympathie. [...] ł˘Ă©±ôľ±˛ą a Ă©tĂ© et reste dans ma pensĂ©e un essai ±č´ÇĂ©łŮľ±±çłÜ±đ, un roman fantasque oĂą les personnages ne sont ni complètement rĂ©els, comme l’ont voulu les amateurs exclusifs d’analyse de mĹ“urs, ni complètement allĂ©goriques, comme l’ont jugĂ© quelques esprits synthĂ©tiques, mais oĂą ils reprĂ©sentent chacun une fraction de l’intelligence philosophique du XIXe ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ. [...] Cette prĂ©diction pour le personnage fier et souffrant de ł˘Ă©±ôľ±˛ą m’a conduit Ă une erreur grave au point de vue de l’art : c’est de lui donner une existence tout Ă fait impossible, et qui, Ă cause de la demi-rĂ©alitĂ© des autres personnages, semble choquante de rĂ©alitĂ©, Ă force de vouloir ĂŞtre abstraite et symbolique. [...] Le dĂ©noĂ»ment, ainsi que de nombreux dĂ©tails de style, beaucoup de longueurs et de dĂ©clamations, m’ont choquĂ© comme pĂ©chant contre le goĂ»t. J’ai senti le besoin de corriger, d’après mes idĂ©es artistiques, ces parties essentiellement dĂ©fectueuses. [...] Mais si, comme artiste, j’ai usĂ© de mon droit sur la forme de mon Ĺ“uvre, ce n’est pas Ă dire que comme homme j’aie pu m’arroger celui d’altĂ©rer le fond des idĂ©es Ă©mises dans ce livre, bien que mes idĂ©es aient subi de grandes rĂ©volutions depuis le temps oĂą je l’ai Ă©crit. [...] |
Le Compagnon du Tour de France, Paris, Michel Lévy frères, 1869 [1841]. |
Notice J’écrivis le roman du Compagnon du Tour de France dans des idées sincèrement progressives. Il me fut bien impossible, en cherchant à représenter un type d’ouvrier aussi avancé que notre temps le comporte, de ne pas lui donner des idées sur la société présente et des aspirations vers la société future. Cependant on cria, dans certaines classes, à l’impossible, à l’exagération, on m’accusa de flatter le peuple et de vouloir l’embellir. Eh bien, pourquoi non? […] Depuis quand le roman est-il forcément la peinture de ce qui est, la dure et froide réalité des hommes et des choses contemporaines? Avant-propos Il y aurait toute une littérature nouvelle à créer avec les véritables mœurs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littérature commence au sein même du peuple; elle en sortira brillante avant qu’il soit peu de temps. C’est là que se retrempera la muse romantique, muse éminemment révolutionnaire, et qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille. [...] L’auteur du conte qu’on va lire n’a pas la prétention d’avoir fait cette découverte. S’il est du nombre de ceux qui l’ont pressentie, il n’en est guère plus avancé pour cela, car il ne se sent ni assez jeune ni assez fort pour donner l’élan à la littérature populaire sérieuse, telle qu’il la conçoit. Il a essayé de colorer son tableau d’un reflet qui se laisse voir, mais qui ne se laisse guère saisir par les mains débiles. En traçant cette esquisse, il s’est convaincu d’une vérité dont il avait depuis longtemps le sentiment : c’est que, dans les arts, le simple est ce qu’il y a de plus grand à tenter, de plus difficile à atteindre. |
Horace, Paris, L. de Potter, 1842. |
Notice C’est peut-être ce mot-là qui m’a frappée et qui m’a portée à écrire Horace vers le même temps. Je tenais peut-être à montrer que les exploiteurs sont quelquefois dupes de leur égoïsme, que les dévoués ne sont pas toujours privés de bonheur. Je n’ai rien prouvé ; on ne prouve rien avec des contes, ni même avec des histoires vraies; mais les bonnes gens ont leur conscience qui les rassure, et c’est pour eux surtout que j’ai écrit ce livre. |
La Comtesse de Rudolstadt, Paris, L. de Potter, 1844. |
Notice Ce dĂ©faut, qui ne consiste pas dans un »ĺĂ©ł¦´ÇłÜ˛őłÜ, mais dans une ˛őľ±˛ÔłÜ´Ç˛őľ±łŮĂ© exagĂ©rĂ©e d’évĂ©nements, a Ă©tĂ© l’effet de mon infirmitĂ© ordinaire : l’absence de plan. Je le corrige ordinairement beaucoup quand l’ouvrage, terminĂ©, est entier dans mes mains. [...] Je sentais bien que cette manière de travailler n’était pas normale et offrait de grands dangers; ce n’était pas la première fois que je m’y Ă©tais laissĂ© entraĂ®ner; mais, dans un ouvrage d’aussi longue haleine et appuyĂ© sur tant de rĂ©alitĂ©s historiques, l’entreprise Ă©tait tĂ©mĂ©raire. La première condition d’un ouvrage »ĺ’a°ůłŮ, c’est le temps et la ±ôľ±˛ú±đ°ůłŮĂ©. Je parle ici de la libertĂ© qui consiste Ă revenir sur ses pas quand on s’aperçoit qu’on a quittĂ© son chemin pour se jeter dans une traverse; je parle du temps qu’il faudrait se rĂ©server pour abandonner les sentiers hasardeux et retrouver la ligne droite. L’absence de ces deux sĂ©curitĂ©s, crĂ©e Ă l’artiste une inquiĂ©tude fiĂ©vreuse, parfois favorable Ă ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, parfois pĂ©rilleuse pour la raison, qui, en somme, doit enchaĂ®ner le caprice, quelque carrière qui lui soit donnĂ©e dans un travail de ce genre. [...] Ma rĂ©flexion condamne donc beaucoup cette manière de produire. Qu’on travaille aussi vite qu’on voudra et qu’on pourra : le temps ne fait rien Ă l’affaire; mais entre la crĂ©ation spontanĂ©e et la publication, il faudrait absolument le temps de relire l’ensemble et de l’expurger des longueurs qui sont prĂ©cisĂ©ment l’effet ordinaire de la prĂ©cipitation. La fièvre est bonne, mais la conscience de l’artiste a besoin de passer en revue, Ă tĂŞte reposĂ©e, avant de les raconter tout haut, les songes qui ont charmĂ© sa divagation libre et solitaire. [...] Il y a dans Consuelo et dans la Comtesse de Rudolstadt, des matĂ©riaux pour trois ou quatre bons romans. Le dĂ©faut, c’est d’avoir entassĂ© trop de richesses brutes dans un seul. [...] Tel qu’il est, l’ouvrage a de l’intĂ©rĂŞt et, contre ma coutume quand il s’agit de mes ouvrages, j’en conseille la lecture. [...] Que l’on fasse bon marchĂ© de l’intrigue et de l’invraisemblance de certaines situations; que l’on regarde autour de ces gens et de ces aventures de ma fantaisie, on verra un monde oĂą je n’ai rien inventĂ©, un monde qui a existĂ© et qui a Ă©tĂ© beaucoup plus fantastique que mes personnages et leurs vicissitudes : de sorte que je pourrais dire que ce qu’il y a de plus impossible dans mon livre, est prĂ©cisĂ©ment ce qui s’est passĂ© dans la rĂ©alitĂ© des choses. |
Jeanne dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853 [1844]. |
Notice Jeanne est le premier roman que j’aie composé pour le mode de publication en feuilletons. Ce mode exige un art particulier que je n’ai pas essayé d’acquérir, ne m’y sentant pas propre. |
Le Meunier d’Angibault dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1845]. |
Notice Ce roman est, comme tant d’autres, le °ůĂ©˛őłÜ±ôłŮ˛ąłŮ d’une promenade, d’une rencontre, d’un jour de loisir, d’une heure de far niente. Tous ceux qui ont Ă©crit, bien ou mal, des ouvrages d’imagination ou mĂŞme de science, savent que la vision des choses intellectuelles part souvent de celle des choses matĂ©rielles. La pomme qui tombe de l’arbre fait dĂ©couvrir Ă Newton une des grandes lois de l’univers. Ă€ plus forte raison le plan d’un roman peut-il naĂ®re de la rencontre d’un fait ou d’un objet quelconque. Dans les Ĺ“uvres du gĂ©nie scientifique, c’est la rĂ©flexion qui tire du fait mĂŞme la raison des choses. Dans les plus humbles fantaisies de l’art, c’est la rĂŞverie qui habille et complète ce fait isolĂ©. La richesse ou la pauvretĂ© de l’œuvre n’y fait rien. Le procĂ©dĂ© de l’esprit est le mĂŞme pour tous. |
Teverino, Paris, Desessart, 1846. |
Notice Ce que je me suis cru le droit de poétiser un peu dans Teverino, c’est l’excessive délicatesse des sentiments et la candeur de l’âme aux prises avec les expédients de la misère. Il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre les paradoxes qui séduisent l’imagination de ce personnage, et croire que l’auteur a été assez pédant pour vouloir prouver que la perfection de l’âme est dans une liberté qui va jusqu’au désordre. La fantaisie ne peut rien prouver, et l’artiste qui se livre à une fantaisie pure ne doit prétendre à rien de semblable. Est-il donc nécessaire, avant de parler à l’imagination du lecteur, par un ouvrage d’imagination, de lui dire que certain type exceptionnel n’est pas un modèle qu’on lui propose? Ce serait le supposer trop naïf, et il faudrait plutôt conseiller à ce lecteur de ne jamais lire de romans, car toute lecture de ce genre est pernicieuse à quiconque n’a rien d’arrêter dans le jugement ou dans la conscience. |
La Mare au Diable, Paris, Desessart, 1846. |
Notice Personne ne fait une révolution à soi tout seul, et il en est, surtout dans les arts, que l’humanité accomplit sans trop savoir comment, parce que c’est tout le monde qui s’en charge. Mais ceci n’est pas applicable au roman de mœurs rustiques : il a existé de tout temps et sous toutes les formes, tantôt pompeuses, tantôt maniérées, tantôt naïves. [...] Je n’ai voulu ni faire une nouvelle langue ni me chercher une nouvelle manière. On me l’a cependant affirmé dans bon nombre de feuilletons, mais je sais mieux que personne à quoi m’en tenir sous mes propres desseins, et je m’étonne toujours que la critique en cherche si long, quand l’idée la plus simple, la circonstance la plus vulgaire, sont les seules inspirations auxquelles les productions de l’art doivent l’être. [...] Si on me demande ce que j’ai voulu faire, je répondrai que j’ai voulu faire une chose très touchante et très simple, et que je n’ai pas réussi à mon gré. J’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple, mais voir et peindre sont deux! Tout ce que l’artiste peut espérer de mieux, c’est d’engager ceux qui ont des yeux à regarder aussi. [...] |
Lucrezia Floriani, dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853 [1847]. |
Avant-propos Or, tu as souvent fort mauvais goût, mon bon lecteur. Depuis que tu n’es plus Français, tu aimes tout ce qui est contraire à l’esprit français, à la logique française, aux vieilles habitudes de la langue et de la déduction claire et simple des faits et des caractères. Il faut, pour te plaire, qu’un auteur soit à la fois aussi dramatique que Shakespeare, aussi romantique que Byron, aussi fantastique qu’Hoffmann, aussi effrayant que Lewis et Anne Radcliffe, aussi héroïque que Calderon et tout le théâtre espagnol; et, s’il se contente d’imiter seulement un de ces modèles, tu trouves que c’est bien pauvre de couleur. [...] Il est résulté de tes appétits désordonnés, que l’école du roman s’est précipitée dans un tissu d’horreurs, de meurtres, de trahisons, de surprises, de terreurs, de passion bizarre, d’événements stupéfiants; enfin, dans un mouvement à donner le vertige aux bonnes gens qui n’ont pas le pied assez sûr ni le coup d’œil assez prompt pour marcher de ce train-là . [...] Or, tu as souvent fort mauvais goût, mon bon lecteur. Depuis que tu n’es plus Français, tu aimes tout ce qui est contraire à l’esprit français, à la logique française, aux vieilles habitudes de la langue et de la déduction claire et simple des faits et des caractères. Il faut, pour te plaire, qu’un auteur soit à la fois aussi dramatique que Shakespeare, aussi romantique que Byron, aussi fantastique qu’Hoffmann, aussi effrayant que Lewis et Anne Radcliffe, aussi héroïque que Calderon et tout le théâtre espagnol; et, s’il se contente d’imiter seulement un de ces modèles, tu trouves que c’est bien pauvre de couleur. [...] Il est résulté de tes appétits désordonnés, que l’école du roman s’est précipitée dans un tissu d’horreurs, de meurtres, de trahisons, de surprises, de terreurs, de passion bizarre, d’événements stupéfiants; enfin, dans un mouvement à donner le vertige aux bonnes gens qui n’ont pas le pied assez sûr ni le coup d’œil assez prompt pour marcher de ce train-là . Notice Ce n’est point par fausse modestie, encore moins par pusillanimité de caractère, que je déclare aimer beaucoup les événements romanesques, l’imprévu, l’intrigue, l’action dans le roman. Pour le roman comme pour le théâtre, je voudrais que l’on trouvât le moyen d’allier le mouvement dramatique à l’analyse vraie des caractères et des sentiments humains. Sans vouloir faire ici la critique ni l’éloge de personne, je dis que ce problème n’est encore résolu d’une manière générale et absolue, ni pour le roman, ni pour le théâtre. Depuis vingt ans, on flotte entre les deux extrêmes, et, pour ma part, aimant les émotions fortes dans la fiction, j’ai marché cependant dans l’extrême opposé, non point tant par goût que par conscience, parce que je voyais ce côté négligé et abandonné par la mode. J’ai fait tous mes efforts, sans m’exagérer leur faiblesse ni leur importance, pour retenir la littérature de mon temps dans un chemin praticable entre le lac paisible et le torrent fougueux. |
La Petite Fadette, Paris, Michel Lévy frères, 1849. |
Notice De nos jours, plus faible et plus sensible, l’artiste, qui n’est que le reflet et l’écho d’une gĂ©nĂ©ration assez semblable Ă lui, Ă©prouve le besoin impĂ©rieux de dĂ©tourner la vue et de distraire l’imagination, en se reportant vers un idĂ©al de calme, d’innocence et de rĂŞverie. C’est son infirmitĂ© qui le fait agir ainsi, mais il n’en doit point rougir, car c’est aussi son devoir. ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ L’art est comme la nature, lui dis-je : il est toujours beau. Il est comme Dieu, qui est toujours bon; mais il est des temps oĂą il se contente d’exister Ă l’état d’abstraction, sauf Ă se manifester plus tard quand ses adeptes en seront dignes. Son souffle ranimera alors les lyres longtemps muettes; mais pourra-t-il faire vibrer celles qui se seront brisĂ©es dans la tempĂŞte? L’art est aujourd’hui en travail de dĂ©composition pour une Ă©closion nouvelle. |
Le Château des Désertes, Paris, Michel Lévy frères, 1851. |
Notice C’est ainsi que la fantaisie, le roman, l’œuvre de l’imagination, en un mot, a son effet dĂ©tournĂ©, mais certain, sur l’emploi de la vie. Effet souvent funeste, disent les rigoristes de mauvaise foi ou de mauvaise humeur. Je le nie. La fiction commence par transformer la rĂ©alitĂ©; mais elle est transformĂ©e Ă son tour et fait entrer un peu d’idĂ©al, non pas seulement dans les petits faits, mais dans les grands sentiments de la vie °ůĂ©±đ±ô±ô±đ. |
˛Ń´Ç˛ÔłŮ-¸é±đ±ąĂŞł¦łó±đ, Paris, Michel LĂ©vy frères, 1869 [1853]. |
Avant-propos Voici encore un roman Ă propos duquel on dira probablement, comme on dit Ă propos de tous ceux que j’ai faits, comme on dit Ă propos de tous les romans en gĂ©nĂ©ral : « Qu’est-ce que cela prouve? » [...] Je n’ai jamais songĂ© Ă demander rien de ce genre aux ouvrages »ĺ’a°ůłŮ; voilĂ pourquoi je n’ai jamais songĂ© Ă m’imposer rien de semblable. Mais sans doute il m’est permis aujourd’hui de rĂ©pondre Ă cette objection injuste, non pas quant Ă moi peut-ĂŞtre, car il est fort possible que je n’aie fait preuve que d’impuissance en ne concluant pas, mais injuste au premier chef envers le roman en gĂ©nĂ©ral. [...] Qu’est-ce que la fable d’un roman, d’une tragĂ©die, d’une narration quelconque? C’est l’histoire vraie ou fictive d’un fait, c’est un rĂ©cit. VoilĂ ce que j’appellerai le roman du roman. Tout ce qu’on y fait entrer d’ornements pour la peinture, ou de rĂ©flexions pour la pensĂ©e, n’en est que l’accessoire; mais ce sont des choses si distinctes, que ces accessoires semblent quelquefois assez agrĂ©ables pour faire oublier et pardonner la mauvaise combinaison de l’action, tandis que, parfois aussi, l’intĂ©rĂŞt et l’habiletĂ© de cette combinaison font que le style sans charme et les dĂ©tails sans vraisemblance trouvent grâce devant le lecteur. [...] Or, le roman Ă©tant forcĂ© de tourner dans la peinture des faits rĂ©els, il ne faut pas lui demander ce qui n’est pas de son ressort, ce qui, en bien des cas, tuerait l’art et l’intĂ©rĂŞt dans le roman. |
Constance Verrier, Paris, Michel Lévy frères, 1860. |
Avant-propos Depuis un ˛őľ±Ă¨ł¦±ô±đ, le roman s’est bien relevĂ© de l’arrĂŞt portĂ© par Rousseau; il n’est pas nĂ©cessairement pernicieux. C’est un instrument qui s’est beaucoup perfectionnĂ©. Des mains habiles et fĂ©condes peuvent faire rĂ©sonner toutes ses cordes. Il peut se prĂŞter Ă l’enseignement de tous les âges et de toutes les situations; il peut faire Ă©clore chez l’enfant et dĂ©velopper chez l’adolescent le sens du beau et du bien; il peut confirmer et consacrer cette notion chez l’homme mĂ»r et chez le vieillard; mais ce ne sera pas toujours par les mĂŞmes moyens ni avec le mĂŞme procĂ©dĂ©, et il ne serait pas absolument juste de vouloir obliger l’artiste Ă chanter exclusivement et perpĂ©tuellement pour tel ou tel auditoire. Ce qu’il y a de certain, c’est que le roman est une forme qui permet d’écrire alternativement pour tous, au grĂ© de ±ô’i˛Ô˛ő±čľ±°ů˛ąłŮľ±´Ç˛Ô et dans la mesure d’une puissance donnĂ©e. |