Accros à nos téléphones intelligents? Non, plutôt à nos semblables!
Nous connaissons tous des gens qui, les yeux rivés à leur écran de téléphone, passent leur temps à texter et suivent à la trace les faits et gestes de leurs amis sur les réseaux sociaux.
Plusieurs voient là des manifestations du comportement antisocial caractéristique de la dépendance au téléphone intelligent. Devant ce phénomène, dont on a fait abondamment état dans les médias depuis quelques mois, investisseurs et consommateurs exhortent les géants technologiques à agir. Mais y a-t-il vraiment lieu d’agir? Se pourrait-il que cette soi-disant dépendance n’ait rien d’antisocial, mais soit plutôt la marque d’une hypersocialisation?
Comme l’explique le Pr Samuel Veissière, anthropologue cognitiviste qui s’intéresse à l’évolution de la cognition et de la culture, le désir d’observer et de surveiller son prochain – tout comme celui d’être soi-même observé et surveillé – est profondément ancré chez l’être humain. L’Homme est aujourd’hui une espèce sociale pareille à nulle autre, qui a besoin d’être constamment rassurée par ses semblables sur la convenance culturelle de ses comportements. En outre, ces interactions humaines donnent un sens et des objectifs à sa vie, tout en contribuant à la construction de son identité.
Samuel Veissière et Moriah Stendel, chercheurs au Département de psychiatrie de l’Université Ã山ǿ¼é, ont procédé à une revue de la littérature actuelle sur l’utilisation dysfonctionnelle de la technologie intelligente en examinant les données sous l’angle de l’évolution. Ils ont constaté que les fonctions du téléphone intelligent les plus susceptibles de provoquer une dépendance avaient un point en commun : elles réveillent le désir de l’être humain de nouer des liens avec son prochain. Les résultats de leur étude paraîtront dans la revue Frontiers in Psychology.
Comment dompter la bête?
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Quand un besoin sain devient-il malsain?
Certes, le téléphone intelligent satisfait un besoin de socialisation normal et sain. Toutefois, convient le Pr Veissière, en raison du rythme et de l’ampleur de l’hyperconnectivité, le circuit de récompense du cerveau est sollicité de toutes parts, ce qui peut engendrer une dépendance.
« En cette ère postindustrielle où les aliments abondent et sont facilement accessibles, notre désir de matières grasses et de sucre, vestige de lointaines pressions de sélection, peut facilement provoquer des excès qui entraîneront obésité, diabète et problèmes cardiaques (…). De même, le besoin de socialisation et l’excitation du circuit de la récompense [par le téléphone intelligent comme outil d’interaction sociale] peuvent faire naître le besoin maniaque de surveiller son prochain et conduire à l’hypersocialisation », écrivent les auteurs.
« Ce sujet soulève de vives inquiétudes, souligne le Pr Veissière. Nous voulons être porteurs de bonnes nouvelles en montrant que nous sommes accros non pas au téléphone, mais bien aux interactions humaines, et qu’il existe des solutions plutôt simples à cette dépendance. »
La désactivation des notifications poussées et la consultation du téléphone à heures fixes constituent des cures de désintoxication fort efficaces. En outre, selon certaines études, les employeurs devraient interdire l’envoi de courriels le soir et la fin de semaine.
« Au lieu de réglementer le secteur technologique ou l’utilisation des appareils, nous devrions nous demander comment faire bon usage du téléphone intelligent, a récemment déclaré le professeur en entrevue. Les parents et les professeurs doivent prendre conscience de l’importance de cette question. »