Ă汱ǿŒé

La résilience des peuples autochtones

Image by "Old Residential School" by Canadian Veggie is licensed under CC BY-NC-ND 2.0..

La JournĂ©e nationale de la vĂ©ritĂ© et de la rĂ©conciliation souligne la rĂ©silience des peuples et plus particuliĂšrement des ainé·es, survivant·es des pensionnats indiens, qui se sont battu·es afin que les Canadien·nes s’intĂ©ressent aux consĂ©quences de la thĂ©orie de la « dĂ©couverte » des AmĂ©riques, aux politiques colonisatrices et Ă  leurs sĂ©quelles.

Comme le disait Boris Cyrulnik dans Le laboureur et les mangeurs de vent, il faut prendre acte des « traumas non dits » afin de rĂ©tablir « une concordance entre les rĂ©cits collectifs et ceux du blessĂ© ». Alors, aujourd’hui une fenĂȘtre est ouverte pour que ces survivant·es autochtones puissent « enfin s’exprimer sans trouble et sans frein “comme ça vient” » et se sentir « entier et parler paisiblement ». C’est lĂ  un des objectifs de la Commission de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation. Entendre cette vĂ©ritĂ© pour reconstruire ce que le colonialisme a dĂ©truit.

Une politique de génocide

La politique des pensionnats indiens avait comme objectif de dĂ©stabiliser les nations autochtones en s’attaquant Ă  leurs enfants – comme l’a dit Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint du ministĂšre des Affaires indiennes, de « tuer l’Indien dans l’enfant », autrement dit de dĂ©truire ces nations.

Plusieurs des tĂ©moignages que j’ai entendus alors que je nĂ©gociais le mandat de la Commission de vĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation me reviennent Ă  l’esprit. Douloureusement, les Autochtones du troisiĂšme Ăąge relataient leurs expĂ©riences de sĂ©vices et de violences subis aux mains des responsables de ces pensionnats. Pensionnats oĂč il Ă©tait interdit Ă  ces enfants, issu·es de la tradition orale, de parler leurs langues.

Lorsqu’une langue disparait, c’est une vision du monde qui s’effondre, des voix qui se taisent Ă  jamais. Lorsque des cultures meurent, l’humanitĂ© perd une grande partie de sa richesse.

Ces jeunes enfants arraché·es à leur famille et à leur communauté ont vu leurs racines anéanties. Cette séparation a eu des conséquences tragiques et intergénérationnelles sur les nations autochtones. Ces nations ont perdu non seulement leur langue, mais aussi les fondements de leurs cultures et de leurs philosophies qui se transmettaient de génération en génération. Ce qui fut qualifié de génocide culturel.

La langue et la culture sont le socle des peuples et des nations. Or, combien de langues autochtones meurent aujourd’hui sous nos yeux? Comme les changements climatiques ont dĂ©truit en bonne partie la biodiversitĂ©, le colonialisme, et notamment le legs des pensionnats indiens, a eu les mĂȘmes effets sur les langues et les cultures autochtones. Lorsqu’une langue disparait, c’est une vision du monde qui s’effondre, des voix qui se taisent Ă  jamais. Lorsque des cultures meurent, l’humanitĂ© perd une grande partie de sa richesse.

Le monde dans un poisson

J’ai eu le privilĂšge d’assister Ă  de nombreuses cĂ©rĂ©monies autochtones, Ă  des moments de communions avec la nature lors desquels les ainé·es ont partagĂ© des enseignements qui ont touchĂ© mon Ăąme.

Comment partager ces sentiments? Une scĂšne du film Je m’appelle humain, de Kim O’Bomsawin, s’impose Ă  moi : la poĂ©tesse innue JosĂ©phine Bacon dĂ©pĂšce la tĂȘte d’un poisson, elle raconte l’histoire du territoire, de ses habitant·es, ainsi que la mythologie de son peuple.

Qui aurait pu deviner que la tĂȘte d’un poisson dĂ©celait autant de savoirs? Cette scĂšne nous ramĂšne Ă  l’essentiel : l’importance du partage, de l’imagination, du rĂ©cit qui tisse les liens d’une communautĂ©, d’une nation. Cette scĂšne Ă  elle seule illustre l’importance de la culture. Ce film nous rappelle aussi que le temps fuit. Les ainé·es, ces gardien·nes du savoir, « ces trĂ©sors nationaux vivants » – expression employĂ©e au Japon pour dĂ©signer les gardiens de biens culturels intangibles importants – s’éteignent.

Comme sociĂ©tĂ©, nous avons le devoir de tout faire pour prĂ©server ces richesses culturelles. Il faut soutenir la revitalisation des cultures et langues autochtones. Cela implique non seulement la dĂ©colonisation de nos relations avec les Autochtones, mais aussi de tenir compte des savoirs autochtones, Ă©lĂ©ments qui sont au cƓur de la rĂ©conciliation.

Prendre la réconciliation au sérieux

Mais qu’est-ce que la rĂ©conciliation? Le rapport de la Commission de vĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation Ce que nous avons retenu : les principes de la vĂ©ritĂ© et de la rĂ©conciliation nous informe qu’il s’agit d’un « processus de guĂ©rison des relations qui exige un partage de la vĂ©ritĂ©, des excuses et une commĂ©moration publique qui reconnaissent les torts du passĂ© ».

Les peuples autochtones, les premiers habitants de ce pays, ont droit Ă  l’autodĂ©termination et Ă  la reconnaissance de leurs droits constitutionnels et de ceux dĂ©coulant des traitĂ©s : ces droits doivent ĂȘtre respectĂ©s.

La réconciliation durable se fonde aussi sur « la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones afin de réparer les torts du passé et du présent ». On ne peut oublier les circonstances entourant la mort de Joyce Echaquan le 28 septembre 2020.

Les peuples autochtones, les premiers habitants de ce pays, ont droit Ă  l’autodĂ©termination et Ă  la reconnaissance de leurs droits constitutionnels et de ceux dĂ©coulant des traitĂ©s : ces droits doivent ĂȘtre respectĂ©s. Les QuĂ©bĂ©cois·es et les Canadien·nes, comme parties aux traitĂ©s, ont donc des obligations qui doivent se manifester dans « des relations mutuellement respectueuses ».

La rĂ©conciliation est donc un projet sociĂ©tal visant Ă  crĂ©er une sociĂ©tĂ© juste, plus Ă©quitable et inclusive afin de combler les dĂ©ficits sociaux et Ă©conomiques qui affligent toujours les Autochtones. Elle exige des actions pour contrer l’hĂ©ritage du colonialisme et ses rĂ©percussions dĂ©vastatrices sur les nations autochtones tout en reconnaissant les contributions des peuples autochtones.

Pour guérir et se réconcilier, il faut tendre la main encore et encore, afin de créer une nouvelle façon de vivre ensemble.


Me Tamara Thermitus Ad. E.Me Tamara Thermitus Ad.E. est chercheuse invitĂ©e au Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de Ă汱ǿŒé. Elle a Ă©tĂ© admise au Barreau du QuĂ©bec en 1988 et dĂ©tient une maĂźtrise en droit (2013) de l'UniversitĂ© Ă汱ǿŒé portant sur les droits de la personne. Elle a Ă©tĂ© directrice des politiques et de la planification stratĂ©gique pour le Bureau de rĂšglement des questions des pensionnats indiens (2004-2006) et nĂ©gociatrice en chef pour le gouvernement fĂ©dĂ©ral de la Commission de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation
Titulaire de la médaille du jubilé de la Reine Elizabeth (2012), Me Thermitus Ad.E. a reçu de nombreux prix dont le Mérite du Barreau du Québec (2011), premiÚre avocate noire à recevoir cette reconnaissance.

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