Oscar Wilde
(1854-1900)
Dossier
Le roman selon Oscar Wilde
"I wish I could write a novel but I can't" : La vision du roman d'Oscar Wilde, par Madeleine TĂȘtu, mars 2022 |
---|
La tradition critique anglaise montre que lâĂ©volution du roman en Angleterre au XIXe siĂšcle a Ă©tĂ© grandement influencĂ©e par le romantisme et par lâĂšre victorienne, qui dĂ©bute au tournant des annĂ©es 1830. La littĂ©rature Ă©crite sous le rĂšgne de Victoria (1837-1901) est souvent perçue comme le reflet du puritanisme marquant cette Ă©poque. Ce conservatisme social sâobserve dans le dĂ©veloppement du roman (nouveau genre dominant en Angleterre depuis la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle) qui devient le lieu dâune reprĂ©sentation moralisĂ©e de lâexistence notamment grĂące au dĂ©veloppement du populaire «âmarriage plotâ» â qui construit le dĂ©nouement dâune hĂ©roĂŻne autour de la fĂ©licitĂ© trouvĂ©e dans le mariage[1]. Si la littĂ©rature des deux derniers tiers du XIXe siĂšcle ne peut Ă©videmment se rĂ©sumer Ă ce constat, celui-ci se retrouve dans la rĂ©ception de cette littĂ©rature par certains romanciers de la mĂȘme Ă©poque ou bien par les modernistes anglais du XXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ. Une des remises en question les plus violentes de la littĂ©rature anglaise du XIXe siĂšcle est celle formulĂ©e par lâesthĂšte Oscar Wilde dans les annĂ©es 1880-1890 : Ă travers ses essais, ses Ćuvres littĂ©raires et sa correspondance se construit la critique dâune stagnation des possibilitĂ©s formelles Ă lâĂšre victorienne. Bien quâil estime certains romanciers anglais (par exemple Elizabeth Barrett Browning et Georges Meredith), Wilde adopte une posture de mĂ©pris par rapport Ă la vision de la littĂ©rature du milieu artistique anglais, et sâavĂšre un plus grand lecteur de la littĂ©rature française et russe du XIXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ. Grand lecteur et critique de romans, Wilde montre aussi certaines rĂ©serves en ce qui a trait aux potentiels du genre romanesque, ce qui lâincite Ă pratiquer davantage les genres de la poĂ©sie et de lâessai. Dans lâanalyse qui suit, nous tenterons de comprendre ce que Wilde reproche plus prĂ©cisĂ©ment Ă la littĂ©rature anglaise afin de mieux cerner son rapport trouble Ă lâart romanesque. Afin dâapprofondir ses thĂ©ories esthĂ©tiques, nous commencerons par dĂ©crire (et surtout nuancer) lâopposition quâil dresse entre art et moralitĂ©, puis nous analyserons lâadmiration quâil voue Ă Flaubert dans le but de montrer lâimportance quâil accorde au dĂ©veloppement du style et Ă lâexploration de lâindividualitĂ© de lâĂ©crivain. Nous finirons notre analyse en examinant son Ă©loge du projet littĂ©raire balzacien et sa violente critique du naturalisme zolien afin de saisir sa conception de la littĂ©rature comme dâune idĂ©alisation (et non dâun reflet) de la rĂ©alitĂ©. Wilde se considĂ©rant plutĂŽt comme un poĂšte et un essayiste que comme un romancier, ses rĂ©flexions sur la littĂ©rature ne portent pas uniquement sur le roman. Nous tenterons nĂ©anmoins en retirer une dĂ©finition du roman en creux, une dĂ©finition qui se centre autour de certaines des limites que Wilde attribue au genre romanesque. Wilde, un dĂ©fenseur de la thĂ©orie esthĂ©tique de «âlâart pour lâartâ» : Selon Wilde, lâart est amoral puisquâil Ă©volue en parallĂšle de la sphĂšre morale. Il affirme mĂȘme dans son essai The Critic as Artist que la distinction entre art et moralitĂ© est au fondement du travail du critique littĂ©raire :
Cela signifie que lâart ne peut pas ĂȘtre jugĂ© Ă lâaune de valeurs morales et doit plutĂŽt ĂȘtre analysĂ© Ă la lumiĂšre de critĂšres esthĂ©tiques ou stylistiques. Câest ce que formule lâauteur du Portrait dans la prĂ©face de son unique roman Ă travers une succession de courtes phrases laissant peu de place au doute : «âThere is no such thing as a moral or an immoral book. / Books are well written, or badly written. That is all[3].â» Il nây a donc ni de rĂ©elle opposition ni de vĂ©ritable conciliation possible entre art et moralitĂ© puisquâil nâexiste pas de comparatifs entre ces deux aspects de lâexistence humaine. Ainsi la valeur dâune Ćuvre dâart ne peut-elle pas ĂȘtre dĂ©terminĂ©e Ă lâaide du critĂšre de lâutilitĂ©, et ce, malgrĂ© la nouvelle importance que celui-ci prend dans les codes moraux du XIXe siĂšcle sous lâinfluence du dĂ©veloppement de la science moderne et de lâindustrialisation. Câest du moins ce que dĂ©fend lâauteur du Portrait dans la prĂ©face de son roman, quâil conclut sur cette maxime : «âAll Art is quite useless[4].â» Wilde explique cette conception de lâart Ă plusieurs reprises dans sa correspondance Ă lâaide de la mĂ©taphore dâune fleur qui nâexiste que pour sa beautĂ© :
Contrairement Ă ce que prĂ©suppose une vision moralisatrice de lâart, celui-ci est inutile puisquâil ne possĂšde pas de vĂ©ritable influence sur les actions que les individus posent dans le monde rĂ©el. Selon la thĂ©orie esthĂ©tique de Wilde, lâart nâest pas seulement amoral, il est aussi immoral, car il utilise la reprĂ©sentation du vice ou de la corruption morale comme outil dâune part pour sâinterroger sur lâexistence humaine et dâautre part pour divertir son public. Toutes les facettes de la rĂ©alitĂ© sont en quelque sorte la matiĂšre premiĂšre Ă partir de laquelle un artiste crĂ©e, et ce, par-delĂ les considĂ©rations dâordre moral qui nous permettent de les hiĂ©rarchiser dans le monde concret. Ă la suite de la condamnation sur la scĂšne publique du Portrait en tant que roman immoral, Wilde dĂ©fend sa pratique de lâart romanesque auprĂšs de ses critiques grĂące Ă cet argument : «âVirtue and wickedness are to him [the artist] simply what the colours on his palette are to the painter. They are no more, and they are no less[6].â» Dans cette optique, la littĂ©rature peut mettre en scĂšne des personnages vicieux, des actions Ă la portĂ©e morale douteuse, ou mĂȘme des crimes Ă des fins narratives, philosophiques ou esthĂ©tiques. Une Ćuvre littĂ©raire ne cherche pas Ă reprĂ©senter une rĂ©alitĂ© idĂ©alisĂ©e oĂč les protagonistes sont chĂątiĂ©s pour leurs fautes morales ou rĂ©compensĂ©es pour leurs vertus : Lord Henry nâest pas puni ou encore moins tourmentĂ© aprĂšs avoir corrompu le jeune Dorian dans le Portrait, et la piĂšce The Importance of Being Earnest se termine sur le mariage heureux des deux principaux protagonistes, qui brillent plus par leur frivolitĂ© que par leur honnĂȘtetĂ©. Dans lâoptique oĂč la littĂ©rature doit dĂ©peindre toutes les facettes de lâexistence, elle doit sâintĂ©resser autant aux parties lumineuses quâaux recoins plus sombres de notre humanitĂ©. Câest ce que suggĂšre cette remarque se retrouvant dans les rĂ©flexions critiques de Wilde : «âOn tue une littĂ©rature quand on lui interdit la vĂ©ritĂ© humaine. It may be questioned, also, whether the consistent reward of virtue and punishment of vice be really the healthiest ideal for an art that claims to mirror nature[7].â» LâĂ©crivain cherchant Ă offrir Ă son auditoire un reflet de la rĂ©alitĂ©, il ne peut donc pas ignorer une partie des observations du monde rĂ©el Ă partir desquelles il crĂ©e â des observations qui rĂ©sistent Ă une lecture manichĂ©enne du monde. Ainsi la conservation des conventions morales dâune Ă©poque sâaccommode-t-elle difficilement des diffĂ©rents points de vue sur la condition humaine que recĂšle une Ćuvre dâart. Wilde croit pourtant que la richesse du travail artistique tient aux ambiguĂŻtĂ©s qui demeurent entre les diffĂ©rentes interprĂ©tations possibles dâune crĂ©ation artistique. Celles-ci sont presque infinies aux dires de lâauteur de lâessai The Critic as Artist, qui affirme ceci au sujet du vĂ©ritable critique :
La beautĂ© artistique Ă©tant nĂ©cessairement perçue Ă lâaune dâune expĂ©rience subjective (nous y reviendrons), elle donne lieu Ă autant dâinterprĂ©tations quâil existe de lecteurs. De plus, la juxtaposition de diffĂ©rents points de vue au sein dâun roman incite un mĂȘme lecteur Ă garder en tĂȘte une pluralitĂ© dâimpressions de lecture plus ou moins conciliables. Par sa capacitĂ© Ă intĂ©grer une multitude dâexpĂ©riences humaines Ă sa crĂ©ation, lâartiste mĂšne le lecteur Ă remettre en question la validitĂ© de certains prĂ©ceptes moraux, voire Ă se buter Ă une part de mystĂšre ou dâinsaisissable se trouvant au cĆur de son existence. En ce sens, la tentative de dresser un portrait nuancĂ© et complexe Ă lâorigine de tout travail artistique peut ĂȘtre perçue comme immorale du fait quâelle sâoppose aux systĂšmes moraux prĂ©Ă©tablis. Soulignons nĂ©anmoins une des distinctions prĂ©sentes entre les positions tranchĂ©es que Wilde revendique Ă travers ses maximes et certaines rĂ©flexions prĂ©sentes dans ses essais. Ainsi pourrions-nous par moments constater au sujet de Wilde ce que Basil remarque au sujet de Lord Henry dans le Portrait : «âYou never say a moral thing, and you never do a wrong thing. Your cynicism is simply a pose[9].â» Selon la conception de lâesthĂ©tisme thĂ©orisĂ©e par Wilde, une Ćuvre dâart ne peut pas ĂȘtre le reflet des conventions morales dâune Ă©poque, mais cela ne veut pas pour autant dire quâaucun sentiment moral (au sens de bontĂ© ou de vertu) ne peut se dĂ©gager de la beautĂ© artistique. Selon Wilde, câest ce que font notamment les romans de TolstoĂŻ en suscitant une vive compassion chez le lecteur, qui porte un jugement moins sĂ©vĂšre sur les actions des personnages lorsquâil est placĂ© devant les tourments quâils subissent Ă cause de leurs fautes morales. Dans son essai The House Beautiful, Wilde affirme mĂȘme quâil faut initier les enfants Ă la bontĂ© Ă travers lâexpĂ©rience de la beautĂ©, notamment de la beautĂ© du dĂ©cor de la maison oĂč ils sont Ă©levĂ©s. Il constate dans ce mĂȘme essai que le dĂ©veloppement dâune sensibilitĂ© esthĂ©tique est dâautant plus important dans une sociĂ©tĂ© tournĂ©e vers lâefficacitĂ© et lâutilitĂ© : «âToday more than ever the artist and love of beautiful are needed to temper and counteract the sordid materialism of the age[10].â» Si Wilde soutient que lâart ne devrait pas chercher Ă enfermer la pensĂ©e de son lecteur dans une conception morale figĂ©e, il montre que lâart peut rendre un individu meilleur en le rendant sensible Ă lâexpĂ©rience de la compassion et de la bontĂ©. Toutefois, cette rĂ©conciliation de lâart et de la moralitĂ© ne coĂŻncide pas entiĂšrement avec ce que revendique Wilde dans ses essais puisquâil montre aussi lâimmoralitĂ© comme le vecteur dâun plaisir artistique. Selon Wilde, la littĂ©rature se nourrit aussi dâexpĂ©riences humaines plus sombres pour des raisons de lâordre du divertissement : elle met aussi en scĂšne des personnages ayant un rapport trouble Ă la vertu afin de capter lâattention de son lecteur. Lors du scandale engendrĂ© par la publication du Portrait, Wilde se dĂ©fend dâavoir construit son intrigue autour de la corruption morale de ses personnages en affirmant :
La trajectoire dâun personnage tentĂ© par le mal a le potentiel de divertir, de sĂ©duire ou mĂȘme de fasciner le lecteur. Ces personnages nourrissent davantage son imagination en le forçant Ă rompre avec une expĂ©rience de lâordre de lâhabitude ou de la coutume afin de le plonger dans un univers inconnu. Et peut-ĂȘtre que cette facette de lâimmoralitĂ© artistique nâest-elle pas fondamentalement incohĂ©rente avec lâidĂ©e dâune sensibilitĂ© morale dĂ©veloppĂ©e par lâart. Dans lâoptique oĂč, comme le constate Wilde, une Ćuvre littĂ©raire invite Ă une pluralitĂ© dâinterprĂ©tation, elle peut Ă la fois susciter la compassion du lecteur et le faire rire grĂące au cynisme de Lord Henry â sans que cela implique que le lecteur imite la conduite de ce personnage dans le monde rĂ©el. Wilde perçoit le puritanisme de son Ă©poque comme un obstacle au plaisir ou Ă la joie qui accompagne lâapprĂ©ciation dâune Ćuvre dâart, ce qui constitue pourtant lâun des principaux buts de celle-ci. Si nous avons vu que Wilde attribue de multiples objectifs Ă lâactivitĂ© artistique, lâauteur du Portrait insiste particuliĂšrement sur ce dernier objectif lorsquâil dit : «âThe aim of all art is simply to make life more joyous[12]â». La tentative de rĂ©flexion sur le monde rĂ©el quâincarne la littĂ©rature ainsi que lâexpĂ©rience plaisante quâelle propose sont en fait interreliĂ©es : ce sont souvent des ressorts comiques qui multiplient les interprĂ©tations possibles dâune Ćuvre, suscitant ainsi des rĂ©flexions chez le lecteur. Les outils formels employĂ©s par Wilde qui divertissent son lecteur â pensons Ă son ironie mordante, son ton provocateur, son recours frĂ©quent au dialogue et aux paradoxes â sont aussi ceux qui invitent Ă une lecture rigoureuse de son Ćuvre. Dans cette optique, la conception de lâart de Wilde se fonde sur ce paradoxe : «âArt is the only serious thing in the world. And the artist is the only person who is never serious[13].â» La vision de lâart en tant que mode de connaissance passant par le divertissement ne peut donc pas ĂȘtre rĂ©conciliĂ©e aux considĂ©rations Ă©thiques de nombreux romanciers contemporains de Wilde. Le traitement de la moralitĂ© dans les Ă©crits de Wilde comme nuance de sa thĂ©orie esthĂ©tique : Wilde rĂ©ussit-il vĂ©ritablement Ă mettre en Ćuvre cette atmosphĂšre comique renfermant des rĂ©flexions sĂ©rieuses dans ses Ă©crits littĂ©rairesâ? Nous pouvons remarquer une distance entre ses thĂ©ories esthĂ©tiques et son traitement de la moralitĂ© dans certaines de ses piĂšces de thĂ©Ăątre et son roman. Un exemple notable est sa piĂšce de thĂ©Ăątre A Woman of No Importance, qui raconte le conflit intĂ©rieur de Mrs. Arbuthnot lorsquâelle revoit le pĂšre de son fils. Celui-ci lui propose de ne pas dĂ©voiler sa vĂ©ritable identitĂ© Ă son fils (qui ne sait pas quâil est issu dâune liaison illĂ©gitime) mais de lâengager comme secrĂ©taire afin de lui permettre dâaccomplir ses ambitions professionnelles. PlutĂŽt que de dĂ©noncer lâimmoralitĂ© de la conduite de Mrs. Abuthnot â dont la liaison avec Lord Illingworth reprĂ©sente une faute impardonnable aux yeux de la sociĂ©tĂ© anglaise du XIXe siĂšcle â la piĂšce met en scĂšne les malheurs de cette femme et les montrent comme disproportionnĂ©s par rapport Ă sa faute. La situation dĂ©sespĂ©rĂ©e de Mrs. Abuthnot et lâabsence de remords chez Lord Illingworth (qui avait pourtant promis Ă Mrs. Abuthnot de la marier avant de disparaĂźtre) incitent lâauditoire Ă prendre le parti de la femme trompĂ©e. Lâintrigue de cette piĂšce cherchant Ă susciter un Ă©lan de compassion chez lâauditoire, sa visĂ©e morale semble assez claire : remettre en question la condamnation des femmes ayant eu des relations amoureuses Ă lâextĂ©rieur de lâinstitution matrimoniale par la sociĂ©tĂ© victorienne. Dans cette optique, nous pouvons voir cette piĂšce (tout comme dâautres piĂšces du corpus de Wilde) comme une tentative de faire dans le thĂ©Ăątre ce quâun romancier comme TolstoĂŻ fait dans le roman. Cependant, cette critique de la sociĂ©tĂ© anglaise sâeffectue ici au dĂ©triment du dĂ©veloppement de la complexitĂ© psychologique des personnages ou de la mise en scĂšne de pĂ©ripĂ©ties divertissantes. Elle laisse peu de place aux nuances ou aux ambiguĂŻtĂ©s empĂȘchant une Ćuvre littĂ©raire dâĂȘtre enfermĂ©e dans une seule interprĂ©tation. Aussi lâanalyse de cette piĂšce met-elle en lumiĂšre une distance entre les rĂ©flexions thĂ©oriques de Wilde et sa pratique de lâĂ©criture, ou plus prĂ©cisĂ©ment la difficultĂ© quâil Ă©prouve Ă intĂ©grer un propos moral Ă ses crĂ©ations narratives. En effet, la conception de lâart littĂ©raire proposĂ©e dans la prĂ©face du Portrait ne colle pas exactement avec la littĂ©rature telle quâelle est pratiquĂ©e dans ce roman. Câest une difficultĂ© que Wilde constate lui-mĂȘme lors de la publication du Portrait : «âI cannot understand how they can treat Dorian Gray as immoral. My difficulty was to keep the inherent moral subordinate to the artistic and the dramatic effect, and it still seems to me that the moral is too obvious[14].â» Aux yeux de Wilde, son roman illustre en effet les consĂ©quences dĂ©sastreuses de la dĂ©mesure humaine. En effet, Dorian commet le meurtre de Basil (qui est ainsi puni pour la fascination artistique quâil Ă©prouvait pour Dorian) et finit par se suicider, payant ainsi le prix pour la dĂ©cadence morale oĂč lâont menĂ© sa jeunesse et sa beautĂ©. Remarquons que cette morale est donnĂ©e au lecteur dĂšs le premier chapitre du Portrait Ă travers les inquiĂ©tudes que Basil partage Ă Lord Henry. Wilde affirme que la mise en place de ce systĂšme moral reprĂ©sente une erreur artistique. En ce sens, la thĂ©orie esthĂ©tique mais aussi la dĂ©marche dâĂ©criture de Wilde rĂ©vĂšlent une tension entre ce que le romancier nomme «âPoetry and Paradoxâ» (ou ce que nous pourrions renommer goĂ»t esthĂ©tique et rĂ©flexions porteuses dâambiguĂŻtĂ©s) et la reprĂ©sentation dâun systĂšme (ou simplement dâune idĂ©e) Ă©thique. Le traitement de la moralitĂ© chez Wilde suggĂšre que, du moment quâun auteur cherche consciemment Ă Ă©duquer son lecteur, il lui est difficile de ne pas construire la narration de son rĂ©cit autour de certaines valeurs qui rĂ©sistent Ă lâinterprĂ©tation ouverte que devrait ĂȘtre celle dâun roman. Lâexemple de Flaubert : la littĂ©rature comme lieu dâune recherche stylistique. La richesse de lâexploration stylistique est aux yeux de Wilde le critĂšre le plus important pour juger de la valeur dâune Ćuvre dâart. Dans cette optique, il nâest pas si Ă©tonnant que cet esthĂšte se soit davantage intĂ©ressĂ© au genre de la poĂ©sie, qui se centre autour dâune recherche esthĂ©tique, quâau roman â oĂč la multiplication des intrigues et lâapprofondissement de la psychologie des personnages peuvent se faire au dĂ©triment de lâharmonie littĂ©raire dâune Ćuvre. Wilde est dâailleurs en premier lieu un poĂšte. Comme le constate la critique Florina Tufescu, le parcours littĂ©raire de Wilde est encadrĂ© par son activitĂ© comme poĂšte : il entre dans le monde littĂ©raire grĂące Ă la publication dâun recueil de poĂšmes en 1881, et tente sans succĂšs de rĂ©habiliter sa crĂ©dibilitĂ© Ă la suite de son emprisonnement en publiant The Ballad of Reading Gaol en 1898, peu de temps avant sa mort[15]. Wilde admire dâune part la recherche stylistique minutieuse des poĂštes du XIXe siĂšcle («âmaster [s] of colour and formâ») et affirme dans son essai The English Renaissance of Art :
En dâautres termes, Wilde prĂ©fĂšre la musicalitĂ© des jeux stylistiques de la poĂ©sie aux systĂšmes de lâĂ©rudition, lâunivers de rĂȘve et dâimagination que crĂ©e le poĂšte Ă celui de la raison, la quĂȘte du voyant Ă celle du savant. La conception de la poĂ©sie de Wilde sâinscrit donc dans la lignĂ©e de celle des poĂštes romantiques français â qui Ă©rigent le poĂšte en mage ayant accĂšs aux secrets de la nature et de lâart â et concorde dans une certaine mesure avec celle de la sociĂ©tĂ© victorienne, oĂč la poĂ©sie demeure un genre trĂšs pratiquĂ© malgrĂ© la montĂ©e en popularitĂ© du roman[17]. Si Wilde prĂ©sente le poĂšte comme un contemplateur de la beautĂ©, il ne nie pas le potentiel esthĂ©tique du roman et du thĂ©Ăątre, car il affirme quâune Ćuvre littĂ©raire peut avoir un caractĂšre poĂ©tique mĂȘme si elle ne prend pas la forme dâun poĂšme. Aussi Ă©crit-il Ă MallarmĂ© : «âla prose française et la poĂ©sie dans les mains dâun maĂźtre tel que vous deviennent une et la mĂȘme chose[18]â» et qualifie-t-il certains passages du roman Crime et chĂątiment de «âbeaux poĂšmes en prose[19]â». Non seulement Wilde souligne lâinfluence de la poĂ©sie sur les autres genres dans le travail de ses contemporains, mais il mĂšne lui-mĂȘme une recherche stylistique Ă travers ses textes narratifs. Câest ce que la critique Florence Tufescu remarque au sujet de la piĂšce ł§Čč±ôŽÇłŸĂ©, qui recĂšle une exploration approfondie des symboles littĂ©raires. Ceux-ci sont dâailleurs omniprĂ©sents dans le Portrait, qui offre par moments au lecteur une expĂ©rience presque sensorielle comme en tĂ©moigne la description sur laquelle sâouvre le roman :
Quoique la vision de la littĂ©rature de Wilde valorise davantage le poĂ©tique que le romanesque, elle nuance cette position en montrant quâun roman peut ĂȘtre plus poĂ©tique quâun poĂšme. Il semble nĂ©anmoins cohĂ©rent que les poĂštes romantiques et symbolistes (notamment Wordsworth, Baudelaire et surtout MallarmĂ©) soient en tĂȘte de file des modĂšles littĂ©raires de Wilde. Le poĂšte qui incarne lâartiste le plus pure aux yeux de Wilde est le poĂšte Keats, qui, grĂące Ă sa grande sensibilitĂ© artistique, ouvre Ă son lecteur la porte du royaume de lâimagination. Sâil est Ă©tonnant que Wilde attribue ce titre Ă un poĂšte anglais, il est dâautant plus surprenant quâil donne le mĂȘme titre au romancier Flaubert. «âThe sinless master whom mortals call Flaubert[21]â» incarne le maĂźtre artistique de Wilde, qui a travaillĂ© sur une traduction de la Tentation de Saint-Antoine. Dans sa correspondance, Wilde montre la possibilitĂ© dâĂ©galer ou peut-ĂȘtre mĂȘme de surpasser Flaubert comme lâaccomplissement suprĂȘme auquel il aspire : «âYes! Flaubert is my master, and when I get on with my translation of the Tentation I shall be Flaubert II, Roi par grĂące de Dieu, and I hope something else beyond[22].â» Il est intĂ©ressant de noter que Wilde rĂ©fĂšre Ă Flaubert Ă de nombreuses reprises en tant quâ«âartisteâ» plutĂŽt quâen tant que gĂ©nie (titre quâil attribue plutĂŽt Ă Balzac) ou surtout de romancier. Lâabsence de ce terme dans ses multiples Ă©loges de deux des romanciers français les plus marquants du XIXe siĂšcle atteste dâune certaine distance que Wilde choisit de conserver par rapport au genre romanesque. Lâemploi du terme plus gĂ©nĂ©ral dâartiste met aussi lâaccent sur la recherche stylistique de Flaubert, et sous-entend que la sensibilitĂ© esthĂ©tique de ce romancier dĂ©passe lâart romanesque voire le champ de la littĂ©rature. Autrement dit, la pratique du roman de lâauteur de Madame Bovary tĂ©moigne, aux yeux de Wilde, dâune sensibilitĂ© Ă la beautĂ© qui peut aussi se retrouver dans la musique, les arts visuels et mĂȘme les arts dĂ©coratifs. Ainsi Wilde croit-il peut-ĂȘtre surpasser Flaubert en faisant de lâesthĂ©tisme autant une vision du monde quâun mode de vie : ce que Wilde nomme son tempĂ©rament artistique passe Ă la fois par sa dĂ©marche dâĂ©criture et par sa coquetterie vestimentaire ou encore son goĂ»t pour la dĂ©coration intĂ©rieure. En tĂ©moigne notamment la valeur artistique quâil attribue aux meubles quâil acquiert Ă la suite de son mariage : «âEach chair is a sonnet in ivory, and the table is a masterpiece in pearl[23].â» Par consĂ©quent, lâadmiration que Wilde montre Ă lâĂ©gard de Flaubert illustre la recherche stylistique quâil place au cĆur de toute entreprise littĂ©raire â et qui, comme nous le verrons plus loin, lâincite Ă se dĂ©tourner de lâart romanesque. Aux yeux de Wilde, Flaubert incarne donc lâartiste par excellence puisquâil explore son individualitĂ© Ă travers la crĂ©ation dâun style qui lui est propre, une rĂ©ussite quâil considĂšre comme le sommet de lâexpĂ©rience artistique. Dans son essai The Soul of Man Under Socialism (oĂč il se positionne en faveur du perfectionnement de lâindividu qui serait possible grĂące Ă la mĂ©canisation des emplois aliĂ©nants) Wilde affirme que ce «âsupreme artistâ» «âhas been able to isolate himself, to keep himself out of the reach of the clamorous claims of others [...] to realise the perfection of what was in him, to his incomparable gain, and to the incomparable and lasting gain of the whole world[24].â» Selon Wilde, lâartiste est celui qui rĂ©ussit Ă se libĂ©rer du dĂ©sir de plaire Ă son auditoire par le recyclage des conventions formelles de son Ă©poque afin de crĂ©er son propre style. Wilde explique plus longuement ce quâil attend dâune Ćuvre littĂ©raire lorsquâil affirme dans son essai The English Renaissance of Art :
Afin de marquer lâesprit de son lecteur (et possiblement de marquer lâhistoire de la littĂ©rature), un Ă©crivain doit crĂ©er Ă partir dâune recherche esthĂ©tique subjective, ou voir lâart comme une occasion dâexploration de lâintĂ©rioritĂ© de lâindividu. Ainsi un mĂȘme lecteur peut-il apprĂ©cier des Ćuvres trĂšs diffĂ©rentes les unes des autres du moment que les diffĂ©rents auteurs de celles-ci utilisent la littĂ©rature comme moyen de dĂ©couvrir leur individualitĂ©. Câest dâailleurs ce critĂšre de lâoriginalitĂ© qui peut expliquer les goĂ»ts littĂ©raires variĂ©s de Wilde â qui admire Ă la fois Shakespeare, Balzac, Flaubert, DostoĂŻevski ainsi que de nombreux poĂštes et romanciers qui lui sont contemporains. Un roman ou un poĂšme est donc par essence une Ćuvre unique puisquâelle se veut une exploration du tempĂ©rament dâun artiste plutĂŽt que le reflet dâune Ă©poque[26]. Cette crĂ©ation peut reprendre certains mythes ou archĂ©types littĂ©raires â pensons aux parallĂšles possibles entre la relation du jeune Dorian et du peintre Basil et celle dâAlcibiade et de Socrate, ou encore la reprise du motif religieux de la tentation de Saint-Antoine par Flaubert â mais doit absolument les prĂ©senter dans une forme nouvelle. Un artiste ne peut exprimer son tempĂ©rament quâĂ lâaide un style qui lui est propre, et par consĂ©quent qui se distingue de celui de ses prĂ©dĂ©cesseurs. Aussi existe-t-il une tension entre le caractĂšre novateur de la dĂ©marche artistique dâun artiste et les attentes de son auditoire, qui souhaite retrouver dans lâart les codes littĂ©raires quâil connaĂźt. Cependant, lâexaltation de lâintĂ©rioritĂ© de lâartiste Ă travers une Ćuvre littĂ©raire peut aussi sâavĂ©rer lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur dâune expĂ©rience subjective de la beautĂ© chez le lecteur. Wilde le formule ainsi dans sa correspondance : «âIt is the spectator, and not life, that art really mirrors[27].â» CrĂ©ation originale de lâĂ©crivain, un roman ou un poĂšme devient le miroir de lâindividualitĂ© du lecteur en permettant une expĂ©rience subjective et en partie incommunicable[28]. Câest ce que Wilde propose lorsquâil justifie sa dĂ©cision de se dĂ©tourner dâune dĂ©finition de la beautĂ© universelle dans son essai The English Renaissance of Art :
Lâunique roman de Wilde exemplifie cette double expĂ©rience subjective de maniĂšre plus concrĂšte puisque le peintre Basil et le jeune Dorian voient tous deux le portrait que Basil a fait de Dorian comme le reflet de leur Ăąme. Wilde fait du rapport de Basil et de Dorian au portrait le nĆud de son intrigue : le tableau symbolise la fascination de Basil pour le jeune Dorian, et incarne ce que Basil nomme lâoccasion de se rĂ©vĂ©ler lui-mĂȘme. La rĂ©ussite de ce projet artististe solde ironiquement lâĂ©chec de la carriĂšre artistique du peintre, qui choisit de ne pas exposer son seul chef dâĆuvre, terrifiĂ© Ă lâidĂ©e de dĂ©voiler des secrets quâil se cache mĂȘme Ă lui-mĂȘme. De surcroĂźt, son portrait dĂ©voile Ă Dorian le pouvoir de sa beautĂ© et de sa jeunesse, mettant la table Ă sa corruption morale par Lord Henry. Prisonnier dâun sortilĂšge, le portrait se mĂ©tamorphose sous lâinfluence des annĂ©es qui sâĂ©coulent et des crimes que commet Dorian tandis que celui-ci conserve les traits de sa bontĂ© et de sa jeunesse. En tant que rappel des sombres secrets du personnage, le portrait en vient Ă incarner une image plus fidĂšle du tempĂ©rament de Dorian que Dorian lui-mĂȘme. Câest sans doute ce qui explique que Dorian se suicide au moment oĂč il allait dĂ©truire le tableau avec un couteau : seule sa mort physique peut tuer la part de son Ăąme que renferme le portrait. Cette vision de la littĂ©rature comme moyen de dĂ©couverte de lâintĂ©rioritĂ© nous ramĂšne au caractĂšre immoral que Wilde attribue Ă lâart : la recherche subjective de lâartiste ne se rĂ©concilie pas plus Ă des considĂ©rations morales que sa quĂȘte esthĂ©tique ou son dĂ©sir de dĂ©peindre une pluralitĂ© dâexpĂ©riences humaines. La vision de la littĂ©rature de Wilde comme «âPhilosophie de lâIrrĂ©alitĂ©[30]â» Toutefois, cette exaltation de lâintĂ©rioritĂ© ne nĂ©cessite pas quâune Ćuvre littĂ©raire prenne la forme dâun rĂ©cit autobiographique. Au contraire, un auteur peut acquĂ©rir une meilleure connaissance de lui-mĂȘme en crĂ©ant des personnages vivant des dĂ©chirements intĂ©rieurs qui lui sont Ă©trangers. Ainsi Wilde voit-il comme une erreur de croire quâil faut ĂȘtre mĂ©lancolique pour mettre en scĂšne les tourments de Hamlet, ou encore fou pour reprĂ©senter le Roi Lear dans une tempĂȘte[31]. La comprĂ©hension de tels personnages ne nĂ©cessite pas lâenquĂȘte sociologique ou psychologique menĂ©e par plusieurs romanciers influencĂ©s par le mouvement littĂ©raire du rĂ©alisme. Dans cette ligne dâidĂ©es, les essais de Wilde comportent Ă la fois une violente critique du rĂ©alisme en tant que mouvement littĂ©raire et une admiration pour les Ă©crivains (et surtout les romanciers) qui rĂ©ussissent Ă dĂ©peindre une multitude de diffĂ©rentes rĂ©alitĂ©s. Commençons par noter que Wilde sâoppose vivement Ă la mĂ©thode de ses contemporains qui souhaitent faire dâune Ćuvre dâart le reflet de la rĂ©alitĂ©. Il dĂ©nonce donc la dĂ©marche prĂŽnĂ©e par le rĂ©alisme et le naturalisme, soit une enquĂȘte menant Ă la «âdissectionâ» de certaines rĂ©alitĂ©s sociales. Câest du moins lâinterprĂ©tation pĂ©jorative que Wilde effectue de ce courant littĂ©raire :
Lâessai qui dĂ©veloppe ces rĂ©flexions (The Decay of Lying) prend justement la forme dâun dialogue oĂč le personnage de Vivian se dĂ©sole du bannissement du mensonge dans le contexte de certains Ă©vĂ©nements mondains, mais surtout dans le domaine des arts. En tant que lieu de la fiction, le roman est le lieu du mensonge, ou ce que Wilde nomme «âthe telling of beautiful untrue thingsâ» câest-Ă -dire «âle rĂ©cit de belles choses fausses[33]â». Si lâart romanesque a pour matiĂšre premiĂšre la rĂ©alitĂ©, il nâen demeure pas moins quâil redore cette rĂ©alitĂ© afin dâen faire une Ćuvre dâart. Câest pourquoi Wilde a recours Ă la mĂ©taphore du cristal plutĂŽt que du miroir pour rĂ©flĂ©chir aux effets de la littĂ©rature dans sa correspondance : «âA mirror will give one oneâs own sorrow. But Art is not a mirror, but a crystal. It creates its own shapes and forms[34].â» Autrement dit, la vision de la rĂ©alitĂ© proposĂ©e par la littĂ©rature se rĂ©fracte Ă travers le prisme de la subjectivitĂ© de lâĂ©crivain. Dans son essai The Decay of Lying, Wilde utilise Ă©galement lâimage du voile pour imager lâaltĂ©ration de la rĂ©alitĂ© qui se fait Ă travers le prisme de lâart :
Aux yeux de Wilde, la dĂ©marche rĂ©aliste fait fausse route lorsquâelle nie lâexistence de la tension entre idĂ©alisation du rĂ©el et reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© au cĆur de tout travail littĂ©raire. Câest par lâentremise du rĂȘve que cet art mĂšne le lecteur Ă rĂ©flĂ©chir au monde rĂ©el, certes, mais aussi Ă sâĂ©chapper un instant dâun monde qui, aux yeux de Wilde, est parfois insupportable. Mentionnons au passage que les romanciers les plus accomplis (et plus particuliĂšrement Balzac, un exemple auquel nous reviendrons sous peu) rĂ©ussissent Ă rendre leur univers narratif crĂ©dible â câest-Ă -dire Ă convaincre leur lecteur (le temps de sa lecture) que ce monde est plus rĂ©el que sa propre rĂ©alitĂ©. Wilde note Ă ce sujet que câest le pouvoir suprĂȘme de la fiction :
Ainsi cet ensorcĂšlement artistique permet-il au romancier de dĂ©roger davantage dâune reprĂ©sentation fidĂšle de la rĂ©alitĂ© que ce que rend possible le rĂ©alisme. Wilde ne voit pas de problĂšme Ă ce quâun chef dâĆuvre romanesque tomber dans ce qui est de lâordre du merveilleux, de lâĂ©trangetĂ© ou de lâĂ©tonnement. Pour ce faire, le romancier peut notamment situer son intrigue dans une autre Ă©poque (comme lâAntiquitĂ©) ou dans une autre culture (par exemple celle de lâOrient). Il peut aussi laisser planer une aura de mystĂšre sur certains aspects de son intrigue â rappelons que le lecteur nâapprend jamais quel est le mystĂ©rieux livre que Lord Henry prĂȘte Ă Dorian et qui empoisonne son Ăąme â ou faire tomber son rĂ©cit dans le fantastique (pensons seulement Ă la mĂ©tamorphose du portrait de Dorian Ă travers le temps). PlutĂŽt que de chercher Ă se faire le reflet de la rĂ©alitĂ©, lâĆuvre littĂ©raire doit, Ă lâimage de la piĂšce musicale, conserver une aura de mystĂšre. Comme il affirme lui-mĂȘme, Wilde prend position pour une vision de la littĂ©rature (et surtout du roman) plus prĂšs des idĂ©es du romantisme que de celle du rĂ©alisme. Lâexemple de la ComĂ©die Humaine et des Rougon-Macquart : Wilde illustre ce rapport quâil dresse entre art et rĂ©alitĂ© grĂące Ă son Ă©loge de la ComĂ©die humaine et de sa vive critique du naturalisme zolien. Lâauteur du Portrait considĂšre lâĆuvre balzacienne comme plus grand monument littĂ©raire du XIXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ. Balzac incarne le vĂ©ritable gĂ©nie de son siĂšcle puisquâil rĂ©ussit Ă dĂ©peindre un nombre impressionnant dâexpĂ©riences humaines, ce qui fait de sa ComĂ©die humaine le plus grand «âmagazine de documents sur lâĂȘtre humainâ» aprĂšs les piĂšces de Shakespeare. Wilde sâenthousiasme devant cette panoplie de possibles Ă©parpillĂ©e Ă travers lâĆuvre de Balzac : «âAnd what a world it is! What a panorama of passions! What a pell-mell of men and women![37]â» Il compare mĂȘme le projet de la ComĂ©die humaine Ă celui menĂ© par Buffon en sciences naturelles, sous-entendant ainsi quâil admire le dĂ©sir dâexhaustivitĂ© ou la visĂ©e encyclopĂ©dique au centre de la dĂ©marche de Balzac. Aux yeux de Wilde, la dĂ©marche balzacienne ne se rĂ©duit pas Ă rĂ©pertorier des faits, car elle passe par un travail dâobservation qui permet au romancier de transformer les «âfaitsâ» en «âvĂ©ritĂ©sâ» puis en la «âVĂ©ritĂ©â». Balzac rĂ©ussit Ă concilier une mĂ©thode scientifique Ă un travail artistique : il atteint une connaissance approfondie de lâĂȘtre humain en interprĂ©tant des faits propres Ă la rĂ©alitĂ© de sa sociĂ©tĂ© Ă lâaune de sa subjectivitĂ© artistique. Wilde ne voit donc pas lâart romanesque de Balzac comme une tentative de reproduire la rĂ©alitĂ©, mais plutĂŽt comme la crĂ©ation dâun monde narratif Ă partir dâune fine observation du rĂ©el. Comme mentionnĂ© plus tĂŽt, il faut nĂ©anmoins que cet univers imaginaire rappelle suffisamment la rĂ©alitĂ© pour quâun romancier puisse convaincre le lecteur que les personnages quâil lui prĂ©sente existent. Câest un effet que Balzac rĂ©ussit particuliĂšrement bien Ă reproduire selon Wilde, qui considĂšre que la lecture de la ComĂ©die humaine permet au lecteur de croire que les personnages balzaciens sont plus rĂ©els que les personnes quâil cĂŽtoie au quotidien. Le monde que nous propose Balzac nâen demeure pas moins une illusion, câest-Ă -dire un univers oĂč sont embellis certains aspects de la rĂ©alitĂ©. Câest ce qui donne Ă ses romans une vitalitĂ© ou un intĂ©rĂȘt qui dĂ©passe celui du monde rĂ©el, comme en tĂ©moigne cette description de Wilde :
Balzac rĂ©ussit Ă concilier illusion littĂ©raire et observation de la rĂ©alitĂ© de maniĂšre Ă crĂ©er ce que Wilde nomme «âimaginative realityâ», ce qui signifie quâil ne considĂšre pas les Ćuvres de Balzac comme faisant partie du mouvement rĂ©aliste. Notons que si Wilde Ă©rige la pratique balzacienne de lâart romanesque en modĂšle, il constate un rapport similaire Ă la rĂ©alitĂ© chez dâautres romanciers, et plus particuliĂšrement chez les trois romanciers russes TolstoĂŻ, DostoĂŻevski et Tourgueniev ainsi que chez Meredith, un romancier anglais. Wilde porte toutefois un jugement plus sĂ©vĂšre sur ce quâil nomme «âthe unimaginative realityâ» quâincarne le naturalisme de Zola. Wilde accuse Zola de ne pas interprĂ©ter les diffĂ©rentes rĂ©alitĂ©s socioĂ©conomiques quâil prĂ©sente Ă travers le prisme de lâimagination. Aux yeux de Wilde, la «âformule scientifiqueâ» prĂ©conisĂ©e par Zola le mĂšne Ă suivre la tendance «âmonstrueuseâ» quâest celle de porter un «âculteâ» des «âfaitsâ» et qui prend de lâampleur au XIXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ. Wilde considĂšre donc que, contrairement aux personnages de Balzac, ceux de Zola sont dâun ennui mortel puisque leur trajectoire narrative copie le dĂ©roulement de la rĂ©alitĂ© des Français ayant vĂ©cu Ă lâĂ©poque du Second Empire. Câest du moins ce que Wilde affirme dans son essai The Decay of Lying :
MĂȘme en prenant en considĂ©ration les thĂ©ories esthĂ©tiques de Wilde, il paraĂźt discutable de considĂ©rer que le dĂ©nouement heureux de lâhistoire dâamour entre Mouret et Denise Ă la suite de lâapothĂ©ose de la vente de blanc dans Au bonheur des dames, ou encore les jeux de sĂ©duction menĂ©s par Nana (qui la mĂšnent Ă une fin tragique) sont trop ennuyeux pour susciter un plaisir littĂ©raire Ă la hauteur de ce que proposent des romanciers comme Balzac ou TolstoĂŻ. Il nâen demeure pas moins que Zola commet une faute impardonnable aux yeux de Wilde, une faute quâil partage avec de nombreux romanciers du XIXe siĂšcle â celle de prĂ©tendre «âdissĂ©querâ» lâĂąme humaine Ă lâaide des rĂ©sultats de son enquĂȘte sociologique. Conclusion : le roman anglais, un genre contraignant au XIXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ. La conception de lâart de Wilde nous permet de mieux comprendre sa critique de lâart romanesque tel quâil est pratiquĂ© Ă son Ă©poque : plutĂŽt que le lieu dâinnovations stylistiques, le roman sâavĂšre celui dâune dĂ©monstration du puritanisme de lâĂšre victorienne et dâune enquĂȘte cherchant Ă comprendre diffĂ©rentes rĂ©alitĂ©s socioĂ©conomiques. Lâauteur du Portrait critique ce quâil nomme une vision du roman comme dâun «âmode de propagande[40]â» en opposant lâinterprĂ©tation unique du roman Ă thĂšse Ă la pluralitĂ© dâinterprĂ©tations que devrait permettre une Ćuvre dâart. Les rĂ©ticences que Wilde cultive Ă lâĂ©gard du genre romanesque sont aussi alimentĂ©es par la conception du roman comme dâun miroir de la rĂ©alitĂ© qui marque autant la littĂ©rature anglaise que la littĂ©rature française de la deuxiĂšme moitiĂ© du XIXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ. Wilde qui, nous lâavons vu, revendique les idĂ©es esthĂ©tiques au fondement de la thĂ©orie de «âlâart pour lâartâ», se mĂ©fie Ă©galement du roman en tant que producteur de «âbest-sellersâ» littĂ©raires. En effet, lâauteur du Portrait est dâavis que certaines considĂ©rations mercantiles influencent trop le dĂ©veloppement du roman moderne pour que celui-ci devienne le meilleur genre littĂ©raire pour mener une recherche esthĂ©tique fĂ©conde. Il constate Ă ce sujet :
Autrement dit, le dĂ©veloppement de lâart romanesque est en quelque sorte asservi aux intĂ©rĂȘts Ă©conomiques prenant de lâampleur Ă lâĂ©poque de la RĂ©volution industrielle : un nombre grandissant de romans sont Ă©crits trop vite dans le but de plaire au plus grand nombre de lecteurs possibles. Wilde est aussi exaspĂ©rĂ© par la longueur de ces romans Ă©crits pour garder les lecteurs en haleine. Il se moque Ă plusieurs reprises de la mode du «âroman anglais en trois volumesâ» dont lâintrigue se perd dans la multiplication des pĂ©ripĂ©ties et des personnages. Wilde Ă©tant un lecteur avide de romans, ces critiques du roman victorien portent Ă croire quâil rejette lâart romanesque tel que pratiquĂ© Ă son Ă©poque plutĂŽt que lâĂ©criture du roman comme tel. Il est nĂ©anmoins possible de se demander si certaines des rĂ©serves de Wilde, qui a Ă©crit une quantitĂ© impressionnante dâessais, de nombreux poĂšmes et plusieurs piĂšces de thĂ©Ăątre mais un seul roman, ne touchent pas Ă certaines caractĂ©ristiques plus intrinsĂšques du roman. Il est vrai que le roman, en tant que «âmachine Ă crĂ©er du suspenseâ», a la facultĂ© de crĂ©er un engouement plus grand que la poĂ©sie ou le thĂ©Ăątre : cela signifie, dans la logique de Wilde, que le romancier a davantage de chances de prioriser certaines considĂ©rations commerciales au dĂ©triment de lâexploration de sa subjectivitĂ© que le poĂšte ou le dramaturge. De plus, la dĂ©marche artistique de Wilde se prĂȘte mal Ă la multiplication des intrigues que propose le roman â Ă laquelle il prĂ©fĂšre la beautĂ© et lâharmonie de lâunitĂ© dâaction quâil retrouve dans le thĂ©Ăątre. Cet Ă©purement narratif permet par ailleurs Ă lâĂ©crivain de mettre la pratique du dialogue et du paradoxe chez les personnages Ă lâavant-plan de sa crĂ©ation littĂ©raire, ce qui favorise les Ă©changes dâidĂ©es contradictoires (et de la recherche de la VĂ©ritĂ© Ă travers ces Ă©changes) au cĆur de la dĂ©marche artistique de Wilde. Celui-ci affirme lui-mĂȘme construire le schĂ©ma narratif du Portrait autour des conversations entre les personnages quâautour dâaventures romanesques : «âI have just finished my first long story ⊠I am afraid it is rather like my own lifeall conversation and no action. I canât describe action: my people sit in chairs and chatter[42].â» De plus,le peu de contraintes narratives dans le domaine de la poĂ©sie fait de celle-ci le terreau dâune recherche stylistique plus fertile aux yeux de lâauteur du Portrait que le genre romanesque. Ainsi la grandeur artistique que Wilde voit dans lâĆuvre de Flaubert est-elle dâautant plus grande du fait quâil rĂ©ussit Ă crĂ©er un style littĂ©raire Ă partir dâune matiĂšre artistique imparfaite. MalgrĂ© lâattention que lâon accorde Ă son unique roman, le «âtempĂ©rament artistiqueâ» de Wilde se dĂ©ploie peut-ĂȘtre mieux dans la confrontation de discours que favorise le dialogue (ou lâessai critique) et dans la recherche esthĂ©tique au centre de la tradition poĂ©tique que dans le roman, un genre quâil associe de toute maniĂšre trop viscĂ©ralement Ă son dĂ©goĂ»t de la sociĂ©tĂ© victorienne. Ìę
[1] Voir « The Victorian Era », dans The Broadview Anthology of British Literature. The Victorian Era, (ed. Joseph Black et al.), volume V, Peterborough, Broadview Press, deuxiĂšme Ă©dition, 2012, p. xxxix-lxxxiv. [2] Oscar Wilde, « The Critic As Artist », dans Complete Works of Oscar Wilde (Ă©d. Merlin Holland), Glasgow, HarperCollins, coll. « Collins Classics », 1994 [1881-1898], p. 1145. « La condition premiĂšre de la critique est que le critique soit capable de reconnaĂźtre que la sphĂšre de lâArt et celle de lâĂthique sont absolument distinctes et sĂ©parĂ©es. [...] On les confond trop souvent aujourdâhui en Angleterre et, bien que nos modernes puritains ne puissent dĂ©truire une belle chose, ils parviennent cependant presque, avec leur extraordinaire lubricitĂ©, Ă souiller momentanĂ©ment la beautĂ©. » Pour cette traduction en français, voir «âLa Critique comme artisteâ», Ƴܱč°ù±đČő (Ă©d. Jean GattĂ©gno), Paris, Gallimard, coll. « PlĂ©iade », 1996 [1881-1898], p. 886. [3] « The Picture of Dorian Gray », Ibid., p.17. « Il nâexiste pas de livre moral ou de livre immoral. Un livre est bien Ă©crit ou mal Ă©crit, un point, câest tout. » Pour cette traduction en français, voir «âLe portrait de Dorian Grayâ», Ibid., p. 347. [4] «âTout art est parfaitement inutile.â» Idem. [5] « Lettre Ă R. Clegg, avril 1891 », op. cit., p. 478. « Lâart est inutile parce que son but est simplement de crĂ©er un Ă©tat dâesprit. Il ne vise dâaucune maniĂšre Ă instruire ni Ă influencer. [...] LâĆuvre dâart est inutile comme la fleur est inutile. La fleur sâĂ©panouit pour sa propre joie. Nous gagnons un moment de joie en la regardant : voilĂ tout ce que lâon peut dire de nos rapports avec les fleurs. Certes lâhomme peut vendre la fleur et ainsi en tirer une utilitĂ©, mais cela nâa rien de commun avec la fleur elle-mĂȘme. Ce nâest pas une partie de son essence : câest accidentel. » Pour cette traduction en français, voir «âLettre Ă R. Clegg, avril 1891â», Lettres dâOscar Wilde (trad. Henriette de Boissard), Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1994 [1875-1900], p. 162. [6] « Lettre Ă lâĂ©diteur du Scots Observer, 9 July 1890 », Ibid., p. 439. « Le vice et la vertu sont simplement pour lui [lâartiste] ce que sont, pour le peintre, les couleurs quâil voit sur sa palette : rien de plus et rien de moins. » Pour cette traduction en français, voir «âLettre Ă lâĂ©diteur du Scots Observer, 9 juillet 1890â», Ibid., p. 142. [7] « Literary and Other Notes », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II (Ă©d. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887â1895], p. 31. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [8] « The Critic As Artist », op. cit., p. 1129. « Tu vois donc par lĂ comment il se fait que le critique esthĂšte, rejetant ces modes artistiques fondĂ©s sur lâĂ©vidence qui nâont quâun unique message Ă transmettre et, aprĂšs lâavoir transmis, deviennent muets et stĂ©riles, prĂ©fĂšre rechercher les modes fondĂ©s sur la suggestion : ils portent Ă la rĂȘverie et Ă la mĂ©ditation, et leur beautĂ© imaginative fait que toutes les interprĂ©tations sont vraies, quâaucune nâest dĂ©finitive. » Pour cette traduction en français, voir «âLe Critique comme artisteâ», op. cit., p. 861. [9] « The Picture of Dorian Gray », op. cit., p. 20. « Vous ne dites jamais rien de moral, et vous ne faites jamais rien dâimmoral. Votre cynisme nâest quâune pose. » Pour cette traduction en français, voir « Le Portrait de Dorian Gray », Ibid., p. 352. [10] « The House Beautiful », dans Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 925. Une traduction française de cet article nâest pas disponible. [11] « Lettre Ă lâĂ©diteur du St Jamesâs Gazette, 27 juin 1890 », op. cit., p. 430. Une traduction française de cette lettre nâest pas disponible. [12] « The House Beautiful », op. cit., p. 916. Une traduction en français de cet essai nâest pas disponible. [13] « A Few Maxims For the Intruction of the Over-Educated », Ibid., p. 1242. « LâArt est la seule chose sĂ©rieuse qui existe au monde. Et lâartiste la seule personne qui nâest jamais sĂ©rieuse. » Pour cette traduction en français, voir «âQuelques Maximes pour lâinstruction des personnes trop instruitesâ», Ƴܱč°ù±đČő, op. cit., p. 968. [14] « Lettre Ă Arthur Conan Doyle, avril 1891 », op. cit., p. 478. « Je ne parviens pas Ă comprendre comment ils peuvent traiter Dorian Gray dâimmoral. Ma difficultĂ© fut de garder subordonnĂ©e Ă lâeffet artistique et dramatique la morale inhĂ©rente Ă lâhistoire et il me semble encore que cette morale est trop Ă©vidente. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre Ă Arthur Conan Doyle, avril 1891 », op. cit., p. 161. [15] Florina Tufescu, « Mixing Memory and Desire: The Scandal of Oscar Wildeâs Neo-classical Poetry », dans Oscar Wilde, Jarlath Killeen (dir.), Dublin, Irish Academy Press, 2011, p. 47. [16] « The English Renaissance of Art », dans Aristotle at Afternoon Tea. The rare Oscar Wilde (Ă©d. John Wyse Jackson), Londres, Fourth Estate, 1991 [1882â1890], p. 10. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [17] Voir The Broadview Anthology of British Literature. op. cit., p. 38. [18] « Lettre Ă MallarmĂ©, 25 fĂ©vrier 1891 », op. cit., p. 471. [19] « A Russian Realistic Romance », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part I (Ă©d. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VI, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1877â1887], p. 31. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [20] « The Picture of Dorian Gray », op. cit., p.18. « La riche senteur des roses emplissait lâatelier, et lorsque la brise dâĂ©tĂ© agitait les arbres du jardin, les lourds effluves du lilas, ou la flagrance plus subtile de lâĂ©pine rose, pĂ©nĂ©traient par la porte ouverte. » Pour cette traduction en français, voir « Le Portrait de Dorian Gray », op. cit., p. 349. [21] « Lettre Ă Justin Huntly McCarthy, milieu du mois de mai 1889 », op. cit., p. 399. Une traduction en français de cette lettre nâest pas disponible. [22] « Lettre Ă W. E. Henley, dĂ©cembre 1888 », op. cit., p. 372. « Oui, Flaubert est mon maĂźtre. Quand je me mettrai Ă traduire La Tentation, je serai Flaubert II, Roi par grĂące de Dieu et, jâespĂšre, beaucoup plus. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre Ă W. E. Henley, dĂ©cembre 1888 », op. cit, p. 135. [23] « Lettre Ă E. W. Godwin, fĂ©vrier ou mars 1885 », Ibid., p. 252. [24] « The Soul of Man Under Socialism », dans Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 1174. « Un artiste souverain, comme Flaubert, a pu sâisoler, se mettre hors dâatteinte des vocifĂ©rations exigeantes dâautrui [...] et par lĂ rĂ©aliser la perfection de ce qui Ă©tait en lui, tirant de lĂ un profit personnel incomparable, et permettant Ă lâunivers entier dâen tirer un profit incomparable. » Pour cette traduction en français, voir « LâĂme de lâhomme sous le socialisme », Ƴܱč°ù±đČő, op. cit., p. 929. [25] « The English Renaissance of Art », op. cit., p. 9. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [26] Bien quâil insiste Ă de nombreuses reprises sur cette idĂ©e dans ses essais, Wilde la nuance dans une certaine mesure lorsquâil dit dans Mr. Whistlerâs Ten OâClock : « An artist is not an isolated fact; he is the resultant of a certain milieu and a certain entourage, and can no more be born of a nation that is devoid of any sense of beauty than a fig can grow from a thorn or a rose blossom from a thistle. » « Mr. Whistler's Ten O'Clock », publiĂ© dans le Pall Mall Gazette, 21 FĂ©vrier 1885, The Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 949. « Un artiste nâest point un fait isolĂ©. Il est la rĂ©sultante dâun certain milieu, et il est aussi impossible quâil naisse dans une nations absolument dĂ©pourvue de tout sentiment de la beautĂ© quâil est impossible quâune figue croisse sur une Ă©pine-blanche, ou quâune rose sâĂ©panouisse sur un chardon. » Pour cette traduction en français, voir Essais de littĂ©rature et dâesthĂ©tique (trad. Albert savine), Paris, Ăditions du Sandre, 2005 [1855-1885], p.14. [27] « Lettre Ă lâĂ©diteur du Scots Observer, 23 juillet 1890 », op. cit., p. 441. « Câest le spectateur et non la vie que lâart en rĂ©alitĂ© reflĂšte. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre Ă lâĂ©diteur du Scots Observer, 23 juillet 1890 », op. cit., p. 144. [28] Cette expĂ©rience subjective de lâart nâest pas sans rappeler une des critiques du rĂ©alisme formulĂ©e par Proust dans le Temps retrouvĂ©, oĂč il est question dâune « essence » littĂ©raire « en partie subjective et incommunicable » Voir Marcel Proust, Le temps retrouvĂ©, dans Ă la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999 [1927], p. 2277. [29] « The English Renaissance of Art », dans Aristotle at Afternoon Tea. The rare Oscar Wilde, op. cit., p. 3. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [30] Cette expression est utilisĂ©e par Wilde dans sa «âLettre Ă Edmond de Goncourt, 17 dĂ©cembre 1891â», op. cit., p. 505. [31] Idem. [32] « The Decay of Lying », dans Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 1073. « Les historiens de lâAntiquitĂ© cherchaient Ă nous faire prendre de charmantes fables pour des faits. Le romancier contemporain nous prĂ©sente des faits ennuyeux sous le couvert de la fable. [...] Il dispose de son fastidieux document humain, de son misĂ©rable petit coin de la crĂ©ation quâil observe au microscope. » Pour cette traduction en français, voir «âLe DĂ©clin du mensongeâ», dans Ƴܱč°ù±đČő, op. cit., p. 776. [33] Pour la version en anglais, voir Ibid., p.1092 et pour la traduction en français voir Ibid., p. 805. [34] « Lettre Ă More Adey, 16 dĂ©cembre 1896 », op. cit., p. 672. Une traduction en français de cette lettre nâest pas disponible. [35] « The Decay of Lying », op. cit., p. 1082. « Câest Ă lâintĂ©rieur et non en dehors de lui-mĂȘme que lâArt atteint sa perfection. Il nâa pas Ă ĂȘtre jugĂ© sur des critĂšres de ressemblance au monde extĂ©rieur. Lâart est voile plus que miroir. Il connaĂźt des fleurs qui ne poussent dans aucune forĂȘt, des oiseaux qui ne nichent dans aucune charmille. Il crĂ©e et dĂ©truit une multitude dâunivers et, au moyen dâun fil Ă©carlate, peut attraper la lune. » Pour cette traduction en français, voir « Le DĂ©clin du mensonge », op. cit., p. 790. [36] « Literary and Other Notes », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II, op. cit., p. 162. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [37] « Balzac in English », Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 959. « Et quel monde câestâ! Quel panorama de passionsâ! Quel pĂȘle-mĂȘle dâhommes et de femmesâ! » Pour cette traduction en français, voir « Balzac en anglais », dans Nouveaux essais de littĂ©rature et dâesthĂ©tique (trad. Albertine Savine), Paris, Ăditions du Sandre, 2006 [1886-1887], p. 75. [38] Ibid., p. 960. «âIls ont en eux une ardente vitalitĂ©; leur existence est bouillonnante, vivement colorĂ©e. Ils dominent notre imagination et dĂ©fient notre scepticisme. Une lecture assidue de Balzac rĂ©duit nos amis vivants Ă lâĂ©tat dâombres, et nos simples connaissances ne sont plus que des ombres de fantĂŽme. Qui se soucierait de se rendre Ă une soirĂ©e pour rencontrer Tomkins, notre ami dâenfance, quand on peut passer le temps chez soi en compagnie de Lucien de RubemprĂ©â?â» Idem. [39] « The decay of Lying », op. cit., p. 1075. « Lâauteur [Zola] est parfaitement sincĂšre et dĂ©crit la rĂ©alitĂ© telle quâelle est. [...] Mais, du point de vue de lâart, que dire pour dĂ©fendre lâauteur de lâAssomoir, de Nana, de Pot-Bouilleâ? Rien. DĂ©crivant les personnages des romans de George Eliot, Mr. Ruskin les a un jour comparĂ©s aux balayures dâun omnibus de Pentonville, mais les personnages de M. Zola sont bien pires. Leurs vices sont dâun ennui mortel, leurs vertus dâun ennui plus mortel encore. Le rĂ©cit de leur existence ne prĂ©sente pas lâombre dâun intĂ©rĂȘt. Qui se soucie de ce qui leur arriveâ? » Pour cette traduction en français, voir « Le dĂ©clin du mensonge », op. cit., p. 779. [40] C'est une expression que Wilde utilise dans « Some literary Notes », op. cit., p. 180. [41] «"Hugh Conwayâs" Last Novel », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II, op. cit., p. 265. Une traduction en français de cet article nâest pas disponible. [42] « Lettre Ă Beatrice Allhusen, dĂ©but de lâannĂ©e 1890 », op. cit., p. 427 |
Bibliographie
Ouvrages cités |
---|
Ouvrages en anglais : The Complete Letters of Oscar Wilde (Ă©d. Merlin Holland et Rupert Hart-Davis), New York, Henry Holt and Compagny, 2000. Complete Works of Oscar Wilde (Ă©d. Merlin Holland), Glasgow, HarperCollins, coll. « Collins Classics », 1994 [1881-1898]. The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part I (Ă©d. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VI, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1877-1887]. The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II (Ă©d. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887-1895]. Aristotle at Afternoon Tea. The rare Oscar Wilde (Ă©d. John Wyse Jackson), Londres, Fourth Estate, 1991 [1882-1890]. Traductions françaises : WILDE, Oscar, Lettres d'Oscar Wilde (trad. Henriette de Boissard), Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1994 [1875-1900]. Ƴܱč°ù±đČő (Ă©d. Jean GattĂ©gno), Paris, Gallimard, coll. « PlĂ©iade », 1996 [1881-1898]. Nouveaux essais de littĂ©rature et d'esthĂ©tique (trad. Albertine Savine), Paris, Ăditions du Sandre, 2006 [1886-1887]. Essais de littĂ©rature et d'esthĂ©tique, (trad. Albertine Savine), Paris, Ăditions du Sandre, 2006 [1855-1885]. Autres ouvrages consultĂ©s : BLACK, Joseph et al., âThe Victorian Eraâ, dans The Broadview Anthology of British Literature. The Victorian Era, (ed. Joseph Black et al.), volume V, Peterborough, Broadview Press, deuxiĂšme Ă©dition, 2012. PROUST, Marcel, Le temps retrouvĂ©, dans Ă la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999 [1927]. TUFESCU, Florina, « Mixing Memory and Desire: The Scandal of Oscar Wilde's Neo-classical Poetry », dans Oscar Wilde, Jarlath Killeen (dir.), Dublin, Irish Academy Press, 2011, p. 47-70. |
Citations
Aristotle at afternoon Tea. The Rare Oscar WileÌę(Ă©d. John Wyse Jackson), Londres, Fourth Estate, 1991 [1882-1890]. |
---|
The English Renaissance of Art. "Among the many debts which we owe to the supreme ĂŠsthetic faculty of Goethe is that he was the first to teach us to define beauty in terms the most concrete possible, to realize it, I mean, always in its special manifestations. So, in the lecture which I have the honour to deliver before you, I will not try to give you any abstract definition of beautyâany such universal formula for it as was sought for by the philosophy of the eighteenth centuryâstill less to communicate to you that which in its essence is incommunicable, the virtue by which a particular picture or poem affects us with a unique and special joy ; but rather to point out to you the general ideas which characterise the great English Renaissance of Art in this century, to discover their source, as far as that is possible, and to estimate their future as far as that is possible."Ìę(3) "For it is not enough that a work of art should conform to the ĂŠsthetic demands of its age : there must be also about it, if it is to affect us with any permanent delight, the impress of a distinct individuality, an individuality remote from that of ordinary men, and coming near to us only by virtue of a certain newness and wonder in the work, and through channels whose very strangeness makes us more ready to give them welcome."Ìę(9) "In Rossettiâs poetry and the poetry of Morris, Swinburne and Tennyson a perfect precision and choice of language, a style flawless and fearless, a seeking for all sweet and precious melodies and a sustaining consciousness of the musical value of each word are opposed to that value which is merely intellectual."Ìę(10) "But the drama is the meeting-place of art and life; it deals, as Mazzini said, not merely with man, but with social man, with man in his relation to God and to Humanity. It is the product of a period of great national united energy; it is impossible without a noble public, and belongs to such ages as the age of Elizabeth in London and of Pericles at Athens ; it is part of such lofty moral and spiritual ardour as came to Greek after the defeat of the Persian fleet, and to Englishman after the wreck of the Armada of Spain."Ìę(19) |
The Complete W(orks of Oscar Wilde. Journalism, Part 1Ìę(Ă©d. John Stokes et Mark W. Turner), vol. VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887-1895]. |
"Pleasing and Prattling", publiĂ© dans leÌęPall Mall Gazette,Ìę4 aoĂ»t 1886. âOn the whole, there is a great deal to be said for our ordinary English novelists. They have all some story to tell, and most of them tell it in an interesting manner. Where they fail is in concentration of style. Their characters are far too eloquent, and talk themselves to tatters. What we want is a little more reality and a little less rhetoric. We are most grateful to them that they have not as yet accepted any frigid formula, nor stereotyped themselves into a school, but we wish that they would talk less and think more. They lead us through a barren desert of verbiage to a mirage that they call life: we wander aimlessly through a very wilderness of words in search of a touch of nature. However, one should not be too severe on English novels; they are the only relaxation of the intellectually unemployed.â (87â88) "A Batch of Novels", publiĂ© dans le Pall Mall Gazette, 2 mai 1887. âAnd by what a subtle objective method does Doistoieffski show us his characters! He never tickets them with a list, nor labels them with a description. We grow to know them very gradually, as we know people whom we meet in society, at first by little tricks of manner, personal appearance, fancies in dress and the like; and afterwards by their deeds and words; and even then they constantly elude us, for though Doistoieffski may lay bare for us the secrets of their nature, yet he never explains his personages away, they are always surprising us by something that they say or do, and keep to the end the eternal mystery of life.â (166) |
The Complete W(orks of Oscar Wilde. Journalism, Part 2Ìę(Ă©d. John Stokes et Mark W. Turner), vol. VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887-1895]. |
"Some Literary Notes", publiĂ© dans le Womanâs World, fĂ©vrier 1889. âThis is the supreme advantage that fiction possesses over facts. It can make things artistically probable, can call for imaginative and realistic credence, can, by force of mere style, compel us to believe. The ordinary novelists, by keeping close to the ordinary incidents of commonplace life, seem to me to abdicate half of their power. Romance, at any rate, welcomes what is wonderful; the temper of wonder is part of her own secret; she loves what is strange and curious.â (162) âObservation is perhaps the most valuable faculty for a writer of fiction. When novelists reflect and moralise, they are, as a rule, dull. But to observe life with keen vision and quick intellect, to catch its many modes of expression, to seize upon its subtlety, or satire, or dramatic quality of its situations, and to render life for us with some spirit of distinction and fine selectionâthis, I fancy, should be the aim of the modern realist novelist.â (166) "Some Literary Notes", publiĂ© dans le Womanâs World, mars 1889. âThe aim of most of our modern novelists seems to be, not to write good novels, but to write novels that will do good [...] They wish to reform the morals, rather than to portray the manners of their age. They have made the novel a mode of propaganda.â (180) "Hugh Conwayâsâ Last Novel", publiĂ© dans le Pall Mall Gazette, 8 aoĂ»t 1885. âAristotle said long ago that in a drama the plot is the most important element, and the vulgar confirm his opinion by the eagerness with which they devour every novel, however meagre in fancy or in diction, which has a plot, an action, a beginning, a middle, and an end. A book is one book in virtue of dealing with one subject, with a principal action, and with only such other actions as are directly subordinated to this. Without a plot the assemblage of printed words filling three volumes a group of tales, an aggregate of essays, or nothing at all, but cannot possibly make a novel. Unity is the essence of a work of art; unity of action is the soul of imaginative writing. Many novels written by men of genius, some novels stamped with genius on every page, almost wholly lack this invaluable unity of action.â (264) âThe novelist who can give us good dialogue and plenty of it is one who has forgotten that his personages are but puppets and phantoms, one to whom they have become more real than the men or women around him, one who lives not only by but in his books, and makes us feel in every instant the warm, soft pressure of Life. Such a novelist stands only one degree below the great dramatist, and many degrees above the multitude of poets. For his novels are entitled to the praise which the ancient critic bestowed upon true poetryâthat it is more serious and philosophic than history.â (265) âNovels are now written so rapidly that novelists have no time to secret thought or fancy; and without wealth or thought and fancy there cannot be apt felicity of language. Where there is little to express, expression must be poor. The public reads so fast that it has no time for subtleties of art, no patience to seek out retiring beauties, nothing of that still and serious temper which feels such beauties when found. Which such a public, such authors are fairly matched; for each makes the other.â (265) |
Complete Works of Oscar WildeÌę(Ă©d. Merlin Holland), Glasgow, HarperCollins, coll. "Collins Classics", 1994 [1881-1898]. |
"The House Beautiful", confĂ©rence Ă Chicago, 1882. âEven in imaginative art predominance must now be given to colour: a picture is primarily a flat surface coloured to produce a delightful effect upon the beholder, and if it fails of that, it is surely a bad picture. The aim of all art is simply to make life more joyous.â (916) âIn conclusion, what is the relation of art to morals? It is sometimes said that our art is opposed to good morals; but on the contrary, it fosters morality. Wars and the clash of arms and the meeting of men in battle must be always, but I think that art, by creating a common intellectual atmosphere between all countries might, if it could not overshadow the world with the silvery wings of peace, at least make men such brothers that they would not go out to slay on another for the whim or folly of some king or minister as they do in Europe; for national hatreds are always strongest where culture is lowest. And hence the enormous importance given to all the decorative arts in our English renaissance; we want children to grow up in England in the simple atmosphere of all fair things; the refining influence of art, begun in childhood, will be of the highest value to all of us in teaching our children to love what is beautiful and good, and hate what is evil and ugly. Then when a child grows up he learns that industrious we must be, but industry without art is simply barbarism.â (925) "Mr Whistlerâs Ten oâClock", publiĂ© dans le Pall Mall Gazette, 21 FĂ©vrier 1885. âAn artist is not an isolated fact; he is the resultant of a certain milieu and a certain entourage, and can no more be born of a nation that is devoid of any sense of beauty than a fig can grow from a thorn or a rose blossom from a thistle.â (949) âBut the poet is the supreme artist, for he is the master of colour and of form, and the real musician besides, and is lord over all life and all arts ; and so to the poet beyond all others are these mysteries known ; to Edgar Allen Poe and to Baudelaire, not to Benjamin West and Paul Delaroche.â (949) "Olivia at the Lyceum", publiĂ© dans le Dramatic Review, 30 mai 1885. âAnd to me there is something very pleasurable in seeing and studying the same subject under different conditions of art. For life remains eternally unchanged ; it is art which, by presenting it to us under various forms, enables us to realise its many-sided mysteries, and to catch the quality of its most fiery-coloured moments. The originality, I mean, which we ask from the artist, is originality of treatment, not of subject. It is only the unimaginative who ever invents. The true artist is known by the use he makes of what he annexes, and he annexes everything.â (955) "Balzac in English", publiĂ© dans le Pall Mall Gazette, 13 septembre 1886. âIt is really the greatest monument that literature has produced in our century, and M. Taine hardly exaggerates when he says that, after Shakespeare, Balzac is our most important magazine of documents on human nature. Balzacâs aim, in fact, was to do for humanity what Buffon had done for the animal creation. As the naturalist studied lions and tigers, so the novelist studied men and women. Yet he was no mere reporter. Observation gave him the facts of life, but genius converted facts into truths, and truths into truth. He was, in a word, a marvellous combination of the artist temperament with the scientific spirit. The distinction between such a book as M. Zolaâs łąâAČőČőŽÇłŸłŸŽÇŸ±°ù and such a book as Balzacâs Illusions Perdues is the distinction between unimaginative realism and imaginative reality. [...] He was, of course, accused of being immoral. Few writers who deal directly with life escape that charge. [...] The morals of the personages of the ComĂ©die Humaine are simply the morals of the world around us. They are part of the artistâs subject-matter; they are not part of his method. If there be any need of censure it is to life, not to literature, that it should be given. Balzac, besides, is essentially universal. He sees life from every point of view. He has no preferences and no prejudices. He does not try to prove anything. He feels that the spectacle of life contains its own secret. âIl crĂ©e un monde et se tait.â And what a world it is! What a panorama of passions! What a pell-mell of men and women! It was said of Trollope that he increased the number of our acquaintances without adding to our visiting list ; but after the ComĂ©die Humaine one begins to believe that the only real people are the people who never existed. Lucien de RubemprĂ©, le PĂšre Goriot, Ursule MirouĂ«t, Marguerite ClaĂ«s, the Baron Hulot, Madame Marneffe, le Cousin Pons, De Marsayâall bring with them a kind of contagious illusion of life. They have a fierce vitality about them : their existence is fervent and fiery-coloured ; we not merely feel for them but we see themâthey dominate our fancy and defy scepticism. A steady course of Balzac reduces our living friends to shadows, and our acquaintances to the shadows of shades. Who would care to go out to an evening party to meet Tomkins, the friend of oneâs boyhood, when one can sit at home with Lucien de RubemprĂ©? It is pleasanter to have the entrĂ©e to Balzacâs society than to receive cards from all the duchesses in Mayfair.â (959) "Preface" Ă ÌęThe Picture of Dorian Gray, 1890. âThe artist is the creator of beautiful things. To reveal art and conceal the artist is artâs aim. The critic is he who can translate into another manner or a new material his impression of beautiful things. The highest as the lowest form of criticism is a mode of autobiography. Those who find ugly meanings in beautiful things are corrupt without being charming. This is a fault. Those who find beautiful meanings in beautiful things are the cultivated. For these there is hope. They are the elect to whom beautiful things mean only beauty. There is no such thing as a moral or an immoral book. Books are well written, or badly written. That is all. The nineteenth century dislike of realism is the rage of Caliban seeing his own face in a glass. The nineteenth century dislike of romanticism is the rage of Caliban not seeing his own face in a glass. The moral life of man forms part of the subject-matter of the artist, but the morality of art consists in the perfect use of an imperfect medium. No artist desires to prove anything. Even things that are true can be proved. No artist has ethical sympathies. An ethical sympathy in an artist is an unpardonable mannerism of style. No artist is ever morbid. The artist can express everything. Thought and language are to the artist instruments of an art. Vice and virtue are to the artist materials for an art. From the point of view of form, the type of all the arts is the art of the musician. From the point of view of feeling, the actorâs craft is the type. All art is at once surface and symbol. Those who go beneath the surface do so at their peril. Those who read the symbol do so at their peril. It is the spectator, and not life, that art really mirrors. Diversity of opinion about a work of art shows that the work is new, complex, and vital. When critics disagree, the artist is in accord with himself. We can forgive a man for making a useful thing as long as he does not admire it. The only excuse for making a useless thing is that one admires it intensely. All art is quite useless.â (17) The Decay of Lying. An Observation. A Dialogue, publiĂ© en 1891. âThe ancient historians gave us delightful fiction in the form of facts; the modern novelist presents us with dull facts under the guise of fiction. [...] He has his tedious document humain, his miserable little coin de la crĂ©ation into which he peers with his microscope.â (1073) âIn France, though nothing so deliberately tedious as Robert Elsmere has been produced, things are not much better. M. Guy de Maupassant, with his keen mordant irony and his hard vivid style, strips life of the few poor rags that still cover her, and shows us foul sore and festering wound. He writes lurid little tragedies in which everybody is ridiculous; bitter comedies at which one cannot laugh for very tears. M. Zola, true to the lofty principle that he lays down in one of his pronunciamientos on literature, Lâhomme de gĂ©nie nâa jamais dâesprit, is determined to show that, if he has not got genius, he can at least be dull. And how well he succeeds! He is not without power. Indeed at times, as in Germinal, there is something almost epic in his work. But his work is entirely wrong from beginning to end, and wrong not on the ground of morals, but on the ground of art. From any ethical standpoint it is just what it should be. The author is perfectly truthful, and describes things exactly as they happen. What more can any moralist desire? We have no sympathy at all with the moral indignation of our time against M. Zola. It is simply the indignation of Tartuffe on being exposed. But from the standpoint of art, what can be said in favour of the author of łąâAČőČőŽÇłŸłŸŽÇŸ±°ù, Nana, and Pot-Bouille? Nothing. Mr. Ruskin once described the characters in George Eliotâs novels as being like the sweepings of a Pentonville omnibus, but M. Zolaâs characters are much worse. They have their dreary vices, and their drearier virtues. The record of their lives is absolutely without interest. Who cares what happens to them? In literature we require distinction, charm, beauty, and imaginative power.â (1075) âArt finds her own perfection within, and not outside of, herself. She is not to be judged by any external standard of resemblance. She is a veil, rather than a mirror. She has flowers that no forests know of, birds that no woodland possesses. She makes and unmakes many worlds, and can draw the moon from heaven with a scarlet thread.â (1082) âAs a method Realism is a complete failure, and the two things that every artist should avoid are modernity of form and modernity of subject-matter. To us, who live in the nineteenth century, any century is a suitable subject for art except our own. The only beautiful things are the things that do not concern us. It is, to have the pleasure of quoting myself, exactly because Hecuba is nothing to us that her sorrows are so suitable a motive for a tragedy. Besides, it is only the modern that ever becomes old-fashioned. M. Zola sits down to give us a picture of the Second Empire. Who cares for the Second Empire now? It is out of date. Life goes faster than Realism, but Romanticism is always in front of Life.â (1091) "Critis As Artist. A Dialogue", publiĂ© en 1891. âYou see, then, how it is that the aesthetic critic rejects these obvious modes of art that have but one message to deliver, and having delivered it become dumb and sterile, and seeks rather for such modes as suggest reverie and mood, and by their imaginative beauty make all interpretation true, and no interpretation final.â (1129) âThe first condition of criticism is that the critic should be able to recognise that the sphere of Art and the sphere of Ethics are absolutely distinct and separate. [...] They are too often confused in England now, and though our modern Puritans cannot destroy a beautiful thing, yet, by means of their extraordinary prurience, they can almost taint beauty for a moment.â (1145) The Soul of Man Under Socialism, publiĂ© en 1891. âA supreme artist, like Flaubert, has been able to isolate himself, to keep himself out of the reach of the clamorous claims of others [...] to realise the perfection of what was in him, to his incomparable gain, and to the incomparable and lasting gain of the whole world.â (1174) |
The Complete Letters of Oscar Wilde (Ă©d. Merlin Holland et Rupert Hart-Davis), New York, Henry Holt and Company, 2000 [1875-1900]. |
Lettre Ă E. W. Godwin, fĂ©vrier ou mars 1885] âI enclose a cheque and thank you very much for the beautiful designs of the furniture. Each chair is a sonnet in ivory, and the table is a masterpiece in pearl.â (252) [Lettre Ă J. S. Little, 15 janvier 1888] âYour descriptions [celles de son roman Whose Wife Shall She Be?] are excellent, whether of scenery or of women, and I wish that I could write a novel, but I canât!â (339) [Lettre Ă W. E. Henley, dĂ©cembre 1888] "Your distinction is admirable. Flaubert did not write French prose, but the prose of a great artist who happened to be French. As for your critics, when a book has so much life and so much beauty as yours has, it must inevitably appeal differently to different temperaments. Beauty of form produces not one effect alone, but many effects. Surely you do not think that criticism is like the answer to a sum? The richer the work of art the more diverse are the true interpretations. There is not one answer only, but many answers. I pity that book on which critics are agreed. It must be a very obvious and shallow production. Congratulate yourself on the diversity of contemporary tongues. The worst of posterity is that it has but one voice.â (372â373) [Lettre Ă W. E. Henley, dĂ©cembre 1888] âQuite right, my dear 'Marsyas et Apollo' ; to learn how to write English prose I have studied the prose of France. [...] Yes! Flaubert is my master, and when I get on with my translation of the Tentation I shall be Flaubert II, Roi par grĂące de Dieu, and I hope something else beyond.â (372) [Lettre Ă Justin Huntly McCarthy, milieu du mois de mai 1889] âYour book is charming, and your prose worthy of the sinless master whom mortals call Flaubert.â (399) [Lettre Ă Beatrice Allhusen, dĂ©but de lâannĂ©e 1890] âI have just finished my first long story [The Picture of Dorian Gray], and am tired out. I am afraid it is rather like my own lifeâall conversation and no action. I canât describe action: my people sit in chairs and chatter.â (425) [Lettre Ă lâĂ©diteur du St Jamesâs Gazette, 27 juin 1890] âRomantic art deals with the exception and with the individual. Good people, belonging as they do to the normal, and so, commonplace, type, are artistically uninteresting. Bad people, are, from the point of view of art, fascinating studies. They represent colour, variety and strangeness. Good people exasperate oneâs reason; bad people stir oneâs imagination. The writer of the article then suggests that I, in common with that great and noble artist Count Tolstoi, take pleasure in a subject because it is dangerous. About such a suggestion there is this to be said. Romantic art deals with the exception and with the individual. Good people, belonging as they do to the normal, and so, commonplace, type, are artistically uninteresting. Bad people, are, from the point of view of art, fascinating studies. They represent colour, variety and strangeness. Good people exasperate oneâs reason ; bad people stir oneâs imagination. Your critic, if I must give him so honourable a title, states that the people in my story have no counterpart in life; that they are, to use his vigorous if somewhat vulgar phrase, âmere catchpenny revelations of the non-existentâ. Quite so. If they existed they would not be worth writing about. The function of the artist is to invent, not to chronicle. There are no such people. If there were I would not write about them. Life by its realism is always spoiling the subject-matter of art. The supreme pleasure in literature is to realise the non-existent. But, alas! They will find that it [The Picture of Dorian Gray] is a story with a moral. And the moral is this: All excess, as well as all renunciation, brings its own punishment. The painter, Basil Hallward, worshipping physical beauty far too much, as most painters do, dies by the hand of one in whose soul he has created a monstrous and absurd vanity. Dorian Gray, having led a life of mere sensation and pleasure, tries to kill conscience, and at that moment kills himself. Lord Henry Wotton seeks to be merely the spectator of life. He finds that those who reject the battle are more deeply wounded than those who take part in it. Yes ; there is a terrible moral in Dorian Grayâa moral which the prurient will not be able to find in it, but which will be revealed to all whose minds are healthy. Is this an artistic error? I fear it is. It is the only error in the book.â (430â431) [Lettre Ă lâĂ©diteur du Scots Observer, 9 juillet 1890] âVirtue and wickedness are to him [the artist] simply what the colours on his palette are to the painter. They are no more, and they are no less.â (439) [Lettre Ă lâĂ©diteur du Scots Observer, 23 juillet 1890] âFor if a work of art is rich, and vital, and complete, those who have artistic instincts will see its beauty, and those to whom ethics appeal more strongly than aesthetics will see its moral lesson. It will fill the cowardly with terror, and the unclean will see in it their own shame. It will be to each man what he is himself. It is the spectator, and not life, that art really mirrors. And so, in the case of Dorian Gray, the purely literary critic, as in the Speaker and elsewhere, regards it as a 'serious and fascinating work of art' : the critic who deals with art in its relation to conduct, as the Christian Leader and the Christian World, regards it as an ethical parable. Light, which I am told is the organ of the English mystics, regards it as 'a work of high spiritual import'. [...] But I do not think that it is fair to expect a critic to be able to see a work of art from every point of view. Even Gautier had his limitations just as much as Diderot had, and in modern England Goethes are rare.â (441) [Lettre Ă F. Holland Day oĂč Wilde lui soumet un de ses sonnets, 11 aoĂ»t 1890] â'Midnight' is wrong : is it not? Christ was taken down at sunset I believe. But I donât think I can change it : I like 'ran with torches through the midnight' : besides I donât suppose they gambled when on guard. How sordid these realistic considerations are! It comes from having recklessly written a novel. I am ashamed of them.â [Lettre Ă MallarmĂ©, 25 fĂ©vrier 1891] âEn Angleterre nous avons de la prose et de la poĂ©sie, mais la prose française et la poĂ©sie dans les mains dâun maĂźtre tel que vous deviennent une et la mĂȘme chose.â (471) [Lettre Ă Arthur Conan Doyle, avril 1891] âI cannot understand how they can treat Dorian Gray as immoral. My difficulty was to keep the inherent moral subordinate to the artistic and dramatic effect, and it still seems to me that the moral is too obvious.â (478) [Lettre Ă R. Clegg, avril 1891] âMy dear Sir, Art is useless because its aim is simply to create a mood. It is not meant to instruct, or to influence action in any way. It is superbly sterile, and the note of its pleasure is sterility. It the contemplation of a work of art is followed by activity of any kind, the work is either of a very second-rate order, or the spectator has failed to realise the complete artistic impression. A work of art is useless as a flower is useless. A flower blossoms for its own joy. We gain a moment of joy by looking at it. That is all that is to be said about our relations to flowers. Of course man may sell the flower, and so make it useful to him, but this has nothing to do with the flower. It is not part of its essence. It is accidental. It is a misuse.â (478â479) [Lettre Ă lâĂ©diteur du Pall Mall Gazette, dĂ©but du mois de dĂ©cembre 1891] âNo artist recognises any standard of beauty but that which is suggested by his own temperament. The artist seeks to realise in a certain materiel an immaterial idea of beauty, and thus to transform an idea into an ideal. That is the way an artist makes things. That is why an artist makes things. The artist has no other object in making things.â (503) [Lettre Ă Edmond de Goncourt, 17 dĂ©cembre 1891] « Quoique la base intellectuelle de mon esthĂ©tique soit la Philosophie de lâIrrĂ©alitĂ©, ou peut-ĂȘtre Ă cause de cela, je vous prie de me permettre une petite rectification Ă vos notes sur la conversation oĂč je vous ai parlĂ© de notre cher et noble poĂšte anglais M. Algernon Swinburne et que vous avez insĂ©rĂ©s dans ces MĂ©moires qui ont, non seulement pour vos amis, mais pour le public tout entier, une valeur psychologique si haute. Le public anglais, comme dâordinaire hypocrite, prude et philistin, nâa pas su trouver lâart dans lâĆuvre dâart [de Swinburne] : il y a cherchĂ© lâhomme. Comme il confond toujours lâhomme avec ses crĂ©ations, il pense que pour crĂ©er Hamlet il faut ĂȘtre un peu mĂ©lancolique, pour imaginer Lear absolument fou. » (505) [Lettre Ă Ralph Payne, 12 fĂ©vrier 1894] âI am so glad you like that strange coloured book of mine : it contains much of me in it. Basil Hallward is what I think I am: Lord Henry what the world thinks me: Dorian what I would like to beâin other ages, perhaps.â (585) [Lettre Ă Adela Schuster, novembre 1894] âI wish I could write them down, these little coloured parables or poems that live for a moment in some cell of my brain, and then leave it to go wandering elsewhere. I hate writing: the mere act of writing a thing down is troublesome to me. I want some fine medium, and look for it in vain.â (621) [Lettre Ă More Adey, 16 dĂ©cembre 1896] âBusiness matters, such as the present, of course upset me, and make me weak in mind and body, with the hysteria of shattered nerves, sleeplessness, and the anguish in which I walk ; but Art is different. There one makes oneâs own world. It is with shadows that one weeps and laughs. A mirror will give back to one oneâs own sorrow. But Art is not a mirror, but a crystal. It creates its own shapes and forms.â (672) [Lettre Ă Max Beerbohm, 28 mai 1897] âThe implied and accepted recognition of Dorian Gray in the story [The Happy Hipocrite de Max Beerbohm] cheers me. I had always been disappointed that my story had suggested no other work of art in others. For whenever a beautiful flower grows in a meadow or lawn, some other flower, so like it that it is differently beautiful, is sure to grow beside it, all flowers and all works of art having a curious sympathy for each other.â (856) |