Et si on inventait une motoneige 100 % Ă©lectrique, qui produirait zĂ©ro Ă©mission et zĂ©ro bruit? Au dĂ©but, ce n’était que le rĂŞve fou de trois Ă©tudiants en gĂ©nie de l’UniversitĂ© Ă山ǿĽé, prĂ©sentĂ© Ă un concours de dĂ©marrage d’entreprise. Six ans plus tard, c’est mission accomplie pour Paul Achard (B. Ing., 2014), Samuel Bruneau (B. Ing., 2015) et Gabriel Bernatchez (B. Ing., 2016), cofondateurs de Taiga Motors, PME que les revues spĂ©cialisĂ©es surnomment dĂ©jĂ la « Tesla de la motoneige ».
Le trio est en train de transformer son petit centre de recherche de la rue Dollard, dans l’arrondissement de LaSalle à Montréal, en usine pilote. « On teste les procédés pour pouvoir produire à grande échelle », dit Paul Achard, directeur de l’ingénierie. Et ce n'est qu’un début, puisqu’après un tour de financement de 10 millions de dollars mené par Taiga l’automne dernier, un groupe d’investisseurs torontois vient de proposer d’investir 100 millions de dollars dans la PME en avril afin d’en accélérer la croissance.
Le hasard du calendrier fera que les premiers engins livrés aux concessionnaires seront… des motomarines! Car c’est là le second exploit des trois ingénieurs : non seulement ont-ils mis au point des technologies exclusives assez puissantes, silencieuses et propres pour faire le bonheur des motoneigistes et des environnementalistes, mais ils se sont organisés pour que le châssis, le groupe motopropulseur, la batterie et le logiciel servent aussi bien sur une motoneige que sur une motomarine!
Paul Achard doit embaucher dix employés avant la fin de février. En fait, le petit noyau initial de 20 employés a déjà doublé une première fois en 2020. D’ici deux ans, il doublera encore plusieurs fois. « Passer de 1 000 à 50 000 unités par an, c’est un gros saut », convient Paul Achard. Tout comme les deux autres cofondateurs, M. Achard est âgé de 29 ans.
Le directeur de l’ingénierie se dit soulagé d’avoir pu constituer une solide équipe marketing, car il faut maintenant trouver des consommateurs prêts à payer 15 000 dollars américains pour un véhicule saisonnier de luxe. Surtout qu’un véritable géant québécois, Bombardier Produits Récréatifs (BRP), fait la pluie et le beau temps dans un marché qu’il a littéralement inventé, toujours dominé par les moteurs à explosion.
De l’intérêt du côté des stations de ski
Au départ, la réponse est venue de grandes stations de ski et des parcs nationaux, où les véhicules à essence sont interdits ou soumis à de sévères restrictions. « Une motoneige à combustion produit plus d’émissions nocives sur 100 km que 12 voitures. Ceux qui adoptent notre technologie sont préoccupés par la pollution et le bruit », dit Paul Achard, qui voit l’intérêt monter chez les consommateurs.
« Je suis propriétaire d’un chalet et les riverains veulent bannir les motomarines à cause du bruit. Tout ce qu’on entend avec une motomarine électrique, c’est la turbine. Ça ne produit pas le bruit fatigant qui énerve tant », explique Gaby Grégoire, directeur général chez Grégoire Sport, concessionnaire de véhicules motorisés établi à Notre-Dame-de-Lourdes, dans Lanaudière. M. Grégoire a été emballé par ses essais de motomarine l’été dernier. « J’ai très hâte d’essayer le prototype de motoneige. »
« Comme Tesla, Taiga veut prendre le temps de bien faire les choses », précise Gaby Grégoire.
La prochaine Ă©tape
Mais si la PME veut devenir la Tesla des sports motorisĂ©s, il faudra qu’un quatrième ancien de Ă山ǿĽé, Tim Tokarsky (B. Sc., 1988), relève un grand pari : trouver beaucoup d’argent. Ă€ titre de prĂ©sident du conseil d’administration, c’est lui qui a menĂ© les tours de financement successifs; le dernier, Ă l’automne 2020, a permis de recueillir 10 millions de dollars auprès d’une cinquantaine d’investisseurs. « Mais pour la prochaine Ă©tape, il en faudra dix fois plus, s’exclame-t-il. Au moins! » Ce problème est en partie rĂ©solu, puisque Taiga vient d’accepter l’offre d’un groupe financier torontois, qui lui propose plus de 100 millions de dollars dans le cadre d’une fusion prĂ©vue pour avril 2021; cette dernière permettrait aux fondateurs d’accĂ©lĂ©rer le dĂ©ploiement de leurs projets de production.
L’investisseur torontois, Canaccord Genuity Growth II Corp, est une « société d'acquisition à vocation spécifique », nouveau type de société de portefeuille cotée en bourse qui regroupe des particuliers souhaitant investir dans un secteur bien défini. Presque du jour au lendemain, la valeur du petit fabricant est ainsi passée de quelques millions à 300 millions de dollars!
Tim Tokarsky, gĂ©ophysicien devenu investisseur privĂ©, a connu les trois Ă©tudiants dans le cadre de la Coupe Dobson, concours de dĂ©marrage d’entreprise de l’UniversitĂ© Ă山ǿĽé pour lequel il agissait comme mentor et juge. ImpressionnĂ© par leur dĂ©termination, il a versĂ© les 50 000 dollars nĂ©cessaires Ă l’élaboration du prototype.
Le Québec y gagnera
S’il se réjouit de l’intérêt croissant des financiers, Tim Tokarsky ne prend pas l’argent de n’importe qui : les investisseurs doivent se conformer aux intentions des fondateurs. « Nous avons eu des propositions pour construire une usine en Colombie-Britannique et même en Suède, mais nous voulons être au Québec, parce que le Québec a été bon pour nous. »
Il explique que le Québec y gagnera bien plus que les quelques centaines d’emplois créés à l’ouverture de l’usine en région – peut-être à Shawinigan, mais le choix n’est pas encore arrêté. « On donne la chance à nos jeunes d’aller au bout de leurs idées et de cesser de brûler du pétrole. C’est l’avenir du Québec. Moi, je viens d’Edmonton. Je suis un foreur de pétrole. Le Québec a absolument raison d’orienter son développement économique vers l’électrification des transports. C’est dans ce mouvement que s’inscrit Taiga. »