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Photo de Samuel BeckettSamuel Beckett

(1906-1989)

Dossier

Le roman selon Samuel Beckett

Respirer - L'Ă©criture et le roman selon Samuel Beckett, par Xavier Phaneuf-Jolicoeur

« Bon qu’à ça », voilĂ  la rĂ©ponse laconique de Samuel Beckett (1906-1989) Ă  une question qui lui Ă©tait posĂ©e en 1985 par le journal łąŸ±ČúĂ©°ùČčłÙŸ±ŽÇČÔ : « Pourquoi Ă©crivez-vous[1] ? » La boutade ne doit pas surprendre : l’écrivain d’origine irlandaise, cĂ©lĂšbre pour son thĂ©Ăątre[2], mais aussi pour ses trois romans majeurs, Molloy, Malone meurt (1951) et łąâ€™IČÔČÔŽÇłŸłŸČčČú±ô±đ (1953)[3], rĂ©sistera frĂ©quemment Ă  l’idĂ©e d’expliquer sa dĂ©marche : « L’erreur, la faiblesse tout au moins, c’est peut-ĂȘtre de vouloir savoir de quoi on parle. À dĂ©finir la littĂ©rature, Ă  sa satisfaction, mĂȘme brĂšve, oĂč est le gain, mĂȘme bref ? De l’armure que tout ça, pour un combat exĂ©crable.[4] » Il refusera presque toute entrevue[5], rĂ©itĂ©rant son inaptitude Ă  parler de son Ɠuvre, mĂȘme lorsqu’il remporte le Nobel, en 1969 :

It is impossible for me to talk about my writing °Ú
]. It is impossible because I am constantly working in the dark. It would be like an insect leaving his cocoon. I can only estimate my work from within. If my work has any meaning at all, it is due more to ignorance, inability, and an intuitive despair than to any individual strength[6].

La prĂ©sente Ă©tude, que Beckett aurait sans doute considĂ©rĂ©e comme un exemple de « dĂ©mence universitaire[7] », visera Ă  cerner sa pensĂ©e diffuse de l’écriture et du roman, Ă  partir de ses rares entretiens, de certains de ses hermĂ©tiques textes critiques – qui datent du dĂ©but de sa carriĂšre d’écrivain et qu’il juge sĂ©vĂšrement[8] – et, surtout, de son imposante correspondance. Il s’agira d’abord d’éclairer la notion de sĂ©paration qui caractĂ©rise son esthĂ©tique, puis la relation ambiguĂ« qu’il Ă©tablit entre fond et forme. Ayant montrĂ© comment Beckett tente de s’avancer vers l’impuissance, on pourra analyser la maniĂšre dont il conçoit l’exigence propre au roman. Enfin, l’on Ă©voquera, en ouverture, le rapport entre l’Ɠuvre beckettienne et la dĂ©tresse.

Une esthétique de la séparation.

DĂšs ses premiĂšres tentatives critiques, antĂ©rieures Ă  sa sortie du monde universitaire[9], Beckett accorde une place importante Ă  la rupture entre soi et ce qui nous entoure. En effet, en 1931, il publie Proust, un court livre sur l’écrivain du mĂȘme nom, Ă©tude qui en dit long, de son propre aveu, sur sa jeune esthĂ©tique[10], puisqu’il y voit « at its best a distorted steam-rolled equivalent of some aspect or confusion of aspects of myself[11] ». Dans ce texte, Beckett fait de l’impossible synchronisme entre sujet et objet – en l’espĂšce entre Marcel et Albertine – une catastrophe centrale Ă  l’Ɠuvre de Proust, y voyant la tragĂ©die-type de la relation humaine vouĂ©e Ă  l’échec[12]. Selon cette lecture, l’ĂȘtre humain serait essentiellement seul, isolĂ© – « [w]e cannot know and we cannot be known[13] » – et l’art serait l’ « apotheosis of solitude » oĂč toute communication est impossible « because there are no vehicles of communication[14] ». C’est aussi sur une telle « rupture of the lines of communication » qu’insiste Beckett lorsqu’il considĂšre certains poĂštes irlandais de son temps : ces derniers reprĂ©senteraient « the space that intervenes between [them] and the world of objects », comme « no-man’s land », « Hellespont » ou « vacuum[15] ».

De cette sĂ©paration, rattachĂ©e Ă  l’incommunicabilitĂ©, dĂ©coule d’ailleurs un Ă©lĂ©ment central de l’esthĂ©tique beckettienne : la nĂ©cessitĂ© pour l’art de dĂ©signer ce qui nous Ă©loigne du monde, mais aussi – et peut-ĂȘtre surtout – ce qui nous Ă©loigne de nous-mĂȘmes. Les analyses de Beckett, qui en disent souvent davantage sur sa propre vision de l’art que sur celle des artistes qu’il Ă©tudie[16], sont particuliĂšrement Ă©clairantes Ă  ce sujet lorsqu’elles se dĂ©ploient sur la peinture. Par exemple, Beckett Ă©crit, dans une lettre de 1934, que ce qu’il admire, chez CĂ©zanne, c’est « the sense of his incommensurability not only with life of such a different order as landscape but even with life of his own order, even with the life °Ú
] operative in himself[17] ».

De mĂȘme, Beckett dialoguera intensĂ©ment, pendant quelques annĂ©es, avec le spĂ©cialiste d’art Georges Duthuit ; leurs dĂ©bats, contemporains Ă  l’écriture des trois romans en français, seront l’occasion de certaines des formulations les plus consistantes de l’esthĂ©tique beckettienne[18]. L’écrivain y soulignera, par exemple, dans la peinture de Bram van Velde – dont il se sent trĂšs proche, puisqu’il dit avoir « besoin d’une main dans la [s]ienne dans [s]on tort[19] » – que ce dernier aurait « sais[i] que la rupture avec le dehors entraĂźne la rupture avec le dedans[20] ». Dans les Three Dialogues (1949) – que Beckett dira regretter en 1965[21] –, une version retravaillĂ©e et publiĂ©e de certains Ă©changes avec Duthuit[22], l’écrivain Ă©nonce les consĂ©quences de cette impossibilitĂ© d’établir le moindre rapport, qu’il place au cƓur de l’existence humaine :

[Beckett] – [DĂ©crivant l’art auquel il aspire.] I speak of an art turning from [the plane of the feasible] in disgust, weary of its puny exploits, weary of pretending to be able, of being able, of doing a little better the same old thing, of going a little further along a dreary road.

[Duthuit] – And preferring what ?

[Beckett] – The expression that there is nothing to express, nothing with which to express, nothing from which to express, no power to express, no desire to express, together with the obligation to express[23].

Il faut, pour rendre les nuances de la pensĂ©e esthĂ©tique de Beckett – et son humour –, souligner que ce dernier sent tout Ă  fait la dĂ©mesure qui se rattache Ă  une telle exigence[24]. Dans les Dialogues, par exemple, il se tourne frĂ©quemment en ridicule, orchestrant si bien l’échange que le « Duthuit » fictif en vient Ă  lui rĂ©pondre que ses propos ne sont qu’ « a violently extreme and personal point of view », complĂštement inutile Ă  leur dĂ©bat, ce qui laisse Beckett coi[25].

La question n’en est pas moins sĂ©rieuse, pour l’écrivain, et il ne cessera, au fil des lettres qui inspireront et continueront les Three Dialogues, de tenter de formuler son idĂ©al esthĂ©tique :

Si je dis [que Bram van Velde] peint l’impossibilitĂ© de peindre, la privation de rapport, d’objet, de sujet, j’ai l’air de le mettre en rapport avec cette impossibilitĂ©, avec cette privation, devant elles. Il est dedans, est-ce la mĂȘme chose ? Il les est, plutĂŽt, et elles sont lui, d’une façon pleine, et peut-il y avoir des rapports dans l’indivisible ? Plein ? Indivisible ? Évidemment pas. Ça vit quand mĂȘme. °Ú
] Je ne veux rien prouver et les thĂ©ories Ă©tanches ne me sont pas plus chĂšres que celles qui laissent passer cette chĂšre VĂ©ritĂ©[26].

Ailleurs, il avancera plutĂŽt que « la seule rĂ©ponse possible » est de considĂ©rer la peinture de van Velde comme « inexpressive » ; il y aurait une « lĂąchetĂ© » Ă  affirmer « qu’elle exprime l’impossibilitĂ© de rien exprimer », parce que ce serait le « ramener tambour battant au bercail[27]. » Lucide, l’écrivain paraĂźt conscient de la tension inhĂ©rente Ă  son esthĂ©tique, concĂ©dant que son point de vue le place dans une « situation littĂ©ralement impossible », celle de l’ « absolu[28] ».

En outre, c’est probablement cette sĂ©paration intrinsĂšque Ă  l’ĂȘtre humain – par rapport au monde, au savoir, Ă  lui-mĂȘme – qui mĂšne Beckett Ă  privilĂ©gier un art qui serait interrogatif avant tout – « art [that] raises questions that it does not attempt to answer[29]. » Dans un texte de 1938, assez reprĂ©sentatif malgrĂ© son emphase, il Ă©crit que l’artiste serait celui qui voit et fait voir « la monotone centralitĂ© de ce [que] chacun veut, pense, fait et souffre, de ce qu’un chacun est », celui qui se consacre Ă  cette vision « alors qu’il n’y [voit] goutte, mais avant [d’avoir] acceptĂ© de n’y voir goutte[30] ». La mise Ă  distance des autres et de soi pourrait d’ailleurs conduire Ă  la dĂ©couverte, par un artiste, de sa propre voie ; appelĂ© Ă  conseiller un Ă©crivain plus jeune que lui, Beckett lui recommandera simplement : « Ă©loignez-vous et de mon travail et de vous-mĂȘme[31] ».

Le fond et l’informe.

Quoique la sĂ©paration soit au cƓur de l’esthĂ©tique de Beckett, il se refuse Ă  Ă©carter, lorsqu’il est question d’écriture littĂ©raire, la forme et le sens. Dans un article sur ce qui allait devenir Finnegans Wake, le jeune Beckett insiste d’ailleurs sur le trait suivant, qui le frappe chez Joyce :

Here form is content, content is form. You complain that this stuff is not written in English. It is not written at all. It is not to be read – or rather it is not only to be read. It is to be looked at and listened to. His writing is not about something; it is that something itself. °Ú
] When the sense is sleep, the words go to sleep. °Ú
] When the sense is dancing, the words dance[32].

Il rĂ©itĂšre, beaucoup plus tard, l’importance de cet Ă©troit rapport qui unit Ă  ses yeux forme et contenu, rĂ©pondant aux commentaires de Barbara Bray sur Comment c’est (1961), oĂč elle voit de la poĂ©sie « pure if not simple » : « You have "understood" the book as no one so far. °Ú
] What you say of its being not about something, but something, is exactly what I wrote of Finnegans[33] ».

Beckett s’appuie sur cette insĂ©parabilitĂ© de la forme et du contenu, importante Ă  sa conception de l’écriture, pour distinguer son Ɠuvre de celle de Kafka, auquel on le compare souvent. En 1954, il Ă©crit : « Je me rappelle avoir Ă©tĂ© gĂȘnĂ© par le cĂŽtĂ© imperturbable de sa dĂ©marche. Je me mĂ©fie des dĂ©sastres qui se laissent dĂ©poser comme un bilan[34]. » Quelques annĂ©es plus tard : « What struck me as strange in Kafka was that the form is not shaken by the experience it conveys[35]. » Beckett considĂšre que, chez Kafka, « form is classic, it goes on like a steamroller – almost serene », c’est-Ă -dire que « the consternation is in the form », tandis que dans sa propre Ă©criture « there is consternation behind the form, not in the form[36] ».

Cette idĂ©e, a priori un peu obscure, l’écrivain l’éclaire vaguement lorsqu’il affirme, en entretien, que l’art ne peut faire autrement, Ă  l’époque qui est la sienne, que de faire place Ă  un certain dĂ©sordre – « the mess » – qui constitue « the very opposite of form » et qui est « destructive of the very thing that art holds itself to be[37] ». La position de Beckett quant Ă  l’interaction entre ce dĂ©sordre et la forme est complexe, voire contradictoire, et tient Ă  un Ă©quilibre prĂ©caire en vertu duquel l’artiste devrait, d’une part, Ă©viter de gĂ©nĂ©rer un total dĂ©sordre dĂ©pourvu de forme et, de l’autre, se garder d’imposer un ordre formel au dĂ©sordre :

What I am saying does not mean that there will henceforth be no form in art. It only means that there will be a new form, and that this form will be of such a type that it admits the chaos and does not try to say that the chaos is really something else. The form and the chaos remain separate. The latter is not reduced to the former. That is why the form itself becomes a preoccupation, because it exists as a problem separate from the material it accommodates. To find a form that accommodates the mess, that is the task of the artist now[38].

Dans une entrevue donnĂ©e prĂšs du moment oĂč il reçoit le Nobel, Beckett brouille davantage les cartes, laissant entrevoir la difficultĂ© du travail qui serait celui de l’écrivain. Beckett affirme s’ĂȘtre libĂ©rĂ©, comme le compositeur Schönberg ou le peintre Kandinsky, de « certain formal concepts », se tournant comme ces deux artistes vers une sorte d’abstraction, mais Ă©vitant, contrairement Ă  eux, de lui trouver « yet another formal context[39] ». Il faut au passage prĂ©ciser que l’abstraction dont il est ici question n’est pas intellectuelle ; c’est celle de la sĂ©paration Ă©voquĂ©e plus haut, Ă  laquelle renvoie par exemple Beckett pour dĂ©crire un dĂ©cor rĂȘvĂ© pour sa piĂšce En attendant Godot : « sordidement abstrait comme la nature l’est[40] ». Quant Ă  la difficultĂ© de la tĂąche de l’écrivain telle que la conçoit Beckett, on en prend la mesure lorsqu’il dĂ©clare :

La nĂ©gation n’est pas possible. Pas plus que l’affirmation. Il est absurde de dire que c’est absurde. C’est encore porter un jugement de valeur. On ne peut pas protester, et on ne peut pas opiner. °Ú
] Il faut se tenir lĂ  oĂč il n’y a ni pronom, ni solution, ni rĂ©action, ni prise de position possibles
 C’est ce qui rend le travail si diaboliquement difficile[41].

Le caractĂšre insaisissable du rapport entre fond et forme dĂ©coulerait de ce labeur impossible de l’écrivain qui ne peut rien affirmer ou infirmer ; devant l’impasse, c’est « [p]aradoxalement » Ă  travers « la forme que l'artiste peut trouver une sorte d'issue » : « En donnant forme Ă  l’informe. Ce n'est peut-ĂȘtre qu'Ă  ce niveau qu'il y aurait une affirmation sous-jacente[42]. »

Mal s’armer pour faire fausse route.

Dans une lettre de 1954, aprĂšs avoir quelque peu minimisĂ© l’influence exercĂ©e sur son Ɠuvre par des auteurs l’ayant prĂ©cĂ©dĂ©, Beckett se dĂ©crit comme un « piĂštre lecteur, incurablement distrait, Ă  l’affĂ»t d’un ailleurs[43] ». Il avance du mĂȘme souffle que les lectures qui l’ont « le plus marquĂ© » sont celles qui l’ont le mieux renvoyĂ© « Ă  cet ailleurs[44] ». Quoi qu’il en dise, un simple regard sur sa correspondance et ses Ă©crits critiques suffit Ă  rĂ©vĂ©ler la richesse de sa culture littĂ©raire et l’importance de son rapport Ă  la tradition[45]. Et le prĂ©dĂ©cesseur auquel Beckett a le plus Ă©tĂ© comparĂ© – celui dont il a, par consĂ©quent, le plus Ă©tĂ© appelĂ© Ă  se distinguer – est James Joyce, qu’il a connu lors de son passage Ă  l’École normale Ă  Paris, de 1928 Ă  1930[46]. La maniĂšre dont Beckett dĂ©crit la relation entre leurs dĂ©marches est pertinente pour comprendre son Ă©criture, d’abord parce qu’elle est indicative des rapports gĂ©nĂ©raux qu’il entretient avec la tradition littĂ©raire, mais aussi parce qu’elle lui sert Ă  articuler l’esthĂ©tique qui lui est propre.

D’entrĂ©e de jeu, il est difficile de minimiser l’influence que Joyce exerce sur le jeune Beckett. Ce dernier rĂ©vĂšle qu’il cherche Ă  se dĂ©barrasser de cet ascendant dont il a bien conscience – « I vow I will get over J.J. ere I die. Yessir[47]. » –, notamment lorsqu’il constate, au sujet d’un texte narratif qui sera transformĂ© et intĂ©grĂ© Ă  son premier roman (Dream of Fair to Middling Women, publiĂ© seulement en 1992, soit aprĂšs sa mort) : « it stinks of Joyce in spite of most earnest endeavours to endow it with my own odours[48]. » Ainsi, bien que Beckett ait parfois niĂ© avoir Ă©tĂ© influencĂ© par Joyce – autrement que par son intĂ©gritĂ© artistique, qu’il admire et dont il se revendique frĂ©quemment[49] – il concĂšde, en 1989, la possibilitĂ© d’une influence « ab contrario[50] ». Joyce peut sous cet angle ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une sorte de repoussoir pour Beckett, par exemple lorsqu’il affirme avoir « senti de bonne heure que la chose qui [l±Ő’appelait et les moyens dont [il] pouvai[t] disposer Ă©taient pratiquement Ă  l’opposĂ© de [l]a chose [de Joyce] et de ses moyens Ă  lui[51] ». Dans un entretien de 1956, il explique la spĂ©cificitĂ© de sa propre Ă©criture Ă  partir de la dĂ©marche de son imposant prĂ©dĂ©cesseur :

The kind of work I do is one in which I’m not master of my material. The more Joyce knew the more he could. He’s tending toward omniscience and omnipotence as an artist. I’m working with impotence, ignorance. I don’t think impotence has been exploited in the past. There seems to be a kind of esthetic axiom that expression is achievement – must be an achievement. My little exploration is that whole zone of being that has always been set aside by artists as something unusable – as something by definition incompatible with art[52].

Il ne s’agit bien sĂ»r pas uniquement, pour Beckett, de s’opposer Ă  Joyce ; son Ă©criture rĂ©pond Ă  une constatation liĂ©e Ă  sa propre rĂ©alitĂ© : « anyone nowadays who pays the slightest attention to his own experience finds it the experience of a non-knower, a non-can-er[53] ». La place de cette impuissance et de cette inconnaissance dans sa dĂ©marche, Beckett l’illustre souvent, de façon presque mĂ©canique, en s’appuyant des locutions qu’il n’explique jamais de façon trĂšs dĂ©taillĂ©e – l’une due Ă  DĂ©mocrite, l’autre au philosophe du 17e siĂšcle Arnold Geulincx. Des commentaires elliptiques sur son Ɠuvre, qu’il consent Ă  formuler en 1967, en tĂ©moignent :

If I were in the unenviable position of having to study my work my points of departure would be the ‘Naught is more real [than nothing±Ő’ and the ‘Ubi nihil vales [,] [ibi nihil velis±Ő’ [lĂ  oĂč tu ne vaux rien, tu ne dois rien vouloir] both already in Murphy and neither very rational[54].

L’écrivain se plaĂźt d’ailleurs Ă  situer trĂšs prĂ©cisĂ©ment dans sa vie le constat, la prise de conscience saisissante – malgrĂ© ses racines antĂ©rieures –, qui le mĂšnera Ă  accorder un tel rĂŽle Ă  la nĂ©gativitĂ© dans son Ă©criture. Beckett raconte en effet qu’il aurait connu une vĂ©ritable rĂ©vĂ©lation dans la chambre de sa mĂšre, qu’il visitait peu aprĂšs la guerre ; ce serait ce moment charniĂšre qui lui aurait permis d’enfin apercevoir le chemin qu’il aurait Ă  suivre comme Ă©crivain, alors qu’il allait entamer la rĂ©daction de Molloy et des deux romans suivants[55]. Beckett le confirme Ă  James Knowlson : il aurait vĂ©cu, Ă  l’instar de l’un de ses personnages, Krapp, une sorte d’illumination inversĂ©e – « the dark I have always struggled to keep under is in reality my most [precious ally[56]] ».

Cette prise de conscience du rĂŽle que pourrait jouer la noirceur, l’insuffisance, dans son Ɠuvre – peut-ĂȘtre une voie vers cet ailleurs qu’il cherchait comme lecteur – n’est d’autre part pas Ă©trangĂšre Ă  son passage au français aprĂšs 1945. En effet, lorsqu’on l’interroge sur sa transition linguistique, Beckett prĂ©cise, dans une lettre plutĂŽt tĂ©lĂ©graphique de 1982 :

Definite switch [to French] on return to Dublin summer 1945 when Molloy begun.

Already in French poems & nouvelles.

Escape from mother Anglo-Irish exuberance & automatisms.

From ex[c]ess to lack of colour.

Distance from the writing from which clearer to assess it.

Slow-down of whole process of formulation.

Impoverished form in keeping with revelation & espousal of mental poverty.

English grown foreign resumable 10 years later[57].

Ainsi, il semble que, pour parvenir au dĂ©pouillement – mais aussi pour Ă©tablir une distance fĂ©conde entre son Ă©criture et lui – Beckett ait cherchĂ© des façons de satisfaire un dĂ©sir aporĂ©tique : son « besoin d’ĂȘtre mal armĂ©[58] », selon une expression de 1954.

Avant d’aborder la conscience gĂ©nĂ©rique de Beckett, il paraĂźt utile de souligner qu’il est loin de considĂ©rer le dĂ©nuement comme la seule voie artistique possible. AprĂšs avoir mentionnĂ© qu’il avait « jusqu’en 1946 » tentĂ© de « savoir, afin d’ĂȘtre en mesure de pouvoir », s’apercevant qu’il « faisai[t] fausse route », Beckett concĂšde qu’il n’y a peut-ĂȘtre au final « que des fausses routes » et que le l’écrivain doit « pourtant trouver la mauvaise route qui [lui] convient[59]. » Non seulement Beckett est-il ouvert Ă  la possibilitĂ© que sa dĂ©marche soit erronĂ©e, mais il admet mĂȘme que « quelque part, [le dĂ©sir de totalitĂ© et celui de pauvretĂ©] doivent se rejoindre », ce qui le relie Ă  des prĂ©dĂ©cesseurs dont il a longtemps cherchĂ© Ă  se distinguer, notamment Joyce et Proust[60]. Ainsi, mĂȘme lorsqu’il explique, dans une lettre de 1937 Ă©crite en allemand, combien l’ « apotheosis of the word » de Joyce a peu Ă  voir avec sa propre pratique, il ne peut s’empĂȘcher de prĂ©ciser : « [u]nless perhaps Ascension to Heaven and Descent to Hell are somehow one and the same » ; « How beautiful it would be to be able to believe that that indeed was the case[61]. »

L’exigence du roman.

Beckett ne semble pas avoir dĂ©fini explicitement le genre romanesque, ce qui ne signifie pas qu’il n’ait pas exprimĂ©, Ă  plusieurs reprises dans son discours sur son Ɠuvre, l’importance des distinctions gĂ©nĂ©riques. Il les utilise lui-mĂȘme – dont celle de roman – pour dĂ©crire ses Ɠuvres, notamment dans sa correspondance[62], et il insiste souvent sur la nĂ©cessitĂ© de sĂ©parer les textes selon leurs spĂ©cificitĂ©s. Cette position est Ă©vidente lorsqu’il s’oppose, dans une lettre de 1957, Ă  l’adaptation pour le cinĂ©ma d’un texte composĂ© pour le thĂ©Ăątre : « If we can’t keep our genres more or less distinct, or extricate them from the confusion that has them where they are, we might as well go home and lie down[63]. » Beckett considĂšre en outre que sa production romanesque possĂšde un caractĂšre propre – probablement parce que forme et sens s’y allient – qui la distinguerait de l’affirmation directe d’idĂ©es ou de concepts : « Si le sujet de mes romans pouvait s’exprimer en termes philosophiques, je n’aurais pas eu de raison de les Ă©crire[64]. » Autre particularitĂ© : contrairement Ă  la nouvelle, le roman permet, grĂące Ă  son ampleur, que certaines prĂ©cisions « be dealt with later », « there being leisure in the novel, and in the short story not[65] ».

Mais la spĂ©cificitĂ© de l’écriture romanesque, aux yeux de Beckett, apparaĂźt le plus clairement lorsque celle-ci est mise en rapport avec la production dramatique. D’abord, selon lui, il faut Ă©viter de confondre les textes oĂč les mots priment avec ceux qui sont faits pour ĂȘtre jouĂ©s. En effet, Beckett Ă©crivait en 1937 : « the poetical play can never come off as play, nor when played as poetry either, because the words obscure the action and are obscured by it[66] ». C’est d’ailleurs peut-ĂȘtre parce qu’il accorde plus d’importance Ă  l’action qu’aux mots que le thĂ©Ăątre peut servir d’échappatoire : « I turned to writing plays [in 1947] to relieve myself of the awful depression the prose led me into[67] » ; « [I] began to write Godot [in 1948] as a relaxation, to get away from the awful prose I was writing at the time[68] ». En outre, le « soulagement » du thĂ©Ăątre est tel qu’il peut empiĂ©ter sur le vĂ©ritable projet d’écriture, ce que sentira Beckett, en 1969, alors qu’il dĂ©clarera vouloir se « tenir loin du thĂ©Ăątre » et de la mise en scĂšne pour arriver Ă  « travailler[69] ».

La comparaison avec le thĂ©Ăątre permet de comprendre que le caractĂšre insoutenable du roman, ce qui le rend si exigeant pour l’écrivain, paraĂźt Ă©trangement dĂ©couler, chez Beckett, de son absence d’exigences – its « wildness and rulelessness[70] » –, du peu de rĂšgles qui l’encadrent. Ce constat s’impose lorsque Beckett indique qu’il « n’envisageai[t] pas une carriĂšre de dramaturge », mais qu’il est arrivĂ© au thĂ©Ăątre parce que « le travail du romancier est dur », celui-ci « s’avan[çant] dans le noir[71] ». Il ajoute, sans Ă©quivoque :

Au thĂ©Ăątre, on entre dans un jeu, avec ses rĂšgles, et on ne peut pas ne pas s’y soumettre. MĂȘme si l’on semble bousculer certaines conventions. Il y a des choses que l’on ne peut pas faire, au thĂ©Ăątre, des choses que l’on ne pas faire faire aux acteurs, que l’on ne peut pas faire admettre au public[72] !

Par contraste, le roman semble parfois conçu comme une forme redoutablement libre, ce qui a bien sĂ»r ses avantages pour le crĂ©ateur : « Quand j'ai Ă©crit la premiĂšre phrase de Molloy, je ne savais pas oĂč j'allais. Et quand j'ai achevĂ© la premiĂšre partie, j'ignorais comment j'allais continuer. Tout est venu comme ça. Sans rature. Je n'avais rien prĂ©parĂ©. Rien Ă©laborĂ©[73]. » L’écriture romanesque lui vient si naturellement, durant sa prolifique pĂ©riode d’aprĂšs-guerre, qu’il admet avoir Ă©tĂ© en mesure de rĂ©diger la derniĂšre page de łąâ€™IČÔČÔŽÇłŸłŸČčČú±ô±đ alors qu’il n’en Ă©tait encore qu’à la trentiĂšme, puisque l’issue du livre « fai[sait] [dĂ©jĂ ] si peu de doute, quels que soient les tortillements [qui l’en sĂ©paraient], °Ú
] dont [il] n’a[vait] qu’une idĂ©e des plus vagues[74] ».

Aux yeux de Beckett, il semble toutefois que la libertĂ© du roman, sa fĂ©conditĂ©, aille de pair avec ses Ă©cueils, ce que l’on entrevoit lorsque Beckett confie avoir Ă©crit Molloy, Malone meurt et łąâ€™IČÔČÔŽÇłŸłŸČčČú±ô±đ « avec Ă©lan, dans une sorte d’enthousiasme », mais « trĂšs difficilement[75] ». C’est que, paradoxalement, la libertĂ© presque totale du roman conduit, chez Beckett, Ă  l’impasse. Il Ă©crit, en 1954 : « I think my writing days are over. łąâ€™IČÔČÔŽÇłŸłŸČčČú±ô±đ finished me or expressed my finishedness[76] ». De mĂȘme, en 1961, il affirme que « pendant longtemps » aprĂšs la rĂ©daction des trois romans, il n’a « plus vu du tout ce [qu’il] pourrai[t] dire », se sentant « enfermĂ© dans un cercle » qu’il essayait de briser[77]. Le remĂšde et le mal semblent presque se confondre lorsque Beckett explique, dans un entretien de 1968, que la seule issue, la seule possibilitĂ© crĂ©atrice consiste Ă  pousser plus loin l’exigence mĂȘme qui l’avait menĂ© Ă  l’incapacitĂ© d’écrire :

Le travail antĂ©rieur interdit toute poursuite de ce travail. °Ú
] L'Ă©criture m'a conduit au silence. °Ú
] Cependant, je dois continuer... Je suis face Ă  une falaise et il me faut avancer. C'est impossible n'est-ce pas. Pourtant, on peut avancer. Gagner quelques misĂ©rables millimĂštres[78]...

Le paradoxe de l’écriture romanesque – tirant sa fĂ©conditĂ© de sa stĂ©rilitĂ©, brisant le silence et y retournant – est manifeste lorsque Beckett dĂ©clare, traversant l’un de ses nombreux moments de doute quant Ă  son Ă©criture, en 1957, qu’il doit : « either get back to nothing again and the bottom of all the hills again like before Molloy or else call it a day[79] ». En 1960, il note, limpide :

[L]ife in failure can hardly be anything but dismal at the best, whereas there is nothing more exciting for the writer, or richer in unexploited expressive possibilities than the failure to express. It was some realization of all this and what it involves that enabled me to go on (about 15 years ago) °Ú
][80].

Le sensible et la détresse.

On commence Ă  saisir que, chez Beckett, la « rĂ©vĂ©lation » de la voie qui lui est propre, aprĂšs la guerre, a peu Ă  voir avec une exploration formelle ou un exercice cĂ©rĂ©bral. L’écrivain prĂ©cise au contraire l’aspect d’abord intuitif de la dĂ©couverte faite dans la chambre de sa mĂšre : « Jusque-lĂ , j'avais cru que je pouvais faire confiance Ă  la connaissance. Que je devais m'Ă©quiper sur le plan intellectuel. Ce jour-lĂ , tout s'est effondrĂ©[81]. » Il explique, de mĂȘme, Ă  un journaliste : « Je ne suis pas un intellectuel. Je ne suis que sensibilitĂ©. J’ai conçu [Molloy] et la suite le jour oĂč j’ai pris conscience de ma bĂȘtise. Alors je me suis mis Ă  Ă©crire les choses que je sens[82]. »

La boucle est soudain bouclĂ©e – et l’on peut enfin imaginer les raisons qui conduiraient un artiste Ă  accepter de se livrer Ă  l’irrĂ©alisable labeur que Beckett lui confie. C’est peut-ĂȘtre ce que ce dernier tente d’expliquer Ă  Georges Duthuit, en 1949, alors qu’il se dĂ©bat face Ă  la peinture de van Velde : « Si tu me demandes pourquoi la toile ne reste pas blanche, je peux seulement invoquer cet inintelligible besoin, Ă  tout jamais hors de cause, d’y foutre de la couleur, fĂ»t-ce en y vomissant son ĂȘtre[83]. » Et l’urgence – inintelligible soit, mais sensible – ramĂšne Beckett Ă  l’insoluble problĂšme de la forme : « Dans ce sacrĂ© monde, tout nous invite Ă  l’indignation
 Mais au niveau du travail
 Que pourrait-on dire ?... Rien n’est dicible[84]. » Il remarque Ă  ce propos : « We cannot listen to a conversation for five minutes without being acutely aware of the confusion. It is all around us and our only chance now is to let it in. The only chance of renovation is to open our eyes and see the mess. It is not a mess you can make sense of[85]. » Ouvrant l’Ɠil et l’oreille, rĂ©alisant que « quand on s'Ă©coute, ce n'est pas de la littĂ©rature qu'on entend[86] », Beckett relie de prĂšs sa dĂ©marche Ă  une conscience de la dĂ©tresse qui l’entoure :

Some people object to [the fact that I deal with distress] in my writing. At a party an English intellectual – so-called – asked me why I write always about distress. As if it were perverse to do so! He wanted to know if my father had beaten me or my mother had run away from home to give me an unhappy childhood. I told him no, that I had had a very happy childhood. Then he thought me more perverse than ever. I left the party as soon as possible and got into a taxi. On the glass partition between me and the driver were three signs: one asked for help for the blind, another help for orphans, and the third for relief for war refugees. One does not have to look for distress. It is screaming at you even in the taxis of London[87].

Ce Beckett, dont un reflet inattendu nous apparaĂźt, est loin de se complaire dans les jeux formels, la nĂ©gativitĂ© vide ; s’il s’est toujours refusĂ© Ă  expliquer son Ɠuvre, Ă  la thĂ©oriser, c’est sans doute parce qu’à ses yeux on Ă©crit pour une raison trĂšs simple : « pour pouvoir respirer[88] ».

Bibliographie :

Textes critiques Ă©crits par Beckett :

  • BECKETT, Samuel. « Dante . . . Bruno . Vico . . Joyce » (1929), dans Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 19-33.
  • BECKETT, Samuel. « Le concentrisme » (1930), dans Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 35-42.
  • BECKETT, Samuel. Proust (1931), dans Paul Auster (Ă©d.), Samuel Beckett. The Grove Centenary Edition, vol. 4 (« Poems, Short Fiction, Criticism »), New York, Grove Press Inc., 2006, p. 511-554.
  • BECKETT, Samuel. « Recent Irish Poetry » (1934), Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 70-76.
  • BECKETT, Samuel. « Lettre Ă  Axel Kaun, 9 juillet 1937 », Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 51-54 et 170-173.
  • BECKETT, Samuel. « Les deux besoins » (1938), dans Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 55-57.
  • BECKETT, Samuel. « La Peinture des van Velde ou Le monde et le pantalon » (1945), dans Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 118-132.
  • BECKETT, Samuel. « Three Dialogues » (1949), dans Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 138-145.
  • BECKETT, Samuel. « Lettre Ă  Sig[h]le Kennedy, 14 juin 1967 », dans Ruby Cohn (Ă©d.) Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, p. 113.
  • COHN, Ruby (Ă©d.). Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, 178 p.

Entretiens et discussions avec Beckett :

  • BAIR, Deirdre. A Biography : Samuel Beckett, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1978, 736 p.
  • DRIVER, Tom F. « Beckett by the Madeleine », Columbia University Forum, IV, ÉtĂ© 1961, p. 21-25, reproduit dans Lawrence Graver et Raymond Federman (dir.), Samuel Beckett: The Critical Heritage, 1979, p. 217-223.
  • D’AUBARÈDE, Gabriel. « En attendant
 Beckett », Les Nouvelles littĂ©raires, 16 fĂ©vrier 1961, p. 1 et 7.
  • GRUEN, John. « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett talks about Beckett », Vogue, vol. 154, no 10 (1er dĂ©cembre 1969), p. 210-211.
  • JULIET, Charles. Rencontres avec Samuel Beckett, Paris, P.O.L., 1999, 71 p.
  • KNOWLSON, James. Damned to Fame: The Life of Samuel Beckett, London, Bloomsbury, 1997, 872 p.
  • KNOWLSON James et Elizabeth KNOWLSON (dir.). Beckett Remembering: Remembering Beckett. A Centenary Celebration, New York, Arcade Publishing, 2006, 313 p.
  • MIGNON, Paul-Louis. « Le thĂ©Ăątre de A jusqu'a Z : Samuel Beckett », L'avant-scĂšne du thĂ©Ăątre, no 313 (15 juin 1964), p. 8.
  • SHENKER, Israel. « Moody Man of Letters », New York Times, 6 mai 1956, Section II, p. x, 1 et 3, reproduit dans Lawrence Graver et Raymond Federman, Samuel Beckett: The Critical Heritage, 1979, p. 146-149.

Correspondance :

  • CRAIG, George, Martha Dow FEHSENFELD, Dan GUNN et Lois More OVERBECK (Ă©d.). The Letters of Samuel Beckett, Cambridge, Cambridge University Press, 2009-2016, 4 t.

Autres sources :

  • ACKERLEY, Chris J. et Stanley E. GONTARSKI. The Grove Companion to Samuel Beckett. A Reader’s Guide to His Works, Life, and Thought, New York, Grove Press, 2004, 686 p.
  • LAWLEY, Paul. « The Rapture of Vertigo". Beckett's Turning-Point », The Modern Language Review, vol. 95, no 1 (janvier 2000), p. 28-40.
  • GROSSMAN, Évelyne. L’esthĂ©tique de Beckett, Paris, SEDES, coll. « EsthĂ©tique », 1998, 219 p.
  • WEBB, Eugene. Samuel Beckett. A Study of his Novels, Seattle, University of Washington Press, 2014, 192 p.

Les romans de Beckett :

  • Dream of Fair to Middling Women : Ă©crit en anglais en 1932, publiĂ© en anglais en 1992.
  • Murphy : Ă©crit en anglais en 1935, publiĂ© en anglais en 1938, puis en français en 1947.
  • Watt : Ă©crit en anglais en 1941-1944, publiĂ© en anglais en 1953, puis en français en 1968.
  • Mercier et Camier : Ă©crit en français en 1946, publiĂ© en français en 1970, puis en anglais (Mercier and Camier) en 1974.
  • Molloy : Ă©crit en français en 1947-1948, publiĂ© en français en 1951, puis en anglais en 1955.
  • Malone meurt : Ă©crit en français en 1947-1948, publiĂ© en français en 1951, puis en anglais (Malone Dies) en 1956.
  • L'Innommable : Ă©crit en français en 1949, publiĂ© en français en 1953, puis en anglais (The Unnamable), en 1958.
  • Comment c'est : Ă©crit en français en 1959-1960, publiĂ© en français en 1961, puis en anglais (How It Is) en 1964.
Ìę

[1] S. Beckett, « Lettre à Mathieu Lindon, 24 février 1985 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 4, p. 652.

[2] Notamment grĂące Ă  la piĂšce En attendant Godot : voir J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 349-355 ; voir aussi G. Craig, M. D. Fehsenfeld, D. Gunn et L. M. Overbeck (dir.), The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. xxvii.

[3] Voir la chronologie de l’Ɠuvre romanesque de Beckett Ă  la fin du prĂ©sent texte.

[4] S. Beckett, « Lettre à Georges Duthuit, 11 août 1948 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 96.

[5] Voir, par exemple, S. Beckett, « Lettre Ă  JĂ©rĂŽme Lindon, 8 janvier 1953 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 347 : « À toute demande d’interview, d’oĂč qu’elle vienne, vous pouvez toujours et plus que jamais rĂ©pondre non ».

[6] J. Gruen, « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett Talks about Beckett », p. 210.

[7] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (29 octobre 1973), p. 32.

[8] Voir S. Beckett, « Lettre à Lawrence Harvey, 28 octobre 1963 », « Lettre à Martin Esslin, 9 novembre 1965 » et « Lettre à John Calder, 23 novembre 1965 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 577 et 678.

[9] Qui n’allait tarder (voir S. Beckett, « Lettre Ă  Thomas McGreevy, 11 mars 1931 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. 72).

[10] Plus tard, Beckett dira de ce texte : « [Proust] is a very youthful work, but perhaps not entirely beside the point. Its premises are less feeble than its conclusions. » (« Lettre à Barney Rosset, 25 juin 1953 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 385.)

[11] S. Beckett, « Lettre à Thomas McGreevy, 11 mars 1931 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. 72.

[12] S. Beckett, Proust (1931), Samuel Beckett. The Grove Centenary Edition, vol. 4, p. 515.

[13] Ibid., p. 540.

[14] Ibid., p. 539

[15] S. Beckett, « Recent Irish Poetry » (1934), Disjecta, p. 70.

[16] Voir J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 181, 248 et 324.

[17] S. Beckett, « Lettre à Thomas McGreevy, [16 septembre 1934] », The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. 227.

[18] G. Craig, M. D. Fehsenfeld, D. Gunn et L. M. Overbeck (dir.), The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. xxvii-xxviii.

[19] S. Beckett, « Lettre Ă  Georges Duthuit, 9 mars 1949 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 136-137 ; Beckett admet, dans une lettre Ă  Bram van Velde, que leurs positions ne sont pas identiques, puisque que le peintre « rĂ©sist[e] en artiste, Ă  tout ce qui [l’] empĂȘche d’Ɠuvrer », tandis que l’écrivain « cherche le moyen de capituler sans [s]e taire – tout Ă  fait. » (S. Beckett, « Lettre Ă  Bram van Velde, 14 janvier 1949 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 113)

[20] S. Beckett, « Lettre à Georges Duthuit, 9 mars 1949 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 136-137.

[21] S. Beckett, « Lettre à Martin Esslin, 9 novembre 1965 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 678 : « Rightly or wrongly I regret the Duthuit Dialogues and prefer not to have them broadcast. »

[22] C. J. Ackerley et S. E. Gontarski, The Grove Companion to Samuel Beckett, p. 577.

[23] S. Beckett, « Three Dialogues » (1949), Disjecta, p. 139.

[24] Beckett Ă©crit, par exemple : « Il ne faut pas trop prendre au sĂ©rieux mes idĂ©es fixes, visions fixes et balbutiements d’affolĂ© » (S. Beckett, « Lettre Ă  Georges Duthuit, 2 mars 1954, The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 472.)

[25] S. Beckett, « Three Dialogues » (1949), Disjecta, p. 139.

[26] S. Beckett, « Lettre à Georges Duthuit, 9 mars 1949 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 136-137.

[27] S. Beckett, « Lettre à Georges Duthuit, mardi [? 28 juin 1949] », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 168.

[28] Ibid.

[29] T. F. Driver, « Beckett by the Madeleine » (1961), p. 219-220.

[30] S. Beckett, « Les deux besoins » (1938), Disjecta, p. 55 ; dans un autre texte prĂ©coce, oĂč Beckett parodie un exercice universitaire en Ă©tudiant l’Ɠuvre d’un artiste de son invention – Jean du Chas, dont il partagerait la date de naissance –, Beckett qualifie son art de « parfaitement intelligible et parfaitement inexplicable » (« Le concentrisme » (1930), Disjecta, p. 43).

[31] S. Beckett, « Lettre à Charles Juliet, 1er juin 1969 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 4, p. 161-162.

[32] S. Beckett, « Dante . . . Bruno . Vico . . Joyce » (1929), Disjecta, p. 27 ; Beckett relÚve aussi ce trait dans Proust (1931), p. 551.

[33] S. Beckett, « Lettre à Barbara Bray, 17 février 1961 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 397-398.

[34] S. Beckett, « Lettre à Hans Naumann, 17 février 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 462.

[35] C’est ce que Beckett aurait Ă©crit Ă  Ruby Cohn le 17 janvier 1962 (G. Craig, M. D. Fehsenfeld, D. Gunn et L. M. Overbeck (dir.), The Letters of Samuel Beckett, vol. 4, note 1, p. 590).

[36] I. Shenker, « Moody Man of Letters » (1956), p. 148.

[37] T. F. Driver, « Beckett by the Madeleine » (1961), p. 219.

[38] Ibid.

[39] J. Gruen, « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett Talks about Beckett », p. 210.

[40] S. Beckett, « Lettre à George Duthuit, mercredi [3 janvier 1951] », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 216.

[41] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (11 novembre 1977), p. 68.

[42] Ibid., p. 35-36.

[43] S. Beckett, « Lettre à Hans Naumann, 17 février 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 462.

[44] Ibid.

[45] Voir J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 70, 107, 114, 122, 157, 161, 204-206, 217 et 269 ; voir généralement S. Beckett, « Dante . . . Bruno . Vico . . Joyce » (1929) et Proust (1931).

[46] Voir J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 96, 104-112, 120 et 156 ; J. Gruen, « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett Talks about Beckett », p. 210.

[47] S. Beckett, « Lettre à Samuel Putnam, 28 juin 1932, The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. 108.

[48] S. Beckett, « Lettre à Charles Prentice, 15 août 1931, The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. 81-82.

[49] Voir, par exemple, J. Gruen, « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett Talks about Beckett », p. 210 ; S. Beckett, « Lettre à Hans Naumann, 17 février 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 461 ; J. Knowlson et E. Knowlson (dir.), Beckett Remembering: Remembering Beckett, p. 47-49.

[50] J. Knowlson et E. Knowlson (dir.), Beckett Remembering: Remembering Beckett, p. 47-49.

[51] S. Beckett, « Lettre à Hans Naumann, 17 février 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 461.

[52] I. Shenker, « Moody Man of Letters » (1956), p. 148.

[53] Ibid., p. 148-149.

[54] S. Beckett, « Lettre à Sig[h]le Kennedy, 14 juin 1967 », Disjecta, p. 113 ; voir aussi J. Gruen, « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett Talks about Beckett », p. 210 ; S. B. « Lettre à Georges Duthuit, samedi [le ou aprÚs le 30 avril, avant le 26 mai 1949], The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 148 ; S. Beckett, « Lettre à Thomas McGreevy, 16 janvier [1936] », The Letters of Samuel Beckett, vol. 1, p. 299.

[55] J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 318-320, 686 (note 55) ; voir aussi Paul Lawley, « "The Rapture of Vertigo". Beckett's Turning-Point », p. 28-29.

[56] J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 318-319 ; il s’agit de la piĂšce Krapp’s Last Tape et la prĂ©cision entre crochets provient de Beckett lui-mĂȘme, plus prĂ©cisĂ©ment d’une note de 1987 Ă  James Knowlson.

[57] S. Beckett, « Lettre à Carlton Lake, 3 octobre 1982 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 4, p. 592-593.

[58] S. Beckett, « Lettre à Hans Naumann, 17 février 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 461-462.

[59] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (14 novembre 1975), p. 53.

[60] Ibid., p. 55.

[61] S. Beckett, « Lettre à Axel Kaun, 9 juillet 1937 », Disjecta, p. 172.

[62] Voir, par exemple, S. Beckett, « Lettre à Hans Naumann, 17 février 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 461 ; S. Beckett, « Lettre à Kay Boyle, 28 mai 1957 » et « Lettre à François Beloux, 24 septembre 1957 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 48-49 et 65.

[63] S. Beckett, « Lettre à Barney Rosset, 27 août 1957 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 64.

[64] G. d’AubarĂšde, « En attendant
 Beckett » (1961), p. 7.

[65] S. Beckett, « Lettre à Kay Boyle, 28 mai 1957 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 48-49.

[66] J. Knowlson, Damned to Fame. The Life of Samuel Beckett, p. 230.

[67] D. Bair, A Biography : Samuel Beckett, p. 361 (Bair cite un Ă©change de 1972 entre Beckett et lui).

[68] Ibid., p. 381

[69] S. Beckett, « Lettre à JérÎme Lindon, 20 novembre 1969 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 4, p. 196.

[70] D. Bair, A Biography : Samuel Beckett, p. 381

[71] P.-L. Mignon, « Le théùtre de A jusqu'a Z : Samuel Beckett », p. 8.

[72] Ibid.

[73] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (24 octobre 1968), p. 19.

[74] S. Beckett, « Lettre à Georges Duthuit, 1er juin 1949 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 160.

[75] G. d’AubarĂšde, « En attendant
 Beckett » (1961), p. 7.

[76] S. Beckett, « Lettre à Barney Rosset, 21 août 1954 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. p. 497.

[77] G. d’AubarĂšde, « En attendant
 Beckett » (1961), p. 7.

[78] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (24 octobre 1968), p. 20-21

[79] S. Beckett, « Lettre à Barbara Bray, 29 novembre 1958 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 183-184.

[80] S. Beckett, « Lettre à Matti Megged, 21 novembre 1960 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 3, p. 376-377.

[81] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (29 octobre 1973), p. 39.

[82] G. d’AubarĂšde, « En attendant
 Beckett » (1961), p. 7.

[83] S. Beckett, « Lettre à George Duthuit, 9 mars 1949 », The Letters of Samuel Beckett, vol. 2, p. 137.

[84] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (11 novembre 1977), p 67.

[85] T. F. Driver, « Beckett by the Madeleine » (1961), p. 218-219.

[86] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (24 octobre 1968), p. 12.

[87] T. F. Driver, « Beckett by the Madeleine » (1961), p. 221.

[88] C. Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett (29 octobre 1973), p. 43.

Bibliographie

Ouvrages cités

AUSTER, Paul (Ă©d.).ÌęSamuel Beckett. The Grove Centenary Edition, vol. 4 (« Poems, Short Fiction, Criticism »), New York, Grove Press Inc., 2006, 569 p.

BAIR, Deirdre.ÌęA Biography: Samuel Beckett, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1978, 736 p.

COHN, Ruby (Ă©d.).ÌęDisjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, 178 p.

CRAIG, George, Martha Dow FEHSENFELD, Dan GUNN et Lois More OVERBECK (Ă©d.).ÌęThe Letters of Samuel Beckett, Cambridge, Cambridge University Press, 2009-2016, 4 t.

D'AUBARÈDE, Gabriel. « En attendant
 Beckett »,ÌęLes Nouvelles littĂ©raires, 16 fĂ©vrier 1961, p. 1 et 7.

GRAVER, Lawrence et Raymond FEDERMAN (Ă©d.),ÌęSamuel Beckett: The Critical Heritage, Boston, Routledge & Kegan Paul, 1979, 372 p.

GRUEN, John. « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett talks about Beckett »,ÌęVogue, vol. 154, no 10 (1er dĂ©cembre 1969), p. 210-211.

JULIET, Charles.ÌęRencontres avec Samuel Beckett, Paris, P.O.L., 1999, 71 p.

KNOWLSON, James.ÌęDamned to Fame: The Life of Samuel Beckett, London, Bloomsbury, 1997, 872 p.

KNOWLSON James et Elizabeth KNOWLSON (dir.).ÌęBeckett Remembering: Remembering Beckett. A Centenary Celebration, New York, Arcade Publishing, 2006, 313 p.

MIGNON, Paul-Louis. « Le thĂ©Ăątre de A jusqu'a Z : Samuel Beckett »,ÌęL'avant-scĂšne du thĂ©Ăątre, no 313 (15 juin 1964), p. 8.

Citations

AUSTER, Paul (Ă©d.).ÌęSamuel Beckett. The Grove Centenary Edition, vol. 4 (« Poems, Short Fiction, Criticism »), New York, Grove Press Inc., 2006, 569 p.

Proust (1930) :

°Ú
] [W]hen it is a case of human intercourse, we are faced by the problem of an object whose mobility is not merely a function of the subject's, but independent and personal: two separate and immanent dynamisms related by no system of synchronisation. So whatever the object, our thirst for possession is, by definition, insatiable. At the best, all that is realized in Time (all Time produce), whether in Art or Life, can only be possessed successively, by a series of partial annexations – and never integrally and at once. The tragedy of the Marcel-Albertine liaison is the type-tragedy of the human relationship whose failure is preordained. °Ú
] (p. 515)

°Ú
] “How have we the courage to wish to live, how can we make a movement to preserve ourselves from death, in a world where love is provoked by a lie and consists solely in the need of having our sufferings appeased by whatever being has made us suffer?” Surely in the whole of literature there is no study of that desert of loneliness and recrimination that men call love posed and developed with such diabolical unscrupulousness. After this,ÌęAdolpheÌęis a petulant dribbling, the mock epic of salivary hypersecretion, Mme. de Cambremer (whose name, as Oriane de Guermantes observes to Swann, stops just in time) in tears. °Ú
] (p. 534)

°Ú
] No object prolonged in this temporal dimension tolerates possession, meaning by possession total possession, only to be achieved by the complete identification of object and subject. °Ú
] (p. 535)

°Ú
] And art is the apotheosis of solitude. There is no communication because there are no vehicles of communication. Even on the rare occasions when word and gesture happen to be valid expressions of personality, they lose their significance on their passage through the cataract of the personality that is opposed to them. Either we speak and act for ourselves – in which case speech and action are distorted and emptied of their meaning by an intelligence that is not ours, or else we speak and act for others – in which case we speak and act a lie. °Ú
] (p. 539)

°Ú
] The only fertile research is excavatory, immersive, a contraction of the spirit, a descent. The artist is active, but negatively, shrinking from the nullity of extracircumferential phenomena, drawn in to the core of the eddy. He cannot practise friendship, because friendship is the centrifugal force of self-fear, self-negation. °Ú
] “Man”, writes Proust, “is not a building that can receive additions to its superficies, but a tree whose stem and leafage are an expression of inward sap.” We are alone. We cannot know and we cannot be known. “Man is the creature that cannot come forth from himself, who knows others only in himself, and who, if he asserts the contrary, lies.”
Here, as always, Proust is completely detached from all moral considerations. There is no right and wrong in Proust nor in his world. (Except possibly in those passages dealing with the war, when for a space he ceases to be an artist and raises his voice with the plebs, mob, rabble, canaille.) Tragedy is not concerned with human justice. Tragedy is the statement of an expiation, but not the miserable expiation of a codified breach of a local arrangement, organised by the knaves for the fools. The tragic figure represents the expiation of original sin, of the original and eternal sin of him and all his “socii malorum,” the sin of having been born. (p. 539-540)

°Ú
] But Proust is too much of an affectivist to be satisfied by the intellectual symbolism of a Baudelaire, abstract and discursive. The Baudelarian unity is a unity “post rem,” a unity abstracted from plurality. His “correspondence” is determined by a concept, therefore strictly limited and exhausted by its own definition. Proust does not deal in concepts, he pursues the Idea, the concrete. He admires the frescoes of the Paduan Arena because their symbolism is handled as a reality, special, literal and concrete, and is not merely the pictorial transmission of a notion. Dante, if he can ever be said to have failed, fails with his purely allegorical figures, Lucifer, the Griffin of the Purgatory and the Eagle of the Paradise, whose significance is purely conventional and extrinsic. °Ú
] For Proust the object may be a living symbol, but a symbol of itself. The symbolism of Baudelaire has become theÌęautosymbolismÌęof Proust. Proust's point of departure might be situated in Symbolism, or on its outskirts. But he does not proceed pari passu with France, towards an elegant scepticism and the marmorean modes, nor, as we have seen, with Daudet and the Goncourts to the “notes d'aprĂšs nature,” nor, of course, with the Parnassians to the ineffable gutter-snippets of François CoppĂ©e. He solicits no facts, and he chisels no Cellinesque pommels. He reacts, but in a different direction. He recedes from the Symbolists – back towards Hugo. And for that reason he is a solitary and independent figure. The only contemporary in whom I can discern something of the same retrogressive tendency is Joris Karl Huysmans. But he loathed it in himself and repressed it. He speaks bitterly of the “ineluctable gangrene of Romanticism,” and yet his des Esseintes is a fabulous creature, an Alfred Lord Baudelaire.
We are frequently reminded of this romantic strain in Proust. He is romantic in his substitution of affectivity for intelligence, in his opposition of the particular affective evidential state to all the subtleties of rational cross-reference, in his rejection of the Concept in favour of the Idea, in his scepticism before causality. Thus his purely logical – as opposed to his intuitive – explanations of a certain effect invariably bristle with alternatives. He is a Romantic in his anxiety to accomplish his mission, to be a good and faithful servant. He does not seek to evade the implications of his art such as it has been revealed to him. He will write as he has lived – in Time. The classical artist assumes omniscience and omnipotence. He raises himself artificially out of Time in order to give relief to his chronology and causality to his development. Proust's chronology is extremely difficult to follow, the succession of events spasmodic, and his characters and themes, although they seem to obey an almost insane inward necessity, are presented and developed with a fine Dostoievskian contempt for the vulgarity of a plausible concatenation. (Proust's impressionism will bring us back to Dostoievski.) Generally speaking, the romantic artist is very much concerned with Time and aware of the importance of memory in inspiration, °Ú
] but is inclined to sensationalise what is treated by Proust with pathological power and sobriety. With Musset, for example, the interest is more in a vague extratemporal identification, without any real cohesion or simultaneity, between the me and not-me than in the functional evocations of a specialised memory. But the analogy is too blurred and would lead nowhere, although Proust quotes Chateaubriand and Amiel as his spiritual ancestors. It is difficult to connect Proust with this pair of melancholy Pantheists dancing a fandango of death in the twilight. °Ú
] (p. 546-548)

°Ú
] And we are reminded of Schopenhauer's definition of the artistic procedure as "the contemplation of the world independently of the principle of reason." In this connexion Proust can be related to Dostoievski, who states his characters without explaining them. It may be objected that Proust does little else but explain his characters. But his explanations are experimental and not demonstrative. He explains them in order that they may appear as they are – inexplicable. He explains them away. (p. 551)

Proust's style was generally resented in French literary circles. But now that he is no longer read, it is generously conceded that he might have written an even worse prose than he did. °Ú
] For Proust, as for the painter, style is more a question of vision than of technique. Proust does not share the superstition that form is nothing and content everything, nor that the ideal literary masterpiece could only be communicated in a series of absolute and monosyllabic propositions. For Proust the quality of language is more important than any system of ethics or aesthetics. Indeed he makes no attempts to dissociate form from content. The one is a concretion of the other, the revelation of a world. °Ú
] (p. 551)

It is significant that the majority of his images are botanical. He assimilates the human to the vegetal. He is conscious of humanity as flora, never as fauna. °Ú
] Flower and plant have no conscious will. They are shameless, exposing their genitals. And so in a sense are Proust's men and women, whose will is blind and hard, but never self-conscious, never abolished in the pure perception of a pure subject. °Ú
] (p. 552)

BAIR, Deirdre.ÌęA Biography: Samuel Beckett, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1978, 736 p.

“I turned to writing plays to relieve myself of the awful depression the prose led me into,” Beckett commented in 1972. “Life at that time [note : ce chapitre porte sur les annĂ©es 1946-1948] was too demanding, too terrible, and I thought theater would be a diversion .” (p. 361)

Beckett said he “began to write Godot as a relaxation, to get away from the awful prose I was writing at the time,” and “from the wildness and rulelessness” of the novels. (p. 381)

COHN, Ruby (Ă©d.).ÌęDisjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, New York, Grove Press Inc., 1984, 178 p.

Dante . . . Bruno . Vico . . Joyce (1929) :

On turning to theÌęWork in ProgressÌęwe find that the mirror is not so convex. Here is direct expression – pages and pages of it. And if you don't understand it, Ladies and Gentlemen, it is because you are too decadent to receive it. You are not satisfied unless form is so strictly divorced from content that you can comprehend the one almost without bothering to read the other. The rapid skimming and absorption of the scant cream of sense is made possible by what I may call a continuous process of copious intellectual salivation. The form that is an arbitrary and independent phenomenon can fulfil no higher function than that of stimulus for a tertiary or quartary conditioned reflex of dribbling comprehension. °Ú
] (p. 26)

Here formÌęisÌęcontent, contentÌęisÌęform. You complain that this stuff is not written in English. It is not written at all. It is not to be read – or rather it is not only to be read. It is to be looked at and listened to. His writing is notÌęaboutÌęsomething;Ìęit is that something itself. (A fact that has been grasped by an eminent English novelist and historian whose work is in complete opposition do Mr Joyce's.) When the sense is sleep, the words go to sleep. °Ú
] When the sense is dancing, the words dance. °Ú
] (p. 27)

Mr Joyce has desophisticated language. And it is worth while remarking that no language is so sophisticated as English. It is abstracted to death. Take the word ‘doubt': it gives us hardly any sensuous suggestion of hesitancy, of the necessity for choice, of static irresolution. Whereas the German ‘Zweifel' does, and, in lesser degree, the Italian ‘dubitare.' Mr Joyce recognizes how inadequate ‘doubt' is to express a state of extreme uncertainty, and replaces it by ‘in twosome twiminds.' Nor is he by any means the first to recognize the importance of treating language as something more than mere polite symbols. Shakespeare uses fat, greasy words to express corruption: ‘Duller shouldst thou be than the fat weed that rots itself in death on Lethe wharf'. We hear the ooze squelching all through Dickens's description of the Thames in ‘Great Expectations'. This writing that you find so obscure is a quintessential extraction of language and painting and gesture, with all the inevitable clarity of the old inarticulation. Here is the savage economy of hieroglyphics. Here words are not the polite contortions of 20th century printer's ink. They are alive. They elbow their way on to the page, and glow and blaze and fade and disappear. °Ú
] This inner elemental vitality and corruption of expression imparts a furious restlessness to the form, which is admirably suited to the purgatorial aspect of the work. There is an endless verbal germination, maturation, putrefaction, the cyclic dynamism of the intermediate. This reduction of various expressive media to their primitive economic directness, and the fusion of these primal essences into an assimilated medium for the exteriorisation of thought, is pure Vico, and Vico, applied to the problem of style. But Vico is reflected more explicitly than by a distillation of disparate poetic ingredients into a synthetical syrup. We notice that there is little or no attempt at subjectivism or abstraction, no attempt at metaphysical generalisation. We are presented with a statement of the particular. °Ú
] (p. 28-29)

A last word about the Purgatories. Dante's is conical and consequently implies culmination. Mr Joyce's is spherical and excludes culmination. In the one there is an ascent from real vegetation — Ante-Purgatory, to ideal vegetation — Terrestrial Paradise: in the other there is no ascent and no ideal vegetation. In the one, absolute progression and a guaranteed consummation: in the other, flux — progression or retrogression, and an apparent consummation. In the one movement is unidirectional, and a step forward represents a net advance: in the other movement is non-directional — or multi-directional, and a step forward is, by definition, a step back. Dante's Terrestrial Paradise is the carriage entrance to a Paradise that is not terrestrial: Mr Joyce's Terrestrial Paradise is the tradesmen's entrance on to the sea-shore. Sin is an impediment to movement up the cone, and a condition of movement round the sphere. In what sense, then, is Mr Joyce's work purgatorial? In the absolute absence of the Absolute. Hell is the static lifelessness of unrelieved viciousness. Paradise the static lifelessness of unrelieved immaculation. Purgatory a flood of movement and vitality released by the conjunction of these two elements. There is a continuous purgatorial process at work, in the sense that the vicious circle of humanity is being achieved, and this achievement depends on the recurrent predomination of one of two broad qualities. No resistance, no eruption, and it is only in Hell and Paradise that there are no eruptions, that there can be none, need be none. On this earth that is Purgatory, Vice and Virtue — which you may take to mean any pair of large contrary human factors — must in turn be purged down to spirits of rebelliousness. Then the dominant crust of the Vicious or Virtuous sets, resistance is provided, the explosion duly takes place and the machine proceeds. And no more than this; neither prize nor penalty; simply a series of stimulants to enable the kitten to catch its tail. And the partially purgatorial agent? The partially purged. (p. 33)

Les deux besoins (1938) :

Il n'y a sans doute que l'artiste qui puisse finir par voir (et, si l'on veut, par faire voir aux quelques-uns pour qui il existe) la monotone centralitĂ© de ce qu'un chacun veut, pense, fait et souffre, de ce qu'un chacun est. N'ayant cessĂ© de s'y consacrer, mĂȘme alors qu'il n'y voyait goutte, mais avant qu'il n'eĂ»t acceptĂ© de n'y voir goutte, il peut Ă  la rigueur finir par s'en apercevoir. °Ú
] (p. 55)

°Ú
] C'est Ă  l'exclusion de grand besoin, °Ú
], qu'ils vaquent aux petits. D'oĂč cette vie toute en marge de son principe, cette vie faite de dĂ©cisions, de satisfactions, de rĂ©ponses, de menus besoins assassinĂ©s, cette vie de plante Ă  la croisĂ©e, de choux pensant et mĂȘme bien pensant, la seule vie possible pour ceux qui se voient dans la nĂ©cessitĂ© d'en mener une, [c'est-Ă -dire] la seule vie possible
Besoin de quoi? Besoin d'avoir besoin.
Deux besoins, dont le produit fait l'art. °Ú
] (p. 55)

°Ú
] Rien ne ressemble moins au procĂšs crĂ©ateur que ces convulsions de vermisseau enragĂ©, propulsĂ© en spasmes de jugement vers une pourriture d'Ă©lection. Car aux enthymĂšmes de l'art ce sont les conclusions qui manquent et non pas les prĂ©misses. (p. 57)

Humanistic Quietism (1934) :

All poetry, as discriminated from the various paradigms of prosody, is prayer. °Ú
] (p. 68)

Recent Irish Poetry (1934) :

I propose, as rough principle of individuation in this essay, the degree in which the younger Irish poets evince awareness of the new thing that has happened, or the old thing that has happened again, namely the breakdown of the object, whether current, historical, mythical or spook. The thermolaters – and they pullulate in Ireland – °Ú
], would no doubt like this amended to breakdown of the subject. It comes to the same thing – rupture of the lines of communication.
The artist who is aware of this may state the space that intervenes between him and the world of objects; he may state it as no-man's-land, Hellespont or vacuum, according as he happens to be feeling resentful, nostalgic or merely depressed. °Ú
] (p. 70)

Thus contemporary Irish poets may be divided into antiquarians and others, the former in the majority, the latters kindly noticed by Mr W. B. Yeats as "the fish that lie gasping on the shore", suggesting that they might at least learn to expire with an air. This position, needless to say, is not peculiar to Ireland or anywhere else. The issue between the conventional and the actual never lapses, not even when the conventional and the actual are most congruent. But it is especially acute in Ireland, thanks to the technique of our leading twilighters. (p. 70-71)

Intercessions by Denis Devlin (1938) :

[Poetry's] own terms, that is terms of need, not of opinion, still less of faction; opinion being a response to and at least (at best) for a time an escape from need, from one kind of need, and art, in this case these poems, no more (!) than the approximately adequate and absolutely non-final formulation of another kind. Art has always been this – pure interrogation, rhetorical question less the rhetoric – whatever else it may be obliged by the ‘social reality' to appear, but never more freely so than now, when social reality (pace ex-comrade Radek) has severed the connexion. (p. 91)

The time is perhaps not altogether too green for the vile suggestion that art has nothing to do with clarity, does not dabble in the clear and does not make clear, any more than the light of day (or night) makes the subsolar, -lunar and -stellar excrement. Art is the sun, moon and stars of the mind, the whole mind. °Ú
] (p. 94)

La peinture des van Velde ou Le monde et le pantalon (1945-1946) :

Ici [chez G. van Velde] tout bouge, nage, fuit, revient, se dĂ©fait, se refait. Tout cesse, sans cesse. On dirait l'insurrection des molĂ©cules, l'intĂ©rieur d'une pierre un milliĂšme de seconde avant qu'elle ne se dĂ©sagrĂšge.Ìę
C'est ça, la littérature. (p. 128)

Deux oeuvres en somme qui semblent se rĂ©futer, mais qui en fait se rejoignent au coeur du dilemme, celui mĂȘme des arts plastiques: Comment reprĂ©senter le changement?
Ils se sont refusĂ©s, chacun Ă  sa façon, aux biais. Ils ne sont ni musiciens, ni littĂ©rateurs, ni coiffeurs. Pour le peintre, la chose est impossible. C'est d'ailleurs de la reprĂ©sentation de cette impossibilitĂ© que la peinture moderne a tirĂ© une bonne partie de ses meilleurs effets.Ìę
Mais ils n'ont ni l'un ni l'autre ce qu'il faut pour tirer parti plastiquement d'une situation plastique sans issue.Ìę
C'est qu'au fond la peinture ne les intĂ©resse pas. Ce qui les intĂ©resse, c'est la condition humaine. Nous reviendrons lĂ -dessus.Ìę
Qu'est-ce qu'il leur reste, alors, de représentable, s'ils renoncent à représenter le changement? Existe-t-il quelque chose, en dehors du changement, qui se laisse représenter?
Il leur reste, à l'un la chose qui subit, la chose qui est changée; à l'autre la chose qui inflige, la chose qui fait changer. (p. 129)

Il n'a d'ailleurs Ă©tĂ© question Ă  aucun moment de ce que font ces peintres, ou croient faire, ou veulent faire, mais uniquement de ce que je les vois faire.Ìę
Je tiens Ă  le rĂ©pĂ©ter, de crainte qu'on ne les prenne pour des cochons d'intellectuels.Ìę
Or on ne peut concevoir une peinture moins intellectuelle que celle-ci. (p. 131)

Peintres de l'empĂȘchement (1948) :

L'un dira : Je ne peux voir l'objet, pour le représenter, parce qu'il est ce qu'il est. L'autre : Je ne peux voir l'objet, pour le représenter, parce que je suis ce que je suis.
Il y a toujours eu ces deux sortes d'artiste, ces deux sortes d'empĂȘchement, l'empĂȘchement-objet et l'empĂȘchement-oeil. Mais ces empĂȘchements, on en tenait compte. Il y avait accommodation. Ils ne faisaient pas partie de la reprĂ©sentation, ou Ă  peine. Ici ils en font partie. On dirait la plus grande partie. Est peint ce qui empĂȘche de peindre. (p. 136)

La peinture des van Velde sort, libre de tout souci critique, d'une peinture de critique et de refus, refus d'accepter comme donnĂ© le vieux rapport sujet-objet. Il est Ă©vident que toute oeuvre d'art est un rajustement de ce rapport, mais sans en ĂȘtre une critique dans le sens oĂč le meilleur de la peinture moderne en est une critique qui dans ses derniĂšres manifestations ressemble fort Ă  celle qu'on adresse, avec un bĂąton aux lenteurs de l'Ăąne mort.
À partir de ce moment il reste trois chemins que la peinture peut prendre. Le chemin du retour Ă  [la] vieille naĂŻvetĂ©, Ă  travers l'hiver de son abandon, le chemin des repentis. Puis le chemin qui n'en est plus un, mais une derniĂšre tentative de vivre sur le pays conquis. Et enfin le chemin en avant d'une peinture qui se soucie aussi peu d'une convention pĂ©rimĂ©e que des hiĂ©ratismes et prĂ©ciositĂ©s des enquĂȘtes superflues, peinture d'acceptation, entrevoyant dans l'absence de rapport et dans l'absence d'objet le nouveau rapport et le nouvel objet, chemin qui bifurque dĂ©jĂ , dans les travaux de Bram et de Geer van Velde. (p. 137)

Three Dialogues (1949) :

I. Tal Coat

°Ú
]
[Beckett] – °Ú
] The only thing disturbed by the revolutionaries Matisse and Tal Coat is a certain order on the plane of the feasible.
[Duthuit] – What other plane can there be for the maker?
B. – Logically none. Yet I speak of an art turning from it in disgust, weary of its puny exploits, weary of pretending to be able, of being able, of doing a little better the same old thing, of going a little further along a dreary road.
D. – And preferring what ?
B. – The expression that there is nothing to express, nothing with which to express, nothing from which to express, no power to express, no desire to express, together with the obligation to express.
D. – But that is a violently extreme and personal point of view, of no help to us in the matter of Tal Coat.
B. –
D. – Perhaps that is enough for today. (p. 139)

II. Masson

°Ú
]
B. – °Ú
] Here is an artist who seems literally skewered on the ferocious dilemma of expression. Yet he continues to wriggle. The void he speaks of is perhaps simply the obliteration of an unbearable presence, unbearable because neither to be wooed nor to be stormed. If this anguish of helplessness is never stated as such, on its own merits and of its own sake, °Ú
] the reason is doubtless, among others, that it seems to contain in itself the impossibility of statement.
°Ú
] (p. 140)

III. Bram van Velde

°Ú
]
D. – Speaking of Tal Coat and Masson you invoked and art of a different order, not only from theirs, but from any achieved up to date. Am I right in thinking that you had van Velde in mind when making this sweeping distinction?
B. – Yes. I think he is the first to accept a certain situation and to consent to a certain act.
D. – Would it be too much to ask you to state again, as simply as possible, the situation and act that you conceive to be his?
B. – The situation is that of him who is helpless, cannot act, in the event cannot paint, since he is obliged to paint. The act is of him who, helpless, unable to act, acts, in the event paints, since he is obliged to paint.
D. – Why is he obliged to paint?
B. – I don't know.
D. – Why is he helpless to paint?
B. – Because there is nothing to paint and nothing to paint with.
D. – And the result, you say, is art of a new order?
B. – Among those whom we call great artists, I can think of none whose concern was not predominantly with his expressive possibilities, those of his vehicle, those of humanity. The assumption underlying all painting is that the domain of the maker is the domain of the feasible. The much to express, the little to express, the ability to express much, the ability to express little, merge in the common anxiety to express as much as possible, or as truly as possible, or as finely as possible, to the best of one's ability. What –
D. – One moment. Are you suggesting that the painting of van Velde is inexpressive?
B. – (A fortnight later) Yes.
°Ú
]
B. – °Ú
] I suggest that v[a]n Velde is °Ú
] the first whose hands have not been tied by the certitude that expression is an impossible act.
°Ú
]
B. – °Ú
] My case, since I am in the dock, is that van Velde is the first to desist from this estheticized automatism [the attempts to escape from painting's sense of failure by means of more authentic, more ample, less exclusive relations between representer and representee], the first to admit that to be an artist is to fail, as no other dare fail, that failure is his world and the shrink from it desertion, art and craft, good housekeeping, living. °Ú
] I know that all that is required now, in order to bring even this horrible matter to an acceptable conclusion, is to make of this submission, this admission, this fidelity to failure, a new occasion, a new term of relation, and of the act which, unable to act, obliged to act, he makes, an expressive act, even if only of itself, of its impossibility, of its obligation. I know that my inability to do so places myself, and perhaps an innocent, in what I think is still called an unenviable situation, familiar to psychiatrists. For what is this coloured plane, that was not there before. I don't know what it is, having never seen anything like it before. It seems to have nothing to do with art, in any case, if my memories of art are correct. °Ú
] (p. 142-145)

RAIG, George, Martha Dow FEHSENFELD, Dan GUNN et Lois More OVERBECK (Ă©d.).ÌęThe Letters of Samuel Beckett, Cambridge, Cambridge University Press, 2009-2016, 4 t.

VOLUME 1 : 1929-1940.

Lettre du 8 septembre 1934, Thomas McGreevy (p. 222-223).

[...] CĂ©zanne seems to have been the first to see landscape & state it as material of a strictly peculiar order, incommensurable with all human expressions whatsoever. Atomistic landscape with no velleities of vitalism, landscape with personality Ă  la rigueur, but personality in its own terms, not in Pelman's, landscapability.ÌęRuysdael's [forÌęRuisdael's] Entrance to the Forest – there is no entrance anymore nor any commerce with the forest, its dimensions are its secret and it has no communications to make. °Ú
]
[...] How far CĂ©zanne had moved from the snapshot puerilities of Manet & Cie when he could understand the dynamic intrusion to be himself & so landscape to be something by definition unapproachably alien, unintelligible arrangement of atoms °Ú
].Ìę
Perhaps it is the one bright spot in a mechanistic age - the deanthropomorphizations of the artist. Even the portrait beginning to be dehumanised as the individual feels himself more & more hermetic & alone & his neighbour a coagulum as alien as a protoplast or God, incapable of loving or hating anyone but himself or of being loved or hated by anyone but himself.

Lettre du [16 septembre 1934],ÌęThomas McGreevy (p. 227).

I do not see any possibility of relationship, friendly or unfriendly, with the unintelligible, and what I feel in CĂ©zanne is precisely the absence of a rapport that was all right for Rosa or Ruysdael for whom the animising mode was valid, but would have been false for him, because he had the sense of his incommensurability not only with life of such a different order as landscape but even with life of his own order, even with the life – °Ú
] – operative in himself. °Ú
]

Lettre du 7 juillet 1936, Thomas McGreevy (p. 350).

The point you raise is one that I have given a good deal of thought to. Very early on, when the mortuary and Round Pond scenes were in my mind as the necessary end, I saw the difficulty and danger of so much following Murphy's own "end". There seemed 2 ways out. One was to let the death have its head in a frank climax and the rest be definitely epilogue (by some such means as you suggest. It thought for example of putting the game of chess there in a section by itself.) And the other, which I chose and tried to act on, was to keep the death subdued and go on as coolly and finish as briefly as possible. I chose this because it seemed to me to consist better with the treatment of Murphy throughout, with the mixture of compassion, patience, mockery and “tat twam asi” that I seemed to have directed on him throughout, with the sympathy going so far and no further (then losing patience) as in the short statement of his mind's fantasy of itself. There seemed to me always the risk of taking him too seriously and separating him too sharply from the others. As it is I do not think the mistake (Aliosha mistake) has been altogether avoided.Ìę°Ú
]

Lettre du 13 novembre 1936, George Reavey (p. 380-381).

°Ú
] Do they [the Houghton Mifflin editors] not understand that if the book [Murphy] is slightly obscure, it is so because it is a compression, and that to compress it further can only result in making it more obscure? The wild & unreal dialogues cannot, it seems to be [forÌęme], be removed without darkening & dulling the whole thing. They are the comic expression of what elsewhere is expressed in elegy, namely if you like the hermetism of the spirit. °Ú
] There is no time and space in such a book forÌęmereÌęrelief. The relief has also to do work and reinforce that from which it relieves. And of course the narrative is hard to follow, & of course deliberately so. °Ú
]Ìę

Lettre du 9 juillet 1937, Axel Kaun (p. 518-520).

[Note : traduction anglaise d'une lettre Ă©crite en allemand.]

It is indeed getting more and more difficult, even pointless, for me to write in formal English. And more and more my language appears to me like a veil which one has to tear apart in order to get to those things (or the nothingness) lying behind it. Grammar and style! To me they seem to have become as irrelevant as a Biedermeier bathing suit or the imperturbability of a gentleman. A mask. It is to be hoped the time will come, thank God, in some circles it already has, when language is best used where it is most efficiently abused. Since we cannot dismiss it all at once, at least we do not want to leave anything undone that may contribute to its disrepute. To drill one hole after another into it until that which lurks behind, be it something or nothing, starts seeping through – I cannot imagine a higher goal for today's writer.
Or is literature alone to be left behind on the old, foul road long ago abandoned by music and painting? Is there something paralysingly sacred contained within the unnature of the word that does not belong to the elements of the other arts? Is there any reason why that terrifyingly arbitrary materiality of the word surface should not be dissolved, as for example the sound surface of Beethoven's Seventh Symphony is devoured by huge black pauses, so that for pages on end we cannot perceive it as other than a dizzying path of sounds connecting unfathomable chasms of silence? An answer is requested.
I know there are people, sensitive and intelligent people, for whom there is no lack of silence. I cannot help but assume that they are hard of hearing. For in the forest of symbols that are no symbols, the little birds of interpretation, that is no interpretation, are never silent.
Of course, for the time being, one makes do with little. At first, it can only be a matter of somehow inventing a method of verbally demonstrating this scornful attitude vis-a-vis the word. In this dissonance of instrument and usage perhaps one will already be able to sense a whispering of the end-music or of the silence underlying all.
In my opinion, the most recent work of Joyce has nothing at all to do with such a programme. There it seems much more a matter of an apotheosis of the word. Unless Ascent into Heaven and Descent into Hell are one and the same. How nice it would be to be able to believe that in fact it were so. For the moment, however, we will limit ourselves to the intention.
Perhaps, Gertrude Stein's Logographs come closer to what I mean. The fabric of language has at least become porous, if regrettably only quite by accident and, as it were, a consequence of a procedure somewhat akin to the technique of Feininger. The unhappy lady (is she still alive?) is undoubtedly still in love with her vehicle, if only, however, as a mathematician is with his numbers; for him the solution of the problem is of very secondary interest, yes, as the death of numbers, it must seem to him indeed dreadful. To connect this method with that of Joyce, as is fashionable, appears to me as ludicrous as the attempt, as yet unknown to me, to compare Nominalism (in the sense of the Scholastics) with Realism. On the road toward this, for me, very desirable literature of the non-word, some form of nominalistic irony can of course be a necessary phase. However, it does not suffice if the game loses some of its sacred solemnity. Let it cease altogether! Let's do as that crazy mathematician who used to apply a new principle of measurement at each individual step of his calculation. Word-storming in the name of beauty.
In the meantime I am doing nothing. Only from time to time do I have the consolation, as now, of being allowed to violate a foreign language as involuntarily as, with knowledge and intention, I would like to do against my own language, and – Deo juvante [note : with God's help] – shall do.

ÌęVOLUME 2 : 1941-1956.

Lettre du 25 septembre 1946, Simone de Beauvoir (p. 40-41).

Je regrette le malentendu qui vous met dans l'obligation d'arrĂȘter ma nouvelle Ă  mi-chemin.
Vous pensez Ă  la bonne tenue de votre revue [note :ÌęLes Temps Modernes]. Cela est naturel. Moi je pense au personnage deÌęSuite, frustrĂ© de son repos. Cela aussi est naturel, je pense. °Ú
]
°Ú
] Je ne vous demande pas de revenir sur ce que vous avez dĂ©cidĂ©. Mais il m'est dĂ©cidĂ©ment impossible de me dĂ©rober au devoir que je me sens vis-Ă -vis d'une crĂ©ature. Pardonnez-moi ces grands mots. Si j'avais peur du ridicule je me tairais.
J'ai suffisam[m]ent confiance en vous, finalement, pour vous dire tout simplement mon sentiment. Le voici. Vous m'accordez la parole pour me la retirer avant qu'elle n'ait eu le temps de rien signifier. Vous immobilisez une existence au seuil de sa solution. Cela a quelque chose de cauchemar-[d]esque. J'ai du mal Ă  croire que des soucis de prĂ©sentation puissent justifier, aux yeux de l'auteur deÌęłą'±őČÔ±čŸ±łÙĂ©±đ, une mutilation pareille.
Vous estimez que le fragment paru dans votre dernier numéro est une chose achevée. Ce n'est pas mon avis. Je n'y vois qu'une prémisse majeure.
Ne m'en voulez pas de cette franchise. Elle est sans rancune. Il existe seulement une misÚre qu'il s'agit de défendre jusqu'au bout, dans le travail et en dehors du travail.

Lettre du 11 août 1948, Georges Duthuit (p. 96).

°Ú
] L'erreur, la faiblesse tout au moins, c'est peut-ĂȘtre de vouloir savoir de quoi on parle. À dĂ©finir la littĂ©rature, Ă  sa satisfaction, mĂȘme brĂšve, oĂč est le gain, mĂȘme bref ? De l'armure que tout ça, pour un combat exĂ©crable. °Ú
] Il faut crier, murmurer, exulter, insensĂ©ment, en attendant de trouver le langage calme sans doute du non sans plus, ou avec si peu en plus. Il faut, non, il n'y [a] que ça apparemment pour certains d'entre nous, que ce petit bruit de ha[l]lali insensĂ©, et puis peut-ĂȘtre le dĂ©barras d'au moins une bonne partie de ce que nous avons cru avoir de meilleur, ou de plus rĂ©el, au prix de quels efforts, et peut-ĂȘtre l'immense simplicitĂ© d'une partie au moins du peu redoutĂ© que nous sommes et avons. Mais je commence Ă  Ă©crire. Minuit vient de sonner. [...]

Lettre du 14 janvier 1949, Bram van Velde (p. 113).

J'ai beaucoup pensĂ© Ă  votre travail ces derniers jours et compris l'inutilitĂ© de tout ce que je vous ai dit. Vous rĂ©sistez en artiste, Ă  tout ce qui vous empĂȘche d'oeuvrer, fĂ»t-ce l'Ă©vidence mĂȘme. C'est admirable. Moi, je cherche le moyen de capituler sans me taire – tout Ă  fait. Mais quand je vais chez vous regarder ce que vous avez fait, il ne devrait pas ĂȘtre question de moi. °Ú
]Ìę

Lettre du 2 mars 1949, Georges Duthuit (p. 126-129).

Bram et moi, nous sommes loin l'un de l'autre, si je nous ai bien devinĂ©s, quoique rĂ©unis Ă  un moment, [c'est-Ă -dire] Ă  tout moment, dans un mĂȘme coincement, car il y en a qui ne lĂąchent pas. °Ú
] J'ai cru Ă  un moment donnĂ© qu'il finirait par y renoncer, par peindre le coincement, ne serait-ce que par Ă©puisement. °Ú
] Mais je commence Ă  croire depuis quelque temps qu'il est trop tard et que ce sera jusqu'Ă  la fin ces formidables tentatives de rĂ©tablissement vers une cime furieusement rĂȘvĂ©e, et qu'Ă  vrai dire il porte dans ses bras, et que ce sera chez lui jusqu'Ă  la fin la seule beautĂ© de l'effort et de l'Ă©chec, au lieu de celle, tellement calme et mĂȘme gaie, dont j'ai la prĂ©tention de me laisser hanter. N'empĂȘche que pour moi ça reste une peinture sans prĂ©cĂ©dent et oĂč je trouve mon compte comme dans nulle autre, Ă  cause justement de cette fidĂ©litĂ© Ă  l'oubliette et de ce refus d'une libertĂ© Ă  surveiller. De cette nĂ©cessitĂ© de gĂ©nie oĂč il se trouve de reconnaĂźtre Ă  son trou, tout en s'obstinant Ă  vouloir s'y arracher, la libertĂ©, les hauteurs, la lumiĂšres et les seuls dieux qui le regardent et qu'il n'y a d'Ă©vasion que partielle et vers une mutilation. Et cependant le tableau c'est la trappe qui s'ouvre. Tou[t] ça est littĂ©raire, simpliste, mais Ă  chacun son poumon. °Ú
] Quelles affreuses noces depuis toujours que celles de l'artiste se frottant, de plus en plus cĂąlin comme tu le dis, contre ses meubles, dans la terreur d'en ĂȘtre dĂ©laissĂ©. À quoi on nous oppose, comme la seule alternative, les pures manstuprations de l'art orphique et abstrait. Et si l'on ne bandait tout simplement plus ? Comme dans la vie. Assez de sperme rĂ©pandu.Ìę
°Ú
]
Ce que Vigny dit du mĂ©pris, je le dirais volontiers de ce monde, ou si tu veux cet Ă©tat, que je ne fais encore qu'entrevoir, car il n'est pas trop d'une vie pour s'habituer Ă  cette obscuritĂ©-lĂ , et dont par consĂ©quent je n'ai jamais pu te parler qu'en bavant des ronds de cagoule. Le fait est que d'y ĂȘtre vous dĂ©courage de parler et de ne pas y ĂȘtre vous en disqualifie. Mais je sais que tu as senti quand mĂȘme ce que je voulais dire. Et moi qui croyais ne pas avoir Ă  parler de moi. Je ne sais pas ce que c'est (d'y ĂȘtre vous dĂ©courage de savoir), mais je sais que c'est une grande consolation, Ă  tout, partout, devant la feuille surtout, et moi j'ai grandement besoin d'ĂȘtre consolĂ©, je suis fier, mais pas de cette fiertĂ©-lĂ . Mes forces diminuent ? Parfait, elles se foutront un peu moins dans mes jambes. Tout ce qui me diminue, Ă  commencer par ces chers souvenirs, m'en facilitent l'accĂšs. Je ne risquerai rien Ă  y vivre, j'aurai Ă  peine le temps d'y naĂźtre. Et c'est sans doute Ă  cette naissance, enfin, que le travail devra s'arrĂȘter. Comme ça on voit un peu mieux ce qu'il y a Ă  faire, et par quels moyens. Ce sera un travail de frontiĂšre, de passage, oĂč par consĂ©quent le vieux charabia peut encore servir, en mourant. Une longue estompe. On cesse. Mais Ă  la faveur quand mĂȘme d'un autre ĂȘtre qui, s'il ne doit jamais s'exprimer (et qui sait ?), n'en est pas moins pour beaucoup dans
 l'affaire. Si c'est ça la mort, allons-y.Ìę

Lettre du 9 mars 1949, Georges Duthuit (p. 136-137).

Pour moi, la peinture de Bram ne doit rien Ă  ces piĂštres consolations [note : celles de la peinture non-figurative oĂč l'artiste continue Ă  ĂȘtre dĂ©fini comme celui qui ne cesse d'ĂȘtreÌędevant]. Elle est nouvelle parce que la premiĂšre Ă  rĂ©pudier le rapport sous toutes ces formes. Ce n'est pas le rapport avec tel ou tel ordre de vis-Ă -vis qu'il refuse, mais l'Ă©tat d'ĂȘtre en rapport tout court et sans plus, l'Ă©tat d'ĂȘtre devant. Il y a longtemps qu'on attend l'artiste assez courageux, assez Ă  son aise dans les grandes tornades de l'intuition, pour saisir que la rupture avec le dehors entraĂźne la rupture avec le dedans, qu'aux rapports naĂŻfs il n'existe pas de rapports de remplacement, que ce qu'on appelle le dehors et le dedans ne font qu'un. Je ne dis pas qu'il ne cherche pas Ă  renouer. Ce qui importe c'est qu'il n'y arrive pas. Sa peinture est, si tu veux, l'impossibilitĂ© de renouer. Il y a, si tu veux, refus et refus d'accepter son refus. C'est peut-ĂȘtre ce qui rend cette peinture possible. °Ú
] Ce qui m'intĂ©resse c'est l'au-delĂ  du dehors dedans oĂč il fait son effort, non pas la portĂ©e de l'effort mĂȘme. °Ú
]Ìę
Que peint-il donc, avec tant de mal, s'il n'est plus devant rien ? Dois-je vraiment essayer de le redire, en rafraĂźchissant les images ? Quoi que je dise, j'aurai l'air de l'enfermer Ă  nouveau dans une relation. Si je dis qu'il peint l'impossibilitĂ© de peindre, la privation de rapport, d'objet, de sujet, j'ai l'air de le mettre en rapport avec cette impossibilitĂ©, avec cette privation, devant elles. Il est dedans, est-ce la mĂȘme chose ? Il les est, plutĂŽt, et elles sont lui, d'une façon pleine, et peut-il y avoir des rapports dans l'indivisible ? Pleine ? Indivisible ? Évidemment pas. [Ç]a vit quand mĂȘme. Mais dans une telle densitĂ©, [c'est-Ă -dire] simplicitĂ©, d'ĂȘtre, que seule l'Ă©ruption peut en avoir raison, y apporter le mouvement, en soulevant tout d'un bloc. S'il faut nĂ©anmoins y voir l'aboutissement d'un sourd travail de rapports secrets, mon Dieu, je me rĂ©signerai Ă  ne pas ĂȘtre ridicule. Je ne veux rien prouver et les thĂ©ories Ă©tanches ne me sont pas plus chĂšres que celles qui laissent passer cette chĂšre VĂ©ritĂ©. J'essaie seulement d'indiquer la possibilitĂ© d'une expression en dehors du systĂšme de rapports tenu jusqu'Ă  prĂ©sent pour indispensable Ă  qui ne sait pas se contenter de son seul nombril. Si tu me demandes pourquoi la toile ne reste pas blanche, je peux seulement invoquer cet inintelligible besoin, Ă  tout jamais hors de cause, d'y foutre de la couleur, fĂ»t-ce en y vomissant son ĂȘtre.Ìę
°Ú
] Et dire que le peintre, en enduisant une toile de couleurs, s'engage nĂ©cessairement dans la voie des relations spatiales et temporelles, me semble vrai uniquement pour celui qui n'a pas cessĂ© de les faire intervenir sous la forme de rapports, ce qui n'est pas le cas de Bram, si j'ai bien bafouillĂ©. Et dans ces servitudes de mĂ©tier qui obligent Ă  s'acoquiner Ă  une surface matĂ©rielle imparfaitement plane et Ă  mettre Ă  s'y soulager une durĂ©e plus ou moins hoquetante, je ne peux voir un aveu que lĂ  oĂč il y a en mĂȘme temps propos d'en tirer parti. Que Bram fasse Ă©tat de son passĂ©, d'avenir meilleur et de PietĂ  Ă  double vierge-mĂšre, me laisse bien sĂ»r froid comme Malone, [c'est-Ă -dire] Ă  peine tiĂšde, exception faite des extrĂ©mitĂ©s, dont la tĂȘte. J'ai toujours pensĂ© qu'il n'avait pas la moindre idĂ©e de ce qu'il faisait et que moi non plus. Mais c'est de prĂ©fĂ©rence Ă  cette derniĂšre apprĂ©ciation que j'essaierai de m'agripper, jusqu'au jour oĂč je n'aurai plus besoin d'une main dans la mienne dans mon tort.Ìę

Lettre du 26 mai [1949], Georges Duthuit (p. 153).

°Ú
] Pour moi, la question devient intĂ©ressante vraiment seulement Ă  partir du moment oĂč l'on s'occupe de ce qui est derriĂšre les 2 attitudes, Ă  savoir d'une part la passion du faisable, oĂč les plus nobles recherches sont viciĂ©es par le besoin d'en faire reculer les limites, et d'autre part, peut-ĂȘtre, enfin, bientĂŽt, le respect de l'impossible que nous sommes, impossibles vivants, impossiblement vivant, dont ni le temps du corps, ni l'investissement par l'espace, ne sont pas davantage Ă  retenir que l'ombre le soir ou le visage aimĂ©, et peignant tout simplement un sort, qui est de peindre, lĂ  oĂč il n'y a rien Ă  peindre, rien avec quoi peindre, et sans savoir peindre, et sans vouloir peindre, et cela de maniĂšre Ă  ce qu'il en transpire quelque chose, tant qu'Ă  faire. VoilĂ , je vais trop loin, j'irai toujours trop loin, et jamais assez loin. °Ú
]

Lettre du 1er juin 1949, Georges Duthuit (p. 161).

°Ú
] J'ai travaillĂ© un peu. Chaque fois que je m'y mets, ça vient assez facilement, mais je rĂ©pugne Ă  m'y mettre, plus que jamais. J'ai fait une chose qu'il ne m'Ă©tait jamais arrivĂ© de faire, j'ai Ă©crit la derniĂšre page du livre en cours [note :ÌęL'Innommable], alors que je n'en suis encore qu'Ă  la 30me. Je n'en suis pas fier. Mais l'issue dĂ©jĂ  fait si peu de doute, quels que soient les tortillements, ce dont je n'ai qu'une idĂ©e des plus vagues, qui m'en sĂ©parent.

Lettre du 9 juin [1949], Georges Duthuit (p. 164-165).

Je profite d'un instant (passager) de luciditĂ© pour te dire que je crois voir ce qui nous sĂ©pare, ce sur quoi nous finissons toujours par buter, aprĂšs bien des locutions inutiles. C'est l'opposition possible-impossible, richesse-pauvretĂ©, possession-privation, etc. etc. À ce point de vue les Italiens, Matisse, Tal Coat et tutti quanti sont dans le mĂȘme sac, en chanvre supĂ©rieur, du cĂŽtĂ© de ceux qui, ayant, veulent encore, et, pouvant, davantage. °Ú
] Pour moi ils [note : les Italiens] ont seulement eu le tort de croire bien faire, peu importe par quels moyens. Tu opposes un temps quotidien, utilitaire, Ă  un temps vital, de tripes, d'effort privilĂ©giĂ©, le vrai. Tout ça revient Ă  vouloir sauver une forme d'expression qui n'est pas viable. Vouloir qu'elle le soit, travailler pour qu'elle le soit, lui en donner l'air, c'est donner dans la mĂȘme plĂ©thore que depuis toujours, dans la mĂȘme comĂ©die. °Ú
] Existe-t-il, peut-il exister, ou non, une peinture pauvre, inutile sans camouflage, incapable de l'image quelle qu'elle soit, dont l'obligation ne cherche pas Ă  se justifier ? Que je l'aie vue lĂ  oĂč il n'y aurait qu'un renouvellement sans prĂ©cĂ©dent du rapport, du banquet, ça n'a pas d'importance. Je ne pourrai jamais plus admettre que l'acte sans espoir, calme de sa damnation.Ìę

Lettre du mardi [? 28 juin 1949], Georges Duthuit (p. 168).

PourÌęmoi, [le fait de suggĂ©rer que la peinture de Bram van Velde est inexpressive est] la seule rĂ©ponse possible. RĂ©pondre comme j'ai dĂ©jĂ  eu la lĂąchetĂ© de le faire, qu'elle exprime l'impossibilitĂ© de rien exprimer, c'est le ramener tambour battant au bercail.
Parce que j'ai la frĂ©nĂ©sie d'amĂ©nager pour moi-mĂȘme une situation littĂ©ralement impossible, ce que tu appelles l'absolu, voilĂ  que je l'y colle Ă  mes cĂŽtĂ©s.

Lettre du jeudi [? 30 mars ou 6 avril 1950], Georges Duthuit (p. 193).

°Ú
] Qu'il y ait des esprits supĂ©rieurs (sans ironie) qui savent et qui peuvent, je veux bien le croire. Mais lorsqu'on n'est pas douĂ©, vraiment trĂšs bĂȘte et maladroit, que faut-il faire ? Le malin ? De l'art ? Se taire ? Le silence viendra assez tĂŽt, non pas par orgueil, mais de langue lasse.

Lettre du mercredi [3 janvier 1951], Georges Duthuit (p. 216-217).

Franchement je suis tout Ă  fait contre les idĂ©es de Stael sur le dĂ©cor, peut-ĂȘtre Ă  tort. Il voit ça en peintre. Pour moi c'est de l'esthĂ©tisme. °Ú
] Moi je ne crois pas Ă  la collaboration des arts, je veux un thĂ©Ăątre rĂ©duit Ă  ses propres moyens, parole et jeu, sans peinture et sans musique, sans agrĂ©ments. °Ú
] Il faut que le dĂ©cor sorte du texte, sans y ajouter. Quant Ă  la commoditĂ© visuelle des spectateurs, je la mets lĂ  oĂč tu devines. Crois-tu vraiment qu'on puisse Ă©couter devant un dĂ©cor de Bram, ou voir autre chose que lui ? DansÌęGodotÌęc'est un ciel qui n'a de ciel que le nom, un arbre dont ils se demandent si c'en est un, petit et rabougri. J'aimerais voir ça foutu n'importe comment sordidement abstrait comme la nature l'est °Ú
]. Rien du tout, ça n'exprime rien, c'est de l'opaque qu'on n'interroge mĂȘme plus. Tout spĂ©cifisme formel devient impossible. °Ú
] Indigence, nous ne la dirons jamais assez, et dĂ©cidĂ©ment la peinture en est incapable. °Ú
]
°Ú
]
C'est un spectacle bien sĂ»r, le thĂ©Ăątre, mais pas d'un endroit. Ce qui s'y fait se ferait aussi bien, ou aussi mal, n'importe oĂč ailleurs, sans parler de ce qui s'y dit. °Ú
] Comme on a toujour[s] Ă©crit contre la faiblesse du mot et tonnĂ© contre celle du corps. Mais me voilĂ  au bord de mes vieilles rengaines.

Lettre du lundi [16 avril 1951], Mania PĂ©ron (p. 240-241).

Tout Ă  fait d'accord avec votre judicieuse critique des critiques. Il fallait vraiment faire inattention pour confondre la victime de Moran avec le pĂšre Molloy. Mais ce n'est pas nĂ©cessairement Moran lui-mĂȘme non plus. Que voulez-vous, je ne sais pas tout. Pour moi c'est simplement l'Ă©tranger indiquĂ©, j'ai horreur des symboles. °Ú
]
°Ú
]
°Ú
] Comment continuer aprĂšsÌęl'INNommableÌę? Ce sont des petits textes-sondes pour tĂąter la possibilitĂ© d'autre chose.

Lettre du mardi [18 septembre 1951], Mania PĂ©ron (p. 297).

Mes petits textes sont en panne. Le dernier, je n'ai pas le courage de le relire. DĂ©cidĂ©ment je suis dĂ©goĂ»tĂ© d'Ă©crire, comme moi j'Ă©cris. °Ú
]

Lettre du 3 décembre 1951, Bram van Velde et Marthe Arnaud-Kuntz (p. 304).

Que Bram surtout ne s'imagine pas que je m'éloigne de lui, c'est tout le contraire. Plus je m'enfonce et plus je me sens à ses cÎtés et combien, malgré les différences, nos aventures se rejoignent, dans l'impensé et le navrant. Et s'il devait y avoir pour moi une ùme soeur, je me flatte que ce serait bien la sienne et nulle autre, qu'on se voie ou qu'on ne se voie pas, ça ne change rien à l'affaire. Et que je ne puisse plus, autant qu'autrefois, l'encourager, n'est que l'effet d'une faiblesse et d'une fatigue qui me le rendent encore plus cher, si cela est possible. Bram est mon grand familier. Dans le travail et dans l'impossibilité de travailler, et ce sera toujours ainsi.

Lettre [ultérieure au 23 janvier 1952], Michel Polac (p. 314).

Je n'ai pas d'idées sur le théùtre. Je n'y connais rien. Je n'y vais pas. C'est admissible.
Ce qui l'est sans doute moins, c'est d'abord, dans ces conditions, d'écrire une piÚce, et ensuite, l'ayant fait, de ne pas avoir d'idées sur elle non plus.
C'est malheureusement mon cas.
°Ú
]
Je ne sais pas plus sur cette piĂšce que celui qui arrive Ă  la lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l'ai Ă©crit[e].
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu'ils disent, ce qu'ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j'ai dĂ» indiquer le peu que j'ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais mĂȘme pas s'il existe. Et je ne sais pas s'ils y croient ou non, les deux qui l'attendent.
°Ú
]
Quant Ă  vouloir trouver Ă  tout cela un sens plus large et plus Ă©levĂ©, Ă  emporter aprĂšs le programme et les Esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intĂ©rĂȘt. Mais ce doit ĂȘtre possible.
Je n'y suis plus et je n'y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n'ai pu les connaĂźtre un peu que trĂšs loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-ĂȘtre. Qu'ils se dĂ©brouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.

Lettre du 8 février 1952, Aidan Higgins (p. 319).

°Ú
] I used to think all [t]his work was an effort, necessarily feeble, to express the nothing. It seems rather to have been a journey, irreversible, in gathering thinglessness, towards it. Or also. Or ergo. And the problem remains entire or at last arising ends. °Ú
]

Lettre du 9 janvier 1953, Roger Blin (p. 350).

°Ú
] L'esprit de la piĂšce, dans la mesure oĂč elle en a, c'est que rien n'est plus grotesque que le tragique, et il faut l'exprimer jusqu'Ă  la fin, et surtout Ă  la fin. J'ai un tas d'autres raisons pour vouloir que ce jeu de scĂšne ne soit pas escamotĂ©, mais je vous en fais grĂące. Soyez seulement assez gentil de le rĂ©tablir comme c'est indiquĂ© dans le texte, et comme nous l'avions toujours prĂ©vu au cours des rĂ©pĂ©titions, et que le pantalon tombe complĂštement, autour des chevilles. [Ç]a doit vous sembler stupide, mais pour moi c'est capital. °Ú
]

Lettre du 25 juillet 1953, Carlheinz Caspari (p. 389).

Il m'est trĂšs difficile de m'expliquer sur mon travail [note : il est question d'En attendant Godot]. °Ú
]
Si ma piĂšce renferme des Ă©lĂ©ments expressionnistes, c'est bien Ă  mon insu. °Ú
] Ce n'est pas non plus, pour moi, une piĂšce symboliste, je ne saurais trop insister lĂ -dessus. Il s'agit d'abord et avant tout d'une chose qui arrive, presque d'une routine, et c'est cette quotidiennetĂ© et cette matĂ©rialitĂ© qu'Ă  mon avis il importe de faire ressortir. Qu'Ă  chaque instant des Symboles, des IdĂ©es et des Formes se profilent, cela pour moi est secondaire, derriĂšre quoi ne se profilent-ils pas ? À les prĂ©ciser en tout cas on n'a rien Ă  gagner. Les personnages sont des ĂȘtres vivants, Ă  peine si l'on veut, ce ne sont pas des emblĂšmes. Je conçois fort bien votre gĂȘne devant leur peu de caractĂ©risation. Mais je vous engagerai Ă  y voir moins l'effet d'un effort d'abstraction, ce dont je suis peu capable, que le refus d'attĂ©nuer tout ce qu'ils ont Ă  la fois de complexe et d'amorphe. °Ú
] Godot lui-mĂȘme n'est pas d'une autre espĂšce que ceux qu'il ne peut pas ou ne veut pas aider. Moi-mĂȘme je le connais plus mal que quiconque, n'ayant jamais su, mĂȘme obscurĂ©ment, ce dont j'avais besoin. Si son nom suggĂšre les cieux, c'est seulement dans la mesure oĂč un produit Ă  faire pousser les cheveux peut paraĂźtre divin. À chacun de lui donner un visage. D'autres, plus fortunĂ©s, y verront Thanatos.

Lettre du 2 décembre 1953, Niall Mongomery (p. 427).

The heart of the matter [note : il est question de l'oeuvre de Beckett], if it has one, is perhaps rather in theÌęNaught more real than nothingÌęand theÌęubi nihil vales, already inÌęMurphyÌę– I imagine so.

Lettre du 17 février 1954, Hans Naumann (p. 461-462).

Je ne demande qu'Ă  vous aider, quoiqu'il me soit trĂšs difficile, pour ne pas dire impossible, de parler de moi et de mon travail.Ìę
°Ú
] [Joyce et moi] avons trĂšs peu parlĂ© de lit[t]Ă©rature, il n'aimait pas cela, moi non plus. °Ú
] Je le considĂšre toujours comme un des plus grands gĂ©nies littĂ©raires de tous les temps. Mais je crois avoir senti de bonne heure que la chose qui m'appelait et les moyens dont je pouvais disposer Ă©taient pratiquement Ă  l'opposĂ© de sa chose et de ses moyens Ă  lui. Il a eu une trĂšs forte influence morale sur moi. Il m'a fait entrevoir, sans le vouloir d'ailleurs le moins du monde, ce que peut signifier : ĂȘtre artiste. Je pense Ă  lui avec une admiration une affection et une reconnaissance sans bornes.
°Ú
]
Depuis 1945, je n'Ă©cris plus qu'en français. Pourquoi ce changement ? Il ne fut pas raisonnĂ©. Cela a Ă©tĂ© pour changer, pour voir, pas plus compliquĂ© que cela, apparemment au moins. °Ú
] Vous pouvez me ranger dans la triste catĂ©gorie de ceux qui, s'ils devaient agir Ă  bon escient, n'agiraient jamais. Ce qui n'empĂȘche pas qu'il puisse y avoir, Ă  ce changement, des raisons urgentes. Moi-mĂȘme j'en entrevois plusieurs, maintenant qu'il est trop tard pour revenir en arriĂšre. Mais j'aime mieux les laisser dans l'ombre. Je vous donnerai quand mĂȘme une piste : le besoin d'ĂȘtre mal armĂ©.Ìę
Proust. °Ú
] Depuis [l'Ă©poque oĂč j'ai Ă©crit un court essai sur lui] je ne l'ai guĂšre relu. Il m'impressionne et m'agace. Je supporte mal sa manie, entre autres, de vouloir tout ramener Ă  des lois. Je crois que je le juge mal.
Kafka. Je n'ai lu de lui, hormis quelques textes courts, que les trois quarts environ duÌę°äłóĂąłÙ±đČčłÜ, et cela en allemand, [c'est-Ă -dire] en perdant beaucoup. Je m'y suis senti chez moi, trop, c'est peut-ĂȘtre cela qui m'a empĂȘchĂ© de continuer. Cause instantanĂ©ment entendue. °Ú
] Je me rappelle avoir Ă©tĂ© gĂȘnĂ© par le cĂŽtĂ© imperturbable de sa dĂ©marche. Je me mĂ©fie des dĂ©sastres qui se laissent dĂ©poser comme un bilan.Ìę
Je n'essaie pas d'avoir l'air rĂ©fractaire aux influences. Je constate seulement que j'ai toujours Ă©tĂ© un piĂštre lecteur, incurablement distrait, Ă  l'affĂ»t d'un ailleurs. Et je crois pouvoir dire sans esprit de paradoxe que les lectures qui m'ont le plus marquĂ© sont celles qui m'y ont le mieux renvoyĂ©, Ă  cet ailleurs.Ìę

Lettre du 2 mars 1954, Georges Duthuit (p. 472).

°Ú
] Il ne faut pas trop prendre au sĂ©rieux mes idĂ©es fixes, visions fixes et balbutiements d'affolĂ©. °Ú
] Ayant cru discerner chez Yeats la seule valeur qui me demeure encore un peu rĂ©elle, valeur que je ne veux plus essayer de cerner et dont les si respectables considĂ©rations de pays et de facture ne peuvent rendre compte, je deviens littĂ©ralement aveugle pour tout le reste. C'Ă©tait dĂ©jĂ  la mĂȘme chose quand il s'agissait de Bram. Ce n'est donc pas avec moi qu'on puisse parler d'art et ce n'est pas lĂ -dessus que je risque d'exprimer autre chose que mes propres hantises. °Ú
]Ìę

Lettre du 11 mars 1954, Edouard Coester (p. 475).

°Ú
] Pour ĂȘtre tout Ă  [fait] franc, je ne crois pas que le texte deÌęGodotÌępuisse supporter les prolongements que lui confĂ©rerait forcĂ©ment une mise en musique. La piĂšce comme tout dramatique, si, mais pas le dĂ©tail verbal. Car il s'agit d'une parole dont la fonction n'est pas tant d'avoir un sens que de lutter, mal j'espĂšre, contre le silence, et d'y renvoyer. Je la vois donc difficilement partie intĂ©grante d'un monde sonore.Ìę

Lettre du 21 août 1954, Barney Rosset (p. 497).

°Ú
] You know Barney, I think my writing days are over.ÌęL'InnommableÌęfinished me or expressed my finishedness.Ìę

Lettre du 17 janvier 1956, Alec Reid (p. 596).

°Ú
] The trouble about my little world is that there is no outside to it. Aesthetically the adventure is that of the failed form (no achieved statement of the inability to be). °Ú
]Ìę

Lettre du 8 mars 1956, Robert Pinget (p. 604).

°Ú
] Ne vous dĂ©sespĂ©rez pas, branchez-vous bien sur le dĂ©sespoir et chantez-nous ça.

Lettre du 1er avril 1956, Desmond Smith (p. 610).

I am afraid I am quite incapable of sitting down and writing out an "explanation" of the play. °Ú
] It is not in any sense a symbolic work. The point about Pozzo, for example, is not who he is, or what he is, or what he represents, but the fact that all this is not known, so that for a moment he can eve[n] ben confused with Godot. °Ú
] Confusion of mind and of identity is an indispensable element of the play and the effort to clear up the ensuing obscurities, which seems to have exercized most critics to the point of blinding them to the central simplicity, strikes me as quite nugatory.Ìę

VOLUME 3 : 1957-1965.

Lettre du 28 mai 1957, Kay Boyle (p. 49).

°Ú
] I do not agree that the first five paragraphs [of Joyce'sÌęThe Boarding House] are relevant only in terms of an allegorical context. I know nothing about short story or any other aesthetics. But it seems normal to me, in exordium to the relation proper, to situate those who it concerns and establish their climate. And I feel the butchery and cleavery have no other purpose than this, and that it is achieved. "It was a bright morning etc" strikes me as more a novel opening than a short story one, there being leisure in the novel, and in the short story not, for the where and for whom to be dealt with later. °Ú
] It might also be enquired if these are short stories at all. They are chunks of Dublin, its air and light and scene and voices, and for me the only way to read them is right down in their immediacy. °Ú
] The last words of my regrettable novelÌęWattÌęare "no symbols where none intended". °Ú
]

Lettre du 27 août 1957, Barney Rosset (p. 64).

Now for my sins I have to go on and say that I can't agree with the idea ofÌęAct Without WordsÌęas a film. It is not a film, not conceived in terms of cinema. If we can't keep our genres more or less distinct, or extricate them from the confusion that has them where they are, we might as well go home and lie down.ÌęAct Without WordsÌęis primitive theatre, or meant to be, and moreover, in some obscure way, a codicil toÌęEnd-Game, and as such requires that this last extremity of human meat – or bones – be there, thinking and stumbling and sweating, under our noses, like Clov about Hamm, but gone from refuge. °Ú
]Ìę

Lettre du 24 septembre 1957, François Beloux (p. 65).

À mon grand regret, et malgrĂ© la valeur de votre travail [d'adaptation cinĂ©matographique de la moitiĂ© du romanÌęMolloy], je ne peux pas vous donner l'autorisation que vous me demandez. Je ne dĂ©sire pas que l'on tire des films de mes Ă©crits et je m'y opposerai toujours.Ìę

Lettre du 29 décembre 1957, Alan Schneider (p. 82).

°Ú
] But when it comes to these bastards of journalists I feel the only line is to refuse to be involved in exegesis of any kind. That's for those bastards of critics. And to insist on the extreme simplicity of dramatic situation and issue. °Ú
] My work is a matter of fundamental sounds (no joke intended), made as fully as possible, and I accept responsibility for nothing else. If people want to have headaches among the overtones, let them. °Ú
] Hamm as stated, and Clov as stated, together as stated, nec tecum nec sine te [note : neither with you can I live nor without you], in such a place, and in such a world, that's all I can manage, more than I could.Ìę

Lettre du 23 septembre 1958, Christian Ludvigsen (p. 169).

I agree more or less with what Nadeau says [aboutÌęEndgame]. The clue to the whole thing is perhaps in Nell's speech: "Rien n'est plus drĂŽle que le malheur
 Nous la trouvons toujours bonne, mais nous ne rions plus." Endgame is not Godot, and any clowning or playing for a laugh would I think be quite wrong. It doesn't matter whether the audience laughs or not.Ìę

Lettre du 29 novembre 1958, Barbara Bray (p. 183-184).

I am very touched by what you say of [The Unnamable]. I wish I could think it is as important as you say, but of course I can't. I am in acute crisis about my work (on the lines familiar to you by now) and have decided that I not merely can't but won't go on as I have been going more or less ever since the Textes pour Rien and must either get back to nothing again and the bottom of all the hills again like before Molloy or else call it a day. °Ú
]

Lettre du 12 mars 1959, Avigdor Arikha (p. 213).

°Ú
] CĂŽtĂ© travail je fais ce que je peux, ce n'est pas brillant. Le rythme et la syntaxe de la faiblesse et de la pĂ©nurie, pas commode Ă  attraper. J'y arrive quand mĂȘme peut-ĂȘtre un peu – 6me version du dĂ©but. Je vous montrerai ça Ă  votre retour, Ă  moins que je ne me torche avec d'ici lĂ . °Ú
]

Lettre du 7 août 1959, Barbara Bray (p. 237).

°Ú
] About halfway through the second part [ofÌęComment c'est] anyway, Pim hasn't much to say in the end. Can't talk about it. °Ú
] When I'm in Paris I'll send you Blanchot'sÌęLe Livre Ă  Venir, I think he's on to something very important which he probably over-systematizes. I won't read it now, it would only get in my way. °Ú
]Ìę

Lettre du 30 novembre 1959, Robert Pinget (p. 257).

Je travaille avec beaucoup de mal – de plus en plus. J'ai vu tout d'un coup la "chose" [note :ÌęComment c'est] trĂšs clairement pour la premiĂšre fois, c'est plutĂŽt gĂȘnant qu'autre chose, et ça fout en l'air une grande partie de ce que j'avais dĂ©jĂ  fait. Il faudrait pouvoir se dire, ça ne presse pas, j'en ai jusqu'Ă  ce que je crĂšve, et ne donner le bon Ă  tirer qu'avec le dernier soupir.Ìę

Lettre du 8 décembre 1959, Barbara Bray (p. 262).

Quite lost inÌęPimÌę[note :ÌęComment c'est]. Shall either
1 bungle it
2 give it up
3 keep writing it for years
no doubt as always the firstÌę

Lettre du 26 février 1960, Patrick Magee (p. 306).

°Ú
] What will meet your disgusted eye is a series of short paragraphs (average of 4 or 5 lines)Ìęseparated by pauses during which panting cordially invited and without as much punctuation as a comma to break the monotony or promote the understanding [le dĂ©but deÌęComment c'estÌętraduit]. The uttered voice, fragments of an inner voice ill heard, is that of a man (?) lying on his face in the mud in the dark. I have made the writing as clear as such dreadful circumstances permit °Ú
] »

Lettre du 2 avril 1960, Robert Pinget (p. 324).

Mon travail est au point mort. Je n'y crois plus et ça ne m'intéresse plus. Vouloir trop étreindre ! ou trop peu.

Lettre du 21 novembre 1960, Matti Megged (p. 376-377).

The second [suggestion] is more difficult to formulate and has to do with the view you seem to hold of the relationship between living and writing. °Ú
] Your view seems to be that what you can't live you should at least be able to state – and then you complain that your statement has devitalized its object. But the material of experience is not the material of expression and I think the distress you feel, as a writer, comes from a tendency on your part to assimilate the two. The issue is roug[h]ly that raised by Proust in his campaign against naturalism and the distinction he makes between the "real" of the human predicament and the artist's "ideal real" remains certainly valid for me and indeed badly in need of revival. I understand – I think no one better – the flight from experience to expression and I understand the necessary of both. But it is the flight from one order or disorder to an order or disorder of a different nature and the two failures are essentially dissimilar in kind. Thus life in failure can hardly be anything but dismal at the best, whereas there is nothing more exciting for the writer, or richer in unexploited expressive possibilities than the failure to express. It was some realization of all this and what it involves that enabled me to go on (about 15 years ago) in a situation probably very different from yours, but certainly no less critical. °Ú
]

Lettre du 3 février 1961, Barbara Bray (p. 397).

°Ú
] You have "understood" the book as no one so far. You of course greatly overrate it and me, but we won't go into that again. What you say of its being not about something, but something, is exactly what I wrote ofÌęFinnegansÌęin theÌęExagmination. °Ú
]

Lettre du 6 novembre 1962, Arland Ussher (p. 511).

°Ú
] [M]y unique relation [with my work] – and it a tenuous one – is the making relation. I am with it a little in the dark and fumbling of making, as long as that lasts, then no more. I have no light to throw on it myself and it seems a stranger in the light that others throw.Ìę

Lettre du 3 décembre 1962, Matti Megged (p. 518-519).

°Ú
] Writing I suppose for some of us – though most certainly not for all – is only possible in the last ditch and in complete dĂ©sespoir de cause and at a depth where one's "living" not only is gone, but never was. Either it comes to that or it doesn't – and one couldn't wish it for anyone.Ìę

Lettre du 24 mai 1963, Gottfried BĂŒttner (p. 544).

Je suis flattĂ© et touchĂ© par ce que vous dites de mon travail. Moi je suis tout Ă  fait incapable d'en parler. Je ne le vois et ne le vis que du dedans. LĂ  il fait toujours sombre et il n'y est jamais question ni de diagnostic, ni de pro[n]ostic, ni de traitement.Ìę

VOLUME 4 : 1966-1989.

Lettre du 24 mai 1966, Robert Pinget (p. 29).

°Ú
] Tu as tort de dĂ©biner ton travail. On n'est pas des gendelettres. Si on se donne tout ce mal fou ce n'est pas pour le rĂ©sultat mais parce que c'est le seul moyen de tenir le coup sur cette foutue planĂšte. Avec ce besoin-lĂ  beaucoup de misĂšre mais pas de problĂšme. °Ú
] Je crois que ces histoires de prix et autres Ă -cĂŽtĂ©s ne t'ont rien valu et qu'elles peuvent trĂšs bien ĂȘtre pour quelque chose dans l'Ă©tat oĂč tu te sens. Laisse tomber tout ça, cesse de te relire et remets-toi au travail. Nous ne saurons jamais ce que nous valons ni les uns ni les autres et c'est la derniĂšre question Ă  se poser. °Ú
]

Lettre du 8 décembre 1966, Christian Ludvigsen (p. 54-55).

GodotÌęin my opinion is insufficiently "visualized" during writing. The other plays I saw more clearly, as the stage-directions show.Ìę
The mental stage on which one moves when writing and the mental auditorium from which one watches it are very inadequate for the real thing. And yet without them it is impossible to write for the theatre. °Ú
]Ìę
°Ú
]
To sum up, if familiarity with mental stage, auditorium, lighting, acoustics, actors, set, etc. is indispensable to the writing of a play, the results are only valid in so far as they function satisfactorily under given real conditions.Ìę
The ideal would be to work knowing in advance these real conditions. I dream of going into a theatre with no text, or hardly any, and getting together with all concerned before really setting out to write. That is to say a situation where the author would not have a privileged status, as is the case when he arrives with a text already set, but would simply function as a specialist of neither more nor less importance than the other specialists involved.Ìę

Lettre du 28 mars 1968, Stephen Block (p. 120).

I find it impossible to write or speak about my work.Ìę
My only contact with it is from the inside and I understand very imperfectly the effect it has on readers and critics.Ìę

Lettre du 1er juin 1969, Pamela Mitchell (p. 163).

Find writing infernally difficult now and suspect there's not much more of it in me. Haven't managed more than a few pages in the last two years, I mean saved more than that from the wrecks.Ìę

Lettre du 8 novembre 1969, Barbara Bray (p. 192).

Wrote first sentence this morningÌędĂ©sespoir de causeÌęagain of God know what and who cares. Feels like beginningÌęMolloyÌęonly 1/4 century worse.

Lettre du 21 décembre 1969, Henri et Josette Hayden (p. 213).

°Ú
] J'avais essayĂ© de reprendre le travail Ă  Nabeul, sans succĂšs. Mais il fallait m'acharner. J'ai encore laissĂ© tomber. Comment dire noir, silence et vide ? IntĂ©ressant problĂšme technique. °Ú
]Ìę

Lettre du 11 avril 1972, James Knowlson (p. 291).

I simply know next to nothing about my work in this way, as little as a plumber of the history of hydraulics. There is nothing/nobody with me when I'm writing, only the hellish job in hand. The "eye of the mind" in [Happy Days] does not refer to Yeats any more [than] the "revels
" inÌęEndgameÌętoÌęThe Tempest, they are just bits of pipe I happen to have with me. I suppose all is reminiscence from womb to tomb, all I can say is I have scant information regarding mine – alas.Ìę

Lettre du 3 décembre 1972, Rubin Rabinovitz (p. 316).

°Ú
] I harboured no such deep thoughts [note : qui relieraient son oeuvre Ă  celle de Descartes ou de Schopenhauer] when writing the work [note :ÌęWatt] which was no more than a turning to words, during the occupation, after my days in the fields, with a view to not losing my reason.Ìę

Lettre du 15 mai 1977, Sighle Kennedy (p. 460).

All I can say to help you perhaps is that [Watt] was an escape operation from the horrors of that hateful time. If they crept in it was in spite of me.Ìę

Lettre du 24 février 1980, Herbert Myron (p. 523).

°Ú
] Off now on a new fumble in French this time [note :ÌęMal vu mal dit]. With growing distaste. Much the same confusion of "reality" – the counterpoison.Ìę

Lettre du 5 juillet 1980, Christopher Logue (p. 530).

If I had any conversation, anything worth saying to say about anything, including myself & my work, it wd. gladly be with you. But I have none, nothing. Never had much. Now none at all, nothing at all. Forgive.Ìę

Lettre du 3 octobre 1982, Carlton Lake (p. 592-593).

Definite switch [to French] on return to Dublin summer 1945 whenÌęMolloyÌębegun. Already in French poems &Ìęnouvelles.Ìę
Escape from mother Anglo-Irish exuberance & automatisms.Ìę
From ex[c]ess to lack of colour.Ìę
Distance from the writing from which clearer to assess it.Ìę
Slow-down of whole process of formulation.Ìę
Impoverished form in keeping with revelation & espousal of mental poverty.Ìę
English grown foreign resumable 10 years later.Ìę

Lettre du 28 août 1984, Kay Boyle (p. 643).

I grow dumber and dumber.Ìę
Nothing to tell.Ìę
Glad and sorry it's said and done. All the little.Ìę

Lettre du 16 décembre 1984, Mary Manning Howe Adams (p. 646).

Forgive my long silence. From pen to paper is a far cry for me nowadays.Ìę
°Ú
]Ìę
Not a written word worth having since Worstward Ho a year ago. But I can't call it a day.Ìę

Lettre du 24 février 1985, Mathieu Lindon (p. 652).

Bon qu'Ă  ça. [Note : Beckett rĂ©pond ainsi Ă  une question posĂ©e pour un numĂ©ro hors-sĂ©rie deÌęłąŸ±ČúĂ©°ùČčłÙŸ±ŽÇČÔÌę:ÌęPourquoi Ă©crivez-vous ?]

D'AUBARÈDE, Gabriel. « En attendant
 Beckett »,ÌęLes Nouvelles littĂ©raires, 16 fĂ©vrier 1961, p. 1 et 7.

[G. d'AubarĂšde : Vos romans sont d'une lecture plutĂŽt difficile. Mais vous, les avez-vous Ă©crits difficilement ?]
- Oh ! oui, trĂšs difficilement ! Mais avec Ă©lan, dans une sorte d'enthousiasme.
[G. d'AubarĂšde : D'enthousiasme ?]
-ÌęMaloneÌęest sorti [deÌęMolloy],ÌęL'InnommableÌęest sorti deÌęMalone. Mais aprĂšs, pendant longtemps, je n'ai plus vu du tout ce que je pourrais dire. Je m'Ă©tais enfermĂ© dans un cercle. C'est pour essayer de briser ce cercle que j'Ă©crivais ces petits textes, ces petits contes si vous voulez que j'appelle "Ă©crits pour rien".
[G. d'AubarÚde : Les philosophes contemporains ont-ils exercé sur votre pensée une influence ?]
- Je ne lis jamais les philosophes.
[G. d'AubarĂšde : Pourquoi ?]
- Je ne comprends rien Ă  ce qu'ils Ă©crivent.
[G. d'AubarĂšde : Cependant, on s'est demandĂ© parfois si une clĂ© de vos ouvrages ne serait pas la prĂ©occupation du problĂšme de l'ĂȘtre posĂ© par les existentialistes
]
- Il n'y a pas de clé, il n'y a pas de problÚme. Si le sujet de mes romans pouvait s'exprimer en termes philosophiques, je n'aurais pas eu de raison de les écrire.
[G. d'AubarĂšde : Et quelle raison avez-vous eue de les Ă©crire ?]
- Je n'en sais rien. Je ne suis pas un intellectuel. Je ne suis que sensibilitĂ©. J'ai conçu [Molloy]Ìęet la suite le jour oĂč j'ai pris conscience de ma bĂȘtise. Alors je me suis mis Ă  Ă©crire les choses que je sens. (p. 7)

GRAVER, Lawrence et Raymond FEDERMAN (Ă©d.),ÌęSamuel Beckett: The Critical Heritage, Boston, Routledge & Kegan Paul, 1979, 372 p.

SHENKER, Israel. « Moody Man of Letters »,ÌęNew York Times, 6 mai 1956, section II, p. x, 1 et 3.

“I didn't like living in Ireland. You know the kind of thing – theocracy, censorship of books – that kind of thing. I prefer to live abroad. In 1936, I came back to Paris and lived in a hotel for a time and then decided to settle down to make my life here.
“While my mother was alive, I went to her for a month every year. My mother died in 1950.
“I was never Joyce's secretary, but, like all his friends, I helped him. He was greatly handicapped because of his eyes. I did odd jobs for him, marking passages for him, or reading to him. But I never wrote any of his letters.
“I was in Ireland when the war broke out in 1939 and I then returned to France. I preferred France in war to Ireland in peace. I just made it in time. I was here up to 1942 and then I had to leave, so I went to the Vaucluse – because of the Germans.
“During the war I wrote my last book in English – which was “Watt.” After the war I went back to Ireland in 1945 and came back with the Irish Red Cross as interpreter and storekeeper. But I didn't stay long with the Irish Red Cross.
“In spite of having to clear out in 1942, I was able to keep my flat. I returned to it and began writing again – in French. Just felt like it. It was a different experience from writing in English. It was more exciting for me – writing in French.
“I wrote all my work very fast – between 1946 and 1950. Since then I haven't written anything. Or at least nothing that has seemed to me valid. The French work brought me to the point where I felt I was saying the same thing over and over again. For some authors writing gets easier the more they write. For me it gets more and more difficult. For me the area of possibilities gets smaller and smaller.
“I've only read Kafka in German – serious reading – except for a few things in French and English – only “The Castle” in German. I must say it was difficult to get to the end. The Kafka hero has a coherence of purpose. He's lost but he's not spiritually precarious, he's not falling to bits. My people seem to be falling to bits. Another difference. You notice how Kafka's form is classic, it goes on like a steamroller – almost serene.ÌęIt seemsÌęto be threatened the whole time – but the consternation is in the form. In my work there is consternation behind the form, not in the form.
“At the end of my work there's nothing but dust – the namable [note : selon toute probabilitĂ©, Beckett a plutĂŽt dit « theÌęunnamable »]. In the last book – “L'Innommable” – there's complete disintegration. No “I”, no “have”, no “being.” No nominative, no accusative, no verb. There's no way to go on.
“The very last thing I wrote – “Textes pour rien” – was an attempt to get out of the attitude of disintegration, but it failed.
“With Joyce the difference is that Joyce is a superb manipulator of material – perhaps the greatest. He was making words do the absolute maximum of work. There isn't a syllable that's superfluous. The kind of work I do is one in which I'm not master of my material. The more Joyce knew the more he could. He's tending toward omniscience and omnipotence as an artist. I'm working with impotence, ignorance. I don't think impotence has been exploited in the past. There seems to be a kind of esthetic axiom that expression is achievement – must be an achievement. My little exploration is that whole zone of being that has always been set aside by artists as something unusable – as something by definition incompatible with art.
I think anyone nowadays who pays the slightest attention to his own experience finds it the experience of a non-knower, a non-can-er °Ú
]. The other type of artist – the Apollonian – is absolutely foreign to me.Ìę
[Is Beckett's system the absence of a system?] “I can't see any trace of any system anywhere.”
[Did he ever treat problems such as how his characters earned their living?] “My characters have nothing,” [...].
[Why choose to write a play after writing novels?] “I didn't choose to write a play °Ú
] it just happened like that.”
[Did Godot's structure and message leave him free to lay down his pen at any moment?] “one act would have been too little and three acts would have been too much.” °Ú
]Ìę
“‘L'Innommable' °Ú
] landed me in a situation I can't extricate myself from.”
[What to do then, when you find nothing to say, continue trying?] “There are others, like Nicolas de Stael, who threw themselves out of a window – after years of struggling.” (p. 147-149)

DRIVER, Tom F. « Beckett by the Madeleine »,ÌęColumbia University Forum, IV, Ă©tĂ© 1961, p. 21-25.

'The confusion is not my invention. We cannot listen to a conversation for five minutes without being acutely aware of the confusion. It is all around us and our only chance now is to let it in. The only chance of renovation is to open our eyes and see the mess. It is not a mess you can make sense of.' (p. 218-219)

'What is more true than anything else? To swim is true, and to sink is true. One is not more true than the other. One cannot speak anymore of being, one must speak only of the mess. When Heidegger and Sartre speak of contrast between being and existence, they may be right, I don't know, but their language is too philosophical for me. I am not a philosopher. One can only speak of what is in front of him, and that now is simply the mess.' (p. 219)

°Ú
] ‘How could the mess be admitted, because it appears to be the very opposite of form and therefore destructive of the very thing that art holds itself to be?' But now we can keep it out no longer, because we have come into a time when it invades our experience at every moment. It is there and it must be allowed in.' (p. 219)Ìę

‘What I am saying does not mean that there will henceforth be no form in art. It only means that there will be a new form, and that this form will be of such a type that it admits the chaos and does not try to say that the chaos is really something else. The form and the chaos remain separate. The latter is not reduced to the former. That is why the form itself becomes a preoccupation, because it exists as a problem separate from the material it accommodates. To find a form that accommodates the mess, that is the task of the artist now.' (p. 219)

°Ú
] Isn't all art ambiguous?
‘Not this,' he said, and gestured toward the Madeleine. °Ú
] ‘Not this. This is clear. This does not allow the mystery to invade us. With classical art, all is settled. But it is different at Chartres. There is the unexplainable, and there art raises questions that it does not attempt to answer.'Ìę
I asked about the battle between life and death in his plays. °Ú
] Is this life-death question a part of the chaos?
‘Yes. If life and death did not both present themselves to us, there would be no inscrutability. If there were only darkness, all would be clear. It is because there is not only darkness but also light that our situation becomes inexplicable. Take Augustine's doctrine of grace given and grace withheld: have you pondered the dramatic qualities in this theology? Two thieves are crucified with Christ, one saved and the other damned. How can we make sense of this division? In classical drama, such problems do not arise. The destiny of Racine's Phùdre is sealed from the beginning: she will proceed into the dark. As she goes, she herself will be illuminated. At the beginning of the play she has partial illumination and at the end she has complete illumination, but there has been no question but that she moves toward the dark. That is the play. Within this notion clarity is possible, but for us who are neither Greek nor Jansenist there is not such clarity. The question would also be removed if we believed in the contrary – total salvation. But where we have both dark and light we have also the inexplicable. The key word in my plays is "perhaps".' (p. 219-220)

Given a theological lead, I asked what he thinks about those who find a religious significance in his plays.
‘Well, really there is none at all. I have no religious feelings. Once I had a religious emotion. It was at my first Communion. No more. My mother was deeply religious. So was my brother. He knelt down at his bed as long as he could kneel. My father had none. The family was Protestant, but for me it was only irksome and I let it go. My brother and mother got no value from their religion when they died. At the moment of crisis it had no more depth than an old-school tie. Irish Catholicism is not attractive, but it is deeper. When you pass a church on an Irish bus, all the hands flurry in the sign of the cross. One day the dogs of Ireland will do that too and perhaps also the pigs.'Ìę
But do the plays deal will the same facets of experience religion must also deal with?
‘Yes, for they deal with distress. Some people object to this in my writing. At a party an English intellectual – so called – asked me why I write always about distress. As if it were perverse to do so! He wanted to know if my father had beaten me or my mother had run away from home to give me an unhappy childhood. I told him no, that I had had a very happy childhood. Then he thought me more perverse than ever. I left the party as soon as possible and got into a taxi. On the glass partition between me and the driver were three signs: one asked for help for the blind, another help for orphans, and the third for relief for war refugees. One does not have to look for distress. It is screaming at you even in the taxis of London.' (p. 220-221)

GRUEN, John. « Nobel Prize Winner, 1969. Samuel Beckett talks about Beckett »,ÌęVogue, vol. 154, no 10 (1er dĂ©cembre 1969), p. 210-211.

“It is impossible for me to talk about my writing,” °Ú
]. “It is impossible because I am constantly working in the dark. It would be like an insect leaving his cocoon. I can only estimate my work from within. If my work has any meaning at all, it is due more to ignorance, inability, and an intuitive despair than to any individual strength. I think that I have perhaps freed myself from certain formal concepts. Perhaps, like the composer Schönberg or the painter Kandinsky, I have turned toward an abstract language. Unlike them, however, I have tried not to concretize the abstraction – not to give it yet another formal context.” (p. 210)

“Writing becomes not easier, but more difficult to me. Every word is like an unnecessary stain on silence and nothingness.” °Ú
] “Democritus pointed the way: ‘Naught is more than nothing.'” (p. 210)

“Well, yes, [James Joyce and I] were friends. But for years people have insisted that I was Joyce's secretary. Nothing could be further from the truth. If that were the case, then Joyce had at least twenty-five secretaries. The fact is, all his friends helped Joyce in the years his eyesight failed him. I was merely one of them. I did odd jobs for him, and I read to him. I found books that would interest him and would read passages out loud to him. I was not influenced by his work, as many people have also suggested. I can only say that Joyce had a moral effect on me – he made me realize artistic integrity.” (p. 210)

JULIET, Charles.ÌęRencontres avec Samuel Beckett, Paris, P.O.L., 1999, 71 p.

24 octobre 1968.

- [...] [Q]uand on s'écoute, ce n'est pas de la littérature qu'on entend. (p. 12)

- Il fallait rejeter tous les poisons... [C. Juliet avance que Beckett entend sans doute par ces mots la dĂ©cence intellectuelle, le savoir, les certitudes qu'on se donne, le besoin de dominer la vie] trouver le langage qui convenait... Quand j'ai Ă©crit la premiĂšre phrase deÌęMolloy, je ne savais pas oĂč j'allais. Et quand j'ai achevĂ© la premiĂšre partie, j'ignorais comment j'allais continuer. Tout est venu comme ça. Sans rature. Je n'avais rien prĂ©parĂ©. Rien Ă©laborĂ©.
[Beckett montre le manuscrit dĂ©pourvu de retouches d'En attendant GodotÌęĂ  C. Juliet]
- Ça s'organisait entre la main et la page. (19-20)

- Le travail [d'Ă©criture] antĂ©rieur interdit toute poursuite de ce travail. Bien sĂ»r, je pourrais Ă©crire des textes comme ceux de [°ŐĂȘłÙ±đČő-łŸŽÇ°ùłÙ±đČő]. Mais je ne veux pas. Je viens de mettre au panier une petite piĂšce de thĂ©Ăątre. Chaque fois, il faut qu'il y ait un pas en avant.Ìę
°Ú
]
- L'Ă©criture m'a conduit au silence.Ìę
°Ú
]Ìę
- Cependant, je dois continuer... Je suis face à une falaise et il me faut avancer. C'est impossible n'est-ce pas. Pourtant, on peut avancer. Gagner quelques misérables millimÚtres... (p. 20-21)

29 octobre 1973.

- °Ú
] [L]es valeurs morales ne sont pas accessibles. Et on ne peut pas les dĂ©finir. Pour les dĂ©finir, il faudrait prononcer un jugement de valeur, ce qui ne se peut. C'est pourquoi je n'ai jamais Ă©tĂ© d'accord avec cette notion de thĂ©Ăątre de l'absurde. Car lĂ , il y a jugement de valeur. On ne peut mĂȘme pas parler du vrai. C'est ce qui fait partie de la dĂ©tresse. Paradoxalement, c'est par la forme que l'artiste peut trouver une sorte d'issue. En donnant forme Ă  l'informe. Ce n'est peut-ĂȘtre qu'Ă  ce niveau qu'il y aurait une affirmation sous-jacente. (p. 35-36)

- [Jusqu'au moment d'un brusque chamboulement survenu en 1946], j'avais cru que je pouvais faire confiance à la connaissance. Que je devais m'équiper sur le plan intellectuel. Ce jour-là, tout s'est effondré.
°Ú
]Ìę
- J'entrevis le monde que je devais créer pour respirer. (p. 39)

- Ça n'a pas d'importance de n'ĂȘtre pas publiĂ©. On fait cela pour pouvoir respirer. (p. 43)

14 novembre 1975.

- [...] [J]usqu'en 1946, j'ai cherchĂ© Ă  savoir, afin d'ĂȘtre en mesure de pouvoir. Puis je me suis aperçu que je faisais fausse route. Mais peut-ĂȘtre n'y a-t-il que des fausses routes. Il faut pourtant trouver la mauvaise route qui vous convient. (p. 53)

[Beckett reconnaĂźt s'ĂȘtre effacĂ© de plus en plus dans ses textes.]
- À la fin, on ne sait plus qui parle. Il y a une totale disparition du sujet. C'est Ă  cela qu'aboutit la crise de l'identitĂ©. (p. 54)

11 novembre 1977.

- Dans ce sacré monde, tout nous invite à l'indignation
 Mais au niveau du travail
 Que pourrait-on dire ?... Rien n'est dicible. (p. 67)

- La négation n'est pas possible. Pas plus que l'affirmation. Il est absurde de dire que c'est absurde. C'est encore porter un jugement de valeur. On ne peut pas protester, et on ne peut pas opiner.
°Ú
]
- Il faut se tenir lĂ  oĂč il n'y a ni pronom, ni solution, ni rĂ©action, ni prise de position possibles
 C'est ce qui rend le travail si diaboliquement difficile. (p. 68)

KNOWLSON James et Elizabeth KNOWLSON (dir.).ÌęBeckett Remembering: Remembering Beckett. A Centenary Celebration, New York, Arcade Publishing, 2006, 313 p.

Samuel BeckettÌę[...]
The Bible was an important influence on my work, yes. I've always felt it's a wonderful transcript, inaccurate but wonderful. There are some wonderful hymns too. One was written by a man called Lyte. He was at Portora [Portora Royal School, Beckett's old school]. ‘Lead kindly Light amid the encircling gloom'. It was either that or ‘Abide with Me'. Wonderful. (He sings.) ‘Abide with me / Fast falls the eventide / The Darkness deepens / Lord with me abide'. (p. 17)

On His Debt to Joyce
Beckett to James KnowlsonÌęIt was Maurice Nadeau who said it was an influenceÌęab contrario. I realized that Joyce had gone as far as one could in the direction of knowing more, in control of one's material. He was alwaysÌęaddingÌęto it; you only have to look at his proofs to see that. I realised that my own way was in impoverishment, in lack of knowledge and in taking away, subtracting rather than adding. When I first met Joyce, I didn't intend to be a writer. That only came later when I found out that I was no good at all at teaching. When I found I simply couldn't teach. But I do remember speaking about Joyce's heroic achievement. I had a great admiration for him. That's what it was: epic, heroic, what he achieved. I realized that I couldn't go down that same road.
Beckett to Martin EsslinÌę[On being asked by Esslin, ‘Are you influenced by Joyce?' Beckett replied ‘Not really, except that his seriousness and dedication to his art influenced me. But', he added, ‘we are diametrically opposite because Joyce was a synthesizer, he wanted to put everything, the whole of human culture, into one or two books, and I am an analyser. I take away all the accidentals because I want to come down to the bedrock of the essentials, the archetypal. »
Beckett to Duncan ScottÌę°Ú
] ‘Joyce was a greedy writer'. (p. 47-49)

MIGNON, Paul-Louis. « Le thĂ©Ăątre de A jusqu'a Z : Samuel Beckett »,ÌęL'avant-scĂšne du thĂ©Ăątre, no 313 (15 juin 1964), p. 8.

Je n'envisageais pas une carriĂšre de dramaturge, dit-il,Ìęmais le travail de romancier est dur ; on s'avance dans le noir. Au thĂ©Ăątre, on entre dans un jeu, avec ses rĂšgles, et on ne peut pas ne pas s'y soumettre. MĂȘme si l'on semble bousculer certaines conventions. Il y a des choses que l'on ne peut pas faire, au thĂ©Ăątre, des choses que l'on ne pas faire faire aux acteurs, que l'on ne peut pas faire admettre au public !Ìę(p. 8)

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