Insuffisance des données essentielles dans la lutte visant à protéger les espèces sauvages
Avec la hausse des températures qui se poursuit à un rythme alarmant à l’échelle planétaire, il est essentiel de raffiner les prévisions quant à l’incidence des changements climatiques sur la flore et la faune afin de fournir aux scientifiques un portrait plus précis des espèces particulièrement menacées d’extinction.
Dans le dernier numĂ©ro de la revue Science, un groupe multinational formĂ© de 22ĚýĂ©minents biologistes explique que les prĂ©visions actuelles ne tiennent pas compte d’importants aspects de la biologie, tels que l’adaptation et le dĂ©placement des espèces, lesquels peuvent avoir de profondes rĂ©percussions sur la capacitĂ© d’une plante ou d’un animal Ă survivre aux changements survenant dans son milieu de vie. MalgrĂ© le caractère sophistiquĂ© des modèles prĂ©visionnels, les donnĂ©es dont nous disposons sur les diffĂ©rentes espèces sont insuffisantes pour nous permettre de mettre ces outils en pratique.
AndrewĚýHendry et AndrewĚýGonzalez, tous deux professeurs au DĂ©partement de biologie de l’UniversitĂ© Ă山ǿĽé, sont au nombre de ces spĂ©cialistes venant des États-Unis, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de la Nouvelle-ZĂ©lande qui ont contribuĂ© Ă l’étude publiĂ©e dans Science.
«ĚýLes changements climatiques constitueront sans doute le plus grand dĂ©fi Ă relever en matière de conservation de la biodiversitĂ© dans les prochaines dĂ©cennies, particulièrement au CanadaĚý», affirme le professeur AndrewĚýHendry. «ĚýNotre capacitĂ© Ă prĂ©voir, Ă comprendre et Ă attĂ©nuer ces changements exige que nous apportions des amĂ©liorations considĂ©rables Ă nos mĂ©thodes de surveillance et de modĂ©lisation.Ěý»
Les changements climatiques se traduiront Ă©galement par des perturbations dans la rĂ©partition gĂ©ographique de nombreuses espèces. «ĚýAu Canada, nous avons dĂ©jĂ commencĂ© Ă ressentir de tels effets sur la fauneĚý», ajoute le professeur AndrewĚýGonzalez. «ĚýLa dissĂ©mination vers le nord de la tique responsable de la maladie de Lyme n’est qu’un exemple de dĂ©placement attribuable au rĂ©chauffement climatique. L’obtention de donnĂ©es plus fiables permettra d’amĂ©liorer les prĂ©visions quant aux consĂ©quences des changements climatiques sur les Ă©cosystèmes et la sociĂ©tĂ© canadienne en gĂ©nĂ©ral.Ěý»
Le groupe appelle donc à des efforts concertés à l’échelle planétaire en vue de recueillir ces précieuses données biologiques qui permettront d’établir des prévisions plus réalistes et précises relativement à l’ampleur des changements climatiques sur la biodiversité. Ainsi, cette initiative aidera non seulement la communauté scientifique à cerner plus efficacement les populations et écosystèmes particulièrement menacés, disent les scientifiques, mais elle permettra une répartition plus ciblée des ressources alors que les températures mondiales continuent de grimper à une vitesse record.
«ĚýEn ce moment, nous traitons une souris de la mĂŞme façon qu’un Ă©lĂ©phant, un poisson ou un arbre, mĂŞme si nous savons pertinemment qu’il s’agit d’organismes totalement diffĂ©rents qui rĂ©agissent Ă leur milieu de façon très diffĂ©renteĚý», explique MarkĚýUrban, Ă©cologiste Ă l’UniversitĂ© du Connecticut et auteur principal de l’article publiĂ© dans la revue Science. «ĚýNous devons rechausser nos bottes, prendre nos jumelles et retourner sur le terrain pour recueillir des donnĂ©es plus dĂ©taillĂ©es et ainsi Ă©tablir des prĂ©visions rĂ©alistes.Ěý»
Les prévisions climatiques actuelles à l’égard de la biodiversité s’appuient sur des corrélations statistiques générales et peuvent varier considérablement, ce qui fait que les décideurs politiques et autres intervenants ont peine à réagir. Ces prévisions proposent souvent des hypothèses globales qui ne tiennent pas compte de l’ensemble des facteurs biologiques pouvant influer sur le taux de survie d’un organisme, soit la démographie des espèces, la concurrence avec d’autres organismes, la mobilité et la capacité d’adaptation et d’évolution.
Il est crucial d’augmenter la fiabilité des prévisions pour soutenir les efforts de conservation déployés à l’échelle mondiale. Déjà , de nombreuses espèces se déplacent en altitude ou migrent vers les pôles à la recherche de températures plus fraîches au fur et à mesure que la température du globe augmente. Or, la capacité de survie varie énormément d’un organisme à un autre. Certaines espèces de grenouilles, par exemple, peuvent parcourir plusieurs kilomètres pour demeurer dans un milieu habitable, alors que d’autres animaux, comme certains types de salamandres, sont moins mobiles et n’arrivent à se déplacer que de quelques mètres au fil des générations.
Comme il existe plus de 8,7Ěýmillions d’espèces dans le monde, la cueillette de donnĂ©es biologiques nĂ©cessaires au raffinement des prĂ©visions reprĂ©sente une tâche titanesque. Selon les biologistes, le prĂ©lèvement d’un Ă©chantillon des principales espèces serait dĂ©jĂ grandement utile. Grâce Ă des modèles plus sophistiquĂ©s, les scientifiques seront en mesure d’extrapoler leurs prĂ©visions et de les appliquer aux multiples espèces qui prĂ©sentent des caractĂ©ristiques semblables.
Par où commencer? Les biologistes réclament le lancement d’une campagne mondiale dirigée par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES [Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services]). L’IPBES agit sous l’égide de quatre entités des Nations Unies et se consacre à fournir de l’information scientifique aux décideurs politiques des différents pays. Plus d’un millier de scientifiques de partout dans le monde contribuent actuellement aux travaux de l’IPBES à titre bénévole.
«ĚýNotre principal dĂ©fi consiste Ă repĂ©rer les espèces sur lesquelles nous devons centrer nos efforts et les rĂ©gions oĂą nous devons allouer nos ressourcesĚý», indique le professeur Urban, qui, dans une prĂ©cĂ©dente Ă©tude Ă©galement publiĂ©e dans Science, a prĂ©dit qu’une espèce sur six pourrait ĂŞtre dĂ©cimĂ©e par les changements climatiques Ă l’échelle mondiale. «ĚýNous en sommes Ă l’étape du triage. Nos ressources sont limitĂ©es et la liste de malades est longue.Ěý»
Les groupes de travail ayant collaboré à ce projet ont bénéficié du soutien du Programme des chaires de recherche du Canada, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, du Centre de la science de la biodiversité du Québec, du Synthesis Centre du German Centre for Integrative Biodiversity Research, du programme de recherche DIVERSITAS et de la Fondation nationale pour la science.
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Pour consulter l’article «ĚýImproving the forecast for biodiversity under climate changeĚý», par M.ĚýC.ĚýUrban et al., publiĂ© en 2016 dans la revue Science, visitez leĚý: Ěý
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